ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie
.
FRANÇOIS HERNANDEZ
François Hernandez est né le 2 février 1918 à Noisy-les-Bains. Pendant la 2ème guerre mondiale, après avoir été arrêté sur le territoire du Reich (...dans quelles circonstances ?), il a été déporté et interné au camp de Neuengamme, puis dans une annexe à Bremen (Brême).
Qu'en a-t-il été de François Hernandez ? Il semblerait, sans certitude, qu'il ait réchappé de cet enfer. Si oui, qu'est-il devenu ?
C'est l'histoire de ce camps que nous vous proposons de découvrir.
§
LE KZ DE NEUENGAMME
Neuengamme a été un camp de concentration (Konzentrationslager en allemand, abrégé KZ), établi le 13 décembre 1938, au sud-est de Hambourg sur le fleuve Elbe, d'abord comme camp extérieur du camp de Sachsenhausen puis transformé en 1940 en camp de travail indépendant (213000 m2) avec plus de 90 camps extérieurs annexes.
Le 2 mai 1945, les SS abandonnent le camp. Le même jour, l'armée anglaise fait une première patrouille de reconnaissance et découvre le camp vide. Ce camp sera libéré le 4 mai, deux jours plus tard, par les troupes britanniques. Il y eut 106 000 déportés parmi lesquels on dénombra à la Libération 55 000 morts (soit 52 %).
Neuengamme est le grand camp d'Allemagne du Nord et des noyés de Lübeck.
Liste de déportés et internés à Neuengamme.
Le camp
Le KZ de Neuengamme est situé sur la rive droite de l'Elbe, au sud-est du grand port de Hambourg. Le site est plat, uniformément plat, et gorgé d'eau. Une maigre végétation d'ajoncs, de plantes aquatiques et d'arbres rabougris émerge d'un terrain marécageux. Une bise glacée venant de la grande plaine de l'Europe du Nord et de la Baltique déverse interminablement une pluie froide, qui alterne avec des brumes humides venues, elles, de la mer du Nord. Le climat est malsain, pénible. Le paysage est lugubre.
À la lisière sud du village d'Altengamme est construite une briqueterie-tuilerie. Les nazis en ont chassé les propriétaires juifs après la Nuit de cristal. L'administration nazie a décidé de la mettre en valeur, profitant de la proximité de l'Elbe navigable... et de l'existence de la main-d'œuvre concentrationnaire à bon marché. Le 13 décembre 1938, une centaine de détenus provenant du KZ de Sachsenhausen arrivent. Hébergés dans les locaux de la vieille briqueterie, ils construisent un nouveau KZ entre l'Elbe et l'entreprise. De nouveaux détenus, des droits communs et des politiques, arrivent en renfort. L'usine est bientôt reliée par une ligne directe à Hambourg et par un canal de raccordement à l'Elbe, où circulent pesamment de lourdes péniches sur une eau encrassée d'huile et de pétrole. Pour le distinguer du village d'Altengamme, il est baptisé " Neuengamme ". C'est un kommando extérieur de Sachsenhausen.
Le 4 juin 1939, Neuengamme est érigé en KZ autonome et classé dans la catégorie 2, celle des détenus ayant encouru des peines graves mais qui peuvent être rééduqués. Il compte alors 1 070 prisonniers. Vont arriver successivement les opposants autrichiens, puis tchèques, puis polonais. À la fin de 1940 le KZ, sans cesse aménagé, atteint déjà un effectif de 3 500 hommes. Il ne cessera de grandir jusqu'en 1945. En 1941, il couvre une superficie d'une vingtaine d'hectares.
Il reçoit des nationaux de tous les pays occupés par la Wehrmacht. Le premier grand transport de Français, environ 3 000 personnes, arrive le 11 mai 1944; d'autres suivront. Le dernier sera celui du 31 juillet 1944. Les deux commandants successifs de Neuengamme sont Martin Weiss (1940 - 1943) et Max Pauly (1943 - 1945).
Neuengamme est conçu sur le modèle des autres KZ. Le Français Paul Kern, qui y arrive le 11 mai 1944, le décrit comme suit:
« Sur un côté, vingt-cinq baraquements en bois, tous avec une cour. Ils étaient clôturés par une hauteur de 2,50 mètres de barbelés, une seule porte donnant sur la vaste place d'appel. À l'intérieur, six rangées de châlits de trois étages - 300 places - nous étions 900 par baraquement. Dix robinets d'eau. Les WC étaient un grand banc percé de trous. De l'autre côté de la place, les baraquements administratifs, divers magasins, les cuisines, les douches, l'infirmerie ou Revier, les fours crématoires. Au fond un grand bâtiment en dur comprenait quatre Blocks, derrière une usine de briques. Aux quatre coins un mirador muni d'un projecteur et de mitrailleuses. Le tout entouré de 3 mètres de barbelés traversés par un courant à haute tension. Derrière cette clôture un fossé d'environ 3 à 4 mètres de large, rempli d'eau. Sur chaque côté du camp, des travaux de terrassement, des usines d'armes. Côté des fours crématoires, la voie de chemin de fer spéciale pour le camp, quai de débarquement pour l'arrivée des détenus et marchandises diverses. Un peu plus loin la résidence des SS où rien ne leur manquait. Jardin où les cendres des fours crématoires servaient à faire pousser les légumes et les fleurs. Il y avait même une maison de plaisir peuplée de femmes déportées, ces dernières ayant à faire un travail forcé réellement spécial. Le camp, bien entendu, était sous la responsabilité des SS. Ces derniers avaient placé dans chaque Block un détenu responsable de ce Block. Ils étaient pour la plupart des droits communs; très peu de politiques allemands; il y avait quelques droits communs polonais. Je n'ai pas vu un seul Français. »
La vie quotidienne des déportés
« Le premier rassemblement au petit matin s'effectuait dans la cour du Block, écrit Paul Kern. Second rassemblement sur la grand-place au son d'une fanfare. Après le comptage des 15 à 20 000 hommes que contenait le camp, départ en différents kommandos pour les lieux de travail. Certains travaillaient dans les usines du camp; d'autres allaient au terrassement; d'autres au déchargement des péniches, il y avait le kommando des fours crématoires. Ces hommes avaient droit à une double ration; c'étaient pour la plupart des droits communs. Nous étions pendant douze heures au travail, avec une demi-heure d'arrêt à midi pour avaler une mauvaise soupe aux rutabagas, quelques morceaux de pommes de terre et, de temps en temps, un petit dé de mauvaise viande. Le soir, même manœuvre que le matin pour rentrer au camp, mais au pas cadencé, mains collées sur la couture du pantalon. Toujours au son de la fanfare, rassemblement pour l'appel du soir. Rassemblement qui pouvait parfois durer plusieurs heures, il suffisait d'une erreur de comptage ou d'une évasion; il fallait en effet, coûte que coûte, retrouver l'erreur ou l'évadé.
Les appels du soir étaient terriblement pénibles. Après douze heures de travail et avec la faim et le froid, il nous fallait souvent demeurer deux heures, parfois trois, debout sans faire un mouvement. C'étaient d'abord des douleurs aux jambes, douleurs qui montaient dans le dos, puis dans la nuque. La tête devenait lourde à tel point que nous ne nous rendions plus bien compte de notre état. Le moindre bruit nous faisait sursauter, craignant toujours l'arrivée d'un kapo ou d'un SS. Ces derniers parcouraient nos rangs avec leurs matraques et tout homme qui n'était pas dans la position réglementaire était matraqué. Certains, qui ne pouvaient plus se tenir debout, étaient relevés à grands coups de pied.
Le comptage effectué et l'erreur retrouvée, nous rentrions dans nos Blocks après avoir reçu un morceau de pain d'environ 100 grammes, une portion de margarine d'environ 2 centimètres sur 5 et d'une épaisseur de 2 centimètres ou une poignée de salade de raves rouges, au sel, sans huile; d'autres fois, quelques petits poissons salés qu'il fallait avaler crus, chose que je n'ai jamais pu faire.
Nous avions droit à une couchette de 90 centimètres de large pour trois. Il fallait que deux se couchent dans le même sens et le troisième au milieu des deux autres dans le sens contraire, pieds à la tête de ces derniers.
Souvent, il y avait des alertes dans la nuit, sans lumière nous devions nous rendre dans un grand sous-sol où nous étions enfermés tous ensemble, les 10 ou 15 000 hommes du camp. Il n'était pas question de nous protéger. Nous étions enfermés de telle sorte qu'il nous était impossible de sortir de cet abri, et si des bombes étaient tombées sur le bâtiment, tous auraient été tués. »
L'administration du camp est décrite par mon ami Louis Maury, rescapé de Neuengamme :
« Le chef du camp, Tumann, capitaine SS, a précédemment commandé en second un camp polonais où il a assassiné des dizaines de milliers de Polonais et de juifs. Toujours sanglé dans un ciré noir, la cravache à la main, flanqué de deux superbes chiens-loups, il terrorise tout le camp, y compris ses subordonnés SS. Ce monstre a un visage aux traits fins, réguliers, où brillent d'un éclat insoutenable deux yeux gris clair. Je l'ai vu, un jour où il visitait les latrines, abattre un homme assis sur la poutrelle, déculotté, qui ne s'était pas levé assez vite. Il aime les défilés de forçats pendant lesquels il lâche les chiens sur ceux qui ne peuvent garder les bras immobiles, fixés au corps. Il déteste les mutilés, les borgnes et les vieux qui déparent le paysage. C'est un esthète. Il a fait mettre des pots de fleurs alignés à l'entrée de chaque Block.
Avec des allures différentes, ses adjoints sont dignes de lui. Leur distraction préférée est de jouer à celui qui fera évanouir le plus vite possible les punis de la schlague. Speck, fou furieux, dans sa tenue impeccable, se vante d'être le meilleur à ce jeu; il tape si fort qu'après le sixième ou le septième coup, il doit se reposer. D'une force herculéenne, il m'a cassé trois dents en tenant sa cravache entre deux doigts un jour où je ne l'avais pas salué. Tumann, dont la folie est si l'on ose dire plus raisonnable, lui a interdit l'usage du revolver. Fritz est un fou d'un autre genre. Il renouvelle souvent la même plaisanterie: il piétine dans les flaques d'eau et oblige des bagnards pris au hasard à lécher la boue de ses bottes jusqu'à ce qu'elles brillent. Un jour un Belge, trop humilié, l'a frappé: au lieu d'être pendu le dimanche en grande pompe, Fritz l'a fait enfermer tout nu dans le mitard des femmes condamnées à mort. Il y a été pendu le lendemain, à 2 centimètres du sol, devant ses compagnes. Au milieu de cette meute féroce, Ernst détonne curieusement: il est amoureux. Il ne frappe jamais. Sa manie douce est d'inspecter les Blocks pour vérifier à l'aide d'une balle de ping-pong qu'il fait rouler dessus si les couvertures des châlits sont bien tendues. Il y passe plusieurs heures par jour. Tumann se méfie de lui et prend un malin plaisir à lui prouver que les lits sont mal faits. Nous devons alors nous engouffrer dans nos Blocks jusqu'à la nuit pour refaire nos paillasses avant le grand appel et la soupe qui n'est, dans ce cas, distribuée qu'à minuit. »
L'administration est la même que dans les autres KZ. Mais à Neuengamme les verts allemands ont occupé toutes les fonctions jusqu'à l'été 1944, où elles sont passées aux rouges (les politiques). Comme ailleurs aussi, les verts terrorisent les politiques et aggravent leurs privations en volant le plus possible de leur maigre nourriture. Toutes les nationalités sont présentes à Neuengamme pendant l'été 1944. Les Polonais constituent à eux seuls le quart de l'effectif; beaucoup n'ont pas été déportés pour leur action politique mais comme travailleurs. Russes et Polonais, étant les plus nombreux, imposent leur loi. Ils malmènent les Français considérés comme des collaborateurs puisque pour eux le gouvernement de Vichy est devenu l'allié des Allemands. Si bien que les Français ne peuvent accéder à aucun poste. Parmi eux, Jacques Félix Bussière, préfet régional de Marseille, et le journaliste Roland Malraux, frère d'André Malraux, arrêté le 21 mars 1944, à trente ans.
Sévices
Ils sont du même ordre que dans les autres KZ. Des exemples empruntés au témoignage de Louis Maury l'illustreront.
Le Revier
« Le Revier est constitué par un ensemble de quatre baraques où sont entassés jusqu'à 2 000 malades. Le four crématoire est à proximité immédiate, bel exemple d'organisation rationnelle. Une diète intégrale de quatre jours achève les malheureux anémiés par des mois de soupe aux rutabagas, épuisés par le travail intensif sous la schlague, le manque d'hygiène et de sommeil. Tout nouvel arrivant doit se dévêtir entièrement et passer aux douches, puis, sans être séché (les serviettes n'existent pas), attendre tout nu dans une cour glaciale la bonne volonté des infirmiers allemands, nommés Kalfaktor. Ces derniers manipulent cyniquement, sous les yeux des futurs hospitalisés, les cadavres de la journée dont le départ pour le crématoire libère une place. Ils jettent ces corps raides et désarticulés sur une petite poussette. Lorsqu'ils sont certains que leurs chiffres de morts et de vivants correspondent avec l'effectif réel, ils daignent faire rentrer les nouveaux à grand renfort de coups de pied et de bourrades. Certains tombent pour ne plus se relever. Leurs cadavres vont immédiatement rejoindre les autres sur la petite voiture à bras.
En arrivant dans le Block, le nouveau, grelottant de fièvre et de froid, reçoit une guenille appelée chemise, très courte, dépassant rarement les fesses. En effet, les précédents propriétaires de cette loque, c'est-à-dire les morts, en ont déchiré le bas pour faire des mouchoirs ou des pansements. Les infirmiers allemands trouvent très spirituel de prédire l'assimilation prochaine de ces loques à des soutiens-gorge. Il est difficile de trouver une place dans un lit et une procession de fantômes aux cuisses atrophiées se bousculent dans des chambres surpeuplées, d'où ils sont repoussés impitoyablement et battus. Ceux qui parviennent à se glisser sous des couvertures se trouvent mêlés à des dysentériques ou des pneumoniques. Les lits n'ont évidemment pas de draps. Comme il y a trois étages de niches démontables, les interstices entre les planches mal jointes provoquent toujours des surprises aux malades couchant sous les diarrhéiques qui sont en majorité. Dans l'infirmerie, il meurt en moyenne plus d'un homme par heure, et certains jours de décembre on a compté jusqu'à deux cents cadavres au crématoire. »
Les kapos
« Karl, le chef du Block 13, n'a pas son pareil pour abattre d'un coup de poing un retardataire. Il adore discourir et s'enivre d'alcool de pomme de terre qu'il se procure dans des conditions restées inconnues. Il a des yeux de fou et nous réveille la nuit pour prononcer de longs discours dans une attitude théâtrale, debout sur une table. Il ordonne à des interprètes de traduire d'abord en russe, car il apprend cette langue; ensuite il va se coucher, mais exige que nous restions pour écouter la traduction dans les autres langues, qui doit être faite à mi-voix pour ne pas troubler son sommeil. Il estime que le français est une langue dégénérée et souvent ne fait pas traduire dans la langue de Descartes ses leçons de morale et de propreté. Il semble ainsi nous punir. Karl a un sens très personnel de l'humour. Une nuit, après une alerte, il nous annonce qu'il a pris la décision de ne plus se servir de sa cravache pour nous battre, Devant nous alignés, il la jette dans le feu et se fait apporter par les Stubendienst souriants une énorme matraque. Se précipitant alors dans les rangs affolés, il assomme une demi-douzaine de malheureux, dont un vieux colonel français qui s'était assis derrière nous pour dormir. »
L'appel
« Sous la lumière aveuglante des gros projecteurs, nous attendons des heures, transpercés de froid, de pluie ou de neige. Le froid commence par les pieds, et les mains que nous n'avons pas le droit de mettre dans les poches, puis attaque le dos. Spectacle étrange que des milliers d'épaules se roulant légèrement pour obtenir un frottement donnant l'illusion du mouvement et s'immobilisant au fur et à mesure que nos gardiens passent à proximité pour reprendre de plus belle dès que nos tortionnaires disparaissent dans les autres rangées. Il y eut, au printemps 1944, un appel de vingt heures où, pour finir, les SS arrosèrent avec une lance d'eau glacée des centaines, d'hommes stoïques et figés. Certains voulant s'enfuir sous l'effet d'une dépression nerveuse furent abattus sur place. Le 30 janvier 1945, jour anniversaire de la prise du pouvoir par A. Hitler, à peine vêtus, par 20 °C au-dessous de zéro, nous subissons un appel de six heures qui fait de nombreuses victimes. Les SS vérifient si nous n'avons pas réussi à dissimuler un tricot ou une chemise supplémentaire; celui qui est surpris trop habillé reçoit 25 coups de schlague au cours desquels l'évanouissement survient vers le huitième coup. Les hurlements du délinquant croissent à partir du troisième ou quatrième, puis s'éteignent rapidement. »
Exécutions
Pendaisons
Le KZ de Neuengamme a fonctionné aussi comme un centre d'exécutions. Ainsi, en octobre 1941, des officiers et des commissaires soviétiques y sont pendus.
Dans Tragédie de la déportation , 0. Wormser et H. Michel rapportent, en exemple, le témoignage du docteur Georges Salan, chef départemental des MUR du Gard, déporté politique à Neuengamme :
« Un soir, nous fûmes conduits en rangs de cinq sur la place d'appel où se trouvait déjà, disposée en fer à cheval, toute la population du camp. Il devait se préparer un événement d'importance, car la musique était là au complet. Et voilà qu'une dizaine de nos camarades apparaissent à une extrémité de la place, soutenant un grand gibet en forme de poteau de football. Le gibet dressé au milieu de notre formation, une petite table surmontée d'un escabeau est installée sous la barre transversale et nous voyons venir deux Russes, mains enchaînées, l'un vêtu en zébré, l'autre en tenue de camp. Lorsqu'ils sont devant la table, un officier SS lit une sentence de laquelle je retiens que nos deux camarades vont être pendus pour crime de pillage. La lecture terminée, la musique se met à jouer pour ne plus s'arrêter durant toute la cérémonie. Ce ne sont que rythmes allègres se succédant sans interruption. Pendant ce temps est hissé sur la table, puis sur l'escabeau, le jeune Russe en tenue zébrée. On lui entrave les pieds, lui glisse le nœud autour du cou. L'escabeau est retiré d'un coup sec et c'est fini. On attend une dizaine de minutes pendant lesquelles l'harmonie des cuivres remplit le silence de mort et on passe au suivant, après avoir décroché le premier qui gît là sur le sol. Répétition des mêmes gestes, troublée toutefois au dernier moment par une exclamation vengeresse de la victime : " Vous nous pendez maintenant, mais vous serez pendus. " Justice étant rendue, la musique fait lentement, en continuant à souffler dans ses cuivres, le tour de la place, tandis que des hommes de corvée emmènent au crématoire les corps encore chauds de nos deux malheureux camarades, auxquels un SS vient de loger au préalable une balle dans la tête. »
Gazages
Le procès instruit par les Britanniques contre les SS du KZ a prouvé que deux opérations de gazage ont eu lieu à Neuengamme à l'aide du Zyklon B. Chaque fois il s'est agi de Soviétiques provenant du camp de prisonniers de guerre de Fallingbostel: 193 en septembre 1942 et 251 en novembre de la même année.
Comme il n'y a pas de chambre à gaz dans le KZ, c'est le Bunker qui est aménagé : il est rendu étanche par de nouvelles portes et muni d'un système de tuyaux pour la diffusion du gaz.
Les kommandos de travail du camp central
Le général Pierre Brunet, auteur d'une monographie du KZ publiée sous l'égide de l'Amicale de Neuengamme, précise le travail auquel sont astreints les déportés. Il note qu'à la fin de 1942, l'effectif du camp central dépassait 13 000 détenus, employés dans les nombreuses usines installées autour du KZ, notamment la Metallwerke (mitraillettes et canons de fusils), la Messap (mouvement d'horlogerie pour les bombes à retardement), la Jastram (vedettes rapides), la Deutsche Ausrüstung Werke (DAW: production générale d'armement), etc. Les détenus des kommandos affectés au travail dans ces usines ont un sort relativement moins pénible que ceux qui sont employés dans les kommandos habituels d'entretien et d'aménagement des KZ. Mais l'immense majorité des déportés du camp est utilisée dans des kommandos beaucoup plus éprouvants: c'est le cas du kommando Sandbau qui décharge les péniches et transporte les matériaux de construction et les sacs de sable; de plus, les SS font, par jeu, basculer les détenus dans les canaux: s'ils ne sont pas capables de s'en tirer seuls, ils se noient.
Louis Maury mentionne un autre kommando où sont " récupérés " les inaptes:
« Tous les vieux, les éclopés, les manchots, les unijambistes travaillent dans les caves des bâtiments de ciment, serrés les uns contre les autres, assis sur de dures banquettes en bois, placés devant une grande poutre d'où pendent de vieux morceaux d'étoffes hétéroclites qu'il faut tresser. Le tas de chiffon est placé entre les jambes et il doit diminuer régulièrement. Il s'agit en effet chaque soir de présenter vingt-cinq mètres de tresses, faute de quoi le forçat doit revenir après l'appel de neuf heures, pour terminer sa tâche. L'absence d'air, de lumière, le surpeuplement amènent vite une tuberculose à évolution rapide; la poussière dégagée par les chiffons est extrêmement pénible; l'épidémie d'érysipèle est permanente. Les conversations sont interdites et le délinquant est frappé sans préavis, par-derrière. Un des kapos, Walter, s'amuse à frapper ceux qui sont près de lui, sous prétexte qu'il ne veut pas se déranger pour punir les vrais bavards et que nous sommes tous solidairement responsables. »
Le kommando le plus redouté est le Sonderkommando. Il assure le fonctionnement des crématoires, qui brûlent jour et nuit. Le premier crématoire fonctionnait au charbon; un second, alimenté par le mazout, est construit au cours de l'automne 1944. Le Sonderkommando comprend 300 hommes. Il est renouvelé tous les trois mois, les 300 hommes étant pendus afin que soit assuré le secret sur les victimes incinérées.
LES KOMMANDOS EXTÉRIEURS
Ce sont 75 kommandos des plus importants qui vont dépendre de Neuengamme: 58 d'hommes et 17 de femmes. Ils s'implantent de la frontière germano-hollandaise (autour de Hambourg, Brême, Minden, Hanovre) au Schleswig-Holstein, à l'embouchure de la Weser, dans la région de l'Elbe moyenne et jusque dans les îles anglo-normandes (à Aurigny).
L'étude du général Brunet permet de faire le point.
C'est le 28 août 1942 qu'est créé le premier kommando à Wittenberge sur l'Elbe, où l'usine Phrix-Werke utilise la paille pour fabriquer de la cellulose et un ersatz de farine. Ce sont ensuite les aciéries Hermann-Goering de Brunswick qui installent des kommandos à Drütte et à Salzgitter. À Brême les usines Borgward, qui construisent des véhicules blindés pour l'Afrikakorps, reçoivent un kommando d'un millier de Polonais. Dans le port de Hambourg, les entreprises Blohm et Voss reçoivent chacune un kommando de 400 à 500 hommes pour des constructions navales. À la fin de 1942, l'effectif des détenus des camps extérieurs est supérieur à celui du camp central. Tous ces kommandos relèvent de la compétence du commandant SS implanté à Hambourg. Il forme par exemple 17 kommandos de femmes provenant d'Auschwitz et de Ravensbrück, soit 12 000 prisonnières. Parmi les kommandos particuliers, il décide la création de trois équipes volantes chargées de la remise en état des voies ferrées rendues inutilisables par l'aviation alliée: la première, implantée dans l'île anglo-normande d'Aurigny, est composée par des israélites arrêtés en France qui n'ont pas été envoyés à Auschwitz parce qu'ils avaient des épouses chrétiennes, la seconde est partagée entre Brême et Osnabrück, la troisième entre Bad Sassendorf et Soest.
Parmi les fabrications civiles pour lesquelles sont employés les kommandos, le général Brunet cite: le ciment à Neesen, le cuir à Horneburg, les accumulateurs à Stöcken Accus puis à Hanovre, le sucre à Uelzen, la cellulose à Wittenberge, les automobiles à Linden (usines Hanomag), Fallersleben et Wolsburg (usines Volkswagen), Brunswick (usine Büssing), la tréfilerie Salwedel, le caoutchouc à Stöcken Conti (près de Hanovre), les raffineries de pétrole ou les dépôts d'essence comme à Schandelah, Misburg et à Hambourg, les kommandos de Jung Oel, Popenbüttel et Sasel, les constructions de marine marchande fluviale à Boizenburg et à Hambourg. Pour les fabrications militaires, comme l'usine de masques à gaz de Limmer et les usines de munitions Eidelstedt et Fühlsbüttel près de Hambourg, d'autres kommandos sont requis.
La Kriegsmarine est une grosse consommatrice de déportés du fait du nombre important de ses bases, notamment de sous-marins, implantées dans la région. Ainsi le port de Wilhelmshaven emploie un kommando de 1 000 hommes pour l'entretien et l'amélioration de sa jetée. L'immense chantier Valentin à Brême-Farge sur la Weser confie à 2 700 déportés le soin de construire un immense refuge sous-marin sous quatorze mètres de béton, etc. Les déportés travaillent aussi pour la Luftwaffe : construction de nouveaux terrains d'aviation et usines produisant moteurs, cellules et équipements divers, etc.
Albert Rohmer montre combien le travail peut être pénible pour certains kommandos. Il expose le cas de ceux de la mine de sel d'Helmstedt :
« La Salzkolonne, groupe le plus nombreux, écrit-il, exécute le travail de mine par excellence: creusement et nivellement des Kammern, salles de 20 mètres sur 40, accordées aux Strecken par de courtes galeries en pente. Il y a une centaine de ces salles. Les hommes y travaillent le torse nu, sous le plafond bas (2 mètres), dans la poussière de sel. Les gros blocs sont détachés à la dynamite. Et pendant l'heure qui suit les explosions, on vit dans un épais nuage de sable salé. Cet aérosol a au moins l'avantage de tarir les rhinites et le terrible problème du mouchage (essayez de vivre des mois sans mouchoir ni papier!) ne se posera pas avant le soir. Armé de pics, pioches, pelles et marteaux, ce peuple de fourmis devait être plaisant à voir, penché silencieusement sur son travail. Le gros ennui des chambres à sel était le manque d'air. L'aération n'était pas installée au Schacht Marie. L'appel d'air du puits de la mine ventilait suffisamment les allées principales ; les allées latérales, le réseau éloigné et surtout les Kammern manquaient d'air. Les premiers jours on pense étouffer: il n'en est rien et l'organisme s'accommode tant bien que mal. Respiration rapide, coloration jaune de la peau et surtout fatigabilité rapide. Ce furent les Hollandais qui supportèrent le moins bien le vase clos. De 60 en juillet, ils n'étaient plus qu'une dizaine en janvier et les derniers crachèrent leurs poumons tuberculeux à Woebbelin, avant et après la libération. »
Liste des kommandos
Ahlem Hannover - Altgarga - Altegarde Elbe - Aumund - Aurich Engerhafe - Bad Sassendorf - Barkhausen - Barskamp - Baubrigade I, II, V & XI - Beendorf Helmstedt - Bergstedt - Blummenthal - Boizenburg - Braunschweig - Bremme Farbe - Bremme Osterort Reisport - Bremme Schutzenhof - Bremme Vegesack/ aumund - Bremme weser - Brink hannover - Brunswick Busing - Dalum - Dreutte - Engerhafe - Fallersleben Laagberg - Farge - Fidelstedt - Finkenwerder - Fludwigslust - Fulsbuttel - Geilenberg - Glassau bei Sarau - Goslar - Gross Fullen - Gross Hesepe - Hamburg - Hausberge Porta - Helmstadt - Hidelsheim - Horneburg - Howachts Lütjenburg - Kaltenkirch Heinkaten - Kiel - Ladelund - Langenhagen Hannover - Langenhorn Hamburg - Laasberg - Ladelung - Lengerich - Lerbeck - Limmer Hannover - Linden - Lübberstadt - Lujtenberg - Meppen - Minden - Misburg Hannover - Mölln - Neesen - Neugraben - Neuhof - Neuland Bremen - Neunkirchen - Neustadt - Nutzen - Ohldorf - Osnabruck - Osterort - Poppenbüttel Sasen - Porta Westfalica - Salzwedel - Sandbostel - Sasel - Salzgitter - Schandelah - Schützenhof Bremen - Schwessing Husum - Sollstadt - Spaldingstrasse - Steinwerder - Stöcken Hannover - Stuklenwert - Tiefstak - Uelzen - Veleen - Veerssen - Vegesack Aumun - Verden Aller - Wandsbeck - Watenstedt Drütte Salzgitter - Wedel - Wilhemsburg Hamburg - Wilhemshaven - Wittenberge - Wolfsburg - Wöbbelin Ludwigslust.
TRAGIQUE ÉPILOGUE
Des déportés ont essayé de s'organiser clandestinement à Neuengamme pour faire face à un massacre général possible avant le départ des SS. Comme pour la plupart des autres KZ, les derniers mois seront dramatiques, aussi bien dans le camp central que dans les kommandos. Et un drame terrible va se produire à Lübeck.
Résistance
H. Langbein rapporte que des détenus travaillant dans le bureau des registres ont, à de nombreuses reprises, sauvé leurs camarades en échangeant leur état civil avec ceux des morts. Il cite le cas de deux aviateurs anglais abattus en mars 1943 au voisinage de Hambourg, arrivés grièvement blessés au Revier, que les SS avaient décidé d'exécuter et qui furent sauvés (" On s'arrangea pendant la nuit pour leur substituer deux cadavres qui se trouvaient dans la morgue. ").
Le même auteur signale qu'un Directoire militaire est mis en place par les déportés, avec le Russe Bukrejev à sa tête. Mais l'entreprise ne devait pas aboutir. L'organisation secrète fut dépassée par les événements. Le 18 avril, immédiatement avant l'évacuation, des dissensions violentes éclatèrent au sein du Directoire composé d'un Russe, un Polonais, un Français, un Belge et un Autrichien. À l'époque, les représentants des autres nationalités avaient été inclus. Un médecin tchèque, Bohumil Doslik, note:
« Les Russes s'entêtent à prendre le pouvoir par les armes. Si nous ne nous soulevons pas dès que possible pour profiter du moment favorable, alors que les autorités sont désemparées, nous condamnons le camp à la mort. »
Mais le groupe ne disposait que de trois pistolets, avec peu de munitions, alors que quelques compagnies restaient encore sur place pour assurer la surveillance. On ne prit donc aucune décision qui aurait pu avoir des conséquences graves. Dès le lendemain, la main du destin s'abattit sur les détenus. L'évacuation commença.
Assassinats
Le comportement des autorités de Neuengamme est semblable à celui des autres KZ: exécutions jusqu'au dernier moment et évacuations inhumaines. Un massacre particulièrement abominable a lieu vers la mi avril 1945. Tragédie de la déportation rapporte le témoignage du médecin SS Trzebinski devant le tribunal de Hambourg. Il explique que le commandant du KZ Pauly lui a donné l'ordre de tuer les enfants sur lesquels des inoculations de divers bacilles avaient été pratiquées dans le centre d'expérimentation scientifique du camp dirigé par le médecin SS Hassmeyer. Au nombre de vingt, dix garçons et dix fillettes, ils étaient arrivés d'Auschwitz en juillet 1944 et étaient logés au Block 18. Ces cobayes étaient nourris convenablement et pouvaient jouer devant leur baraque.
« Sauver les enfants était chose impossible, dit Trzebinski, et leur injecter du poison était également impossible, car ils ont les artères trop petites. Les 20 enfants sont alors conduits dans un abri de bombardement installé dans les sous-sols. Trzebinski reste avec eux pour les calmer. Il leur dit qu'avant le voyage qui allait les libérer, ils allaient être piqués contre le typhus. Les malheureux petits tenaient serrés dans leurs bras leurs jouets et le petit ballot qui contenait tout leur pauvre bien. lis s'assoient sur les bancs. Ils ont de cinq à douze ans. Il fait nuit. L'un après l'autre, il les pique à la morphine. Au fur et à mesure qu'un enfant est injecté, il se roule dans une couverture. Petit à petit, la drogue faisant son effet, les enfants s'endorment. Le sous-officier SS Framm emmène alors dix enfants, Trzebinski le suit dans une cave où une corde à nœud pend à un crochet. Framm passe le petit corps tout endormi dans la boucle et s'accroche à lui avec tout le poids de son corps, afin de hâter la mort. Trzebinski se sent mal et va dans la cour prendre l'air. Après une demi-heure, il revient dans la cave où le corps inerte d'une petite fille pend à un crochet. Dans un coin gisent déjà trois cadavres. Quelque temps après, dans l'abri, il ne reste plus que vingt couvertures entrouvertes et les petits paquets entassés dans un coin. »
Évacuations
En avril 1945, l'avance alliée à l'ouest provoque le départ des kommandos vers le camp central. Il est extrêmement difficile de préciser le destin de ces kommandos. Ordre est donné aux déportés de faire route à pied vers Neuengamme. Les malades sont, en principe, dirigés par voie ferrée sur le KZ de BergenBelsen. On a déjà décrit le calvaire de ces colonnes à pied, la souffrance des déportés, la hargne des SS, la balle dans la nuque qui abat les traînards. Ainsi que celui des " trains de la mort ", errant de gare en gare, sous les bombardements alliés.
Quelques jours après, l'ordre est donné d'évacuer le camp central. Trois convois partent donc l'un pour Bergen-Belsen, l'autre pour Sandbostel, le dernier pour Lübeck. Peu de déportés devaient atteindre ces trois destinations. La confusion est telle que le train pour Sandbostel n'atteint ce Stalag (Stalag XB) qu'après un périple de 735 kilomètres. Même parmi les arrivants, peu survécurent. Lorsque Sandbostel est libéré le 29 avril 1945, des centaines de corps gisent sur le sol, tandis qu'un plus grand nombre encore est entassé dans des fosses communes.
La tragédie de Lübeck
Un drame effroyable attend les déportés évacués sur Lübeck. Le témoignage de Louis Maury permet d'en suivre le déroulement .
• Le 19 avril, les SS embarquent les déportés par groupes de 70 dans des wagons. Le lendemain, le train arrive à Lübeck. Les prisonniers sont transférés dans les cales de deux cargos: l'Athen et le Thielbeck.
« Bousculés, poussés sur les passerelles, des milliers d'hommes sont jetés à fond de cale, écrit Louis Maury embarqué sur l'Athen. Frappés à coups de crosse, nous glissons plutôt que nous descendons à une vitesse vertigineuse par une échelle murale haute d'environ 10 mètres. Comme du charbon dans une soute, pêle-mêle, Russes, Français, Polonais, Belges sont enfournés dans cet immense tombeau. Beaucoup perdent pied et s'écrasent au fond, entraînant dans leur chute ceux qui les précédaient. Les Posten (territoriaux de la Wehrmacht) tirent d'en haut pour dégager le pied de l'échelle, où des malheureux, les membres brisés, s'enchevêtrent. »
• Les premiers jours, pas de nourriture ni d'eau. Dans cette cale, l'atmosphère est irrespirable.
« Comme il n'y a pas de tinette, il faut uriner sur la culotte du voisin et effectuer l'autre opération sur ses propres talons. Nous sommes presque tous diarrhéiques. 500 hommes par cale. En plusieurs jours, le niveau d'excréments monte vite. Dès qu'il y a un peu de houle, cette marée d'excréments monte sur les côtés jusqu'à une hauteur de 20 centimètres. »
• Le troisième jour, les Allemands jettent des boules de pain, qui sont partagées selon la loi du plus fort. Le quatrième jour, la pluie qui suinte à travers les madriers qui obstruent l'entrée de la soute permet, enfin, de se désaltérer un peu.
• Le Thielbeck reste au mouillage dans l'avant-port de Lübeck avec 2 000 détenus dans ses cales.
• L'Athen quitte le quai avec 2 300 déportés dans ses soutes. Il rejoint au large le Cap Arcona, un ancien paquebot de croisière, et les prisonniers y sont transférés. Le Cap Arcona recevra d'autres " arrivages " et finira par héberger 6 500 déportés, sous la garde de 500 SS. A bord, les détenus allemands sont installés dans les cabines de première classe, les SS s'étant attribué les cabines de luxe. Aux Polonais et Tchèques les cabines de deuxième classe. Les Français, 1 500 environ, les Belges, Hollandais, Espagnols, Italiens se partagent la troisième classe, les Soviétiques restant dans les cales. Les Français apprécient cette amélioration de leur sort, car ils disposent enfin d'un peu d'eau courante, dont ils sont privés depuis longtemps.
• Le 3 mai, dans la rade, les nombreux bâtiments de guerre allemands ayant tous disparu dans la nuit, il ne reste que les quatre bateaux de déportés: Cap Arcona, Thielbeck, Athen et Deutschland. Peu après 12 heures, l'Athen lève l'ancre et met le cap sur le port de Neustadt.
• À 14 h 30, une escadrille de chasseurs-bombardiers anglais pique sur les bateaux. La première bombe de 500 livres tombe entre le Cap Arcona et le Thielbeck. Les suivantes atteignent les bateaux. En vingt minutes, le Thielbeck sombre le premier avec 2 000 détenus dans ses cales. Une cinquantaine seulement parviendront à se sauver.
• Le Deutschland sombre à son tour. Comme il est beaucoup plus au large, il n'y aura aucun survivant.
• Le Cap Arcona est à son tour touché à mort.
« Plusieurs incendies s'allument, écrit Louis Maury. Le feu se propage à une vitesse extraordinaire. Quand les déportés français et belges parviennent à sortir de leurs cabines, il est déjà trop tard. Certaines issues ont été bloquées par les explosions. Les autres portes, qui devaient s'ouvrir vers l'intérieur, sont férocement comprimées par la foule hurlante de douleur et d'effroi qui tente de s'enfuir vers l'entrepont. Les mitrailleuses des SS qui sont encore à bord ouvrent le feu. C'est le reflux vers les écoutilles. La pression sur les portes est maintenant double; elles ne céderont ni d'un côté ni de l'autre: à l'extérieur c'est le feu des armes, à l'intérieur celui de l'incendie qui gagne du terrain. Dans les cales où sont parqués les Soviétiques, l'horreur est indescriptible. On se bat sans merci pour accéder aux quelques échelles de fer. L'atmosphère est devenue très vite irrespirable. Des centaines d'hommes asphyxiés sont piétinés par d'autres, qui s'écroulent à leur tour. Seuls les plus forts pourront se glisser à l'air libre: ils y découvriront une autre forme d'enfer. Le paquebot se couche sur le flanc et ne sombre pas car sa largeur est supérieure à la profondeur de la baie en cet endroit. Un petit nombre de déportés peuvent ainsi sortir par les hublots de bâbord et nagent vers le rivage proche de 3 kilomètres. De la berge, des SS les mitraillent.»
150 hommes environ s'en tireront, dont 11 Français.
• Quant à l'Athen qui venait de s'éloigner des autres bâtiments, il va échapper miraculeusement au naufrage.
« La DCA se déchaîne, des avions piquent, des explosions formidables secouent la coque, écrit Louis Maury qui est à bord. Une secousse plus formidable que les précédentes ébranle l'avant du navire. Les hommes sont hébétés, comme paralysés. Tout à coup, les Russes montent à l'assaut de l'échelle, soulèvent avec leurs épaules les énormes madriers en poussant des cris effrayants. Le plafond cède, le jour apparaît. Impossible de monter sur cette échelle unique, encombrée de mains, de pieds gluants. Nous nous accrochons aux épaules, aux poches, sauvagement. Une odeur âcre de fumée saisit à la gorge. Il ne faut pas tomber, car tomber c'est ne plus pouvoir remonter et c'est la mort à quelques heures de la libération. Le bateau penche manifestement. Un grand nombre restent au fond de la cale, prostrés, incapables d'un mouvement. Nous nous agrippons avec l'énergie du désespoir, bavant, toussant, les vestes déchirées. Les explosions se succèdent sans arrêt. Nous jaillissons sur le pont comme projetés par une force inusitée. La panique est indescriptible. Tout près de nous, le Cap Arcona est en flammes. D'énormes volutes de fumée s'en dégagent, qui se rabattent sur nous. Des cris terrifiants s'en échappent. Des centaines d'hommes ne peuvent sortir des étroits couloirs où ils s'écrasent, asphyxiés par la fumée, brûlés par les flammes. Des centaines d'autres, déjà dans l'eau, coulent par congestion, par épuisement, ou atteints par les balles des Posten embarqués sur les chaloupes et qui veulent les empêcher de s'y accrocher. De féroces pugilats ont lieu autour de ces chaloupes qui chavirent... Une corde pend à l'extérieur. Des grappes humaines s'y laissent glisser. Je saute et je tombe maladroitement. L'eau glacée me suffoque. Je ferme les yeux. Je ne saurai jamais comment j'ai atteint la jetée. »
Le 4 mai les autorités britanniques établissent le premier bilan. Il y a 7 300 disparus parmi les déportés et 600 parmi les Allemands. En moins d'une heure étaient morts l'immense majorité des déportés évacués de Neuengamme sur Lübeck.
Conclusion
D'après l'étude du général Brunet, 106 000 déportés ont été détenus à Neuengamme, dont 15 000 Soviétiques, 13 000 Polonais et 8 800 Allemands. Les Français ont été 11 000 pour le général Brunet et de 11 000 à 13 500 pour M. Robert Pinson, président de l'Amicale internationale de Neuengamme .
M. Pinson estime qu'il y a eu 55 000 morts, dont 7 000 à 8 000 Français.
(Source : Le site de la déportation nazie, le camp de Neuengamme ; Neuengamme ; Amicale de Neuengamme et de ses Kommandos ; correspondance M. Norbert Ségalas)
© Copyright 2015 G. LANGLOIS/site ANLB