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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 

MES SIESTES TRES ACTIVES A NOISY-LES-BAINS

par Jean-Marie Garrigues

Les chaleurs écrasantes des mois d’été en Algérie exigeaient un repos réparateur après le repas de midi. La sieste était une obligation agréable pour les adultes mais contraignante et souvent mal acceptée par les enfants, qui pourtant se pliaient, bon gré mal gré, aux dictas des parents.

Je n’échappais pas à cette règle. Je me souviens qu’au mois de juillet, pendant ma douzième année, ma mère veillait scrupuleusement à ce qu’après avoir déjeuné, je fasse, comme toute la famille, une petite sieste de 13h30 à 14h30. Je m’allongeais donc dans le fauteuil en rotin de ma grand-mère, tout imprégné de son parfum d’eau de Cologne que j’aimais particulièrement. Je m’évertuais à faire semblant de dormir en gardant un œil demi ouvert pour surveiller tout le monde autour de moi. Aussitôt que je percevais le bruit régulier des respirations ainsi que des ronflements, je m’extirpais précautionneusement de mon fauteuil et me dirigeais vers la porte d’entrée que je prenais soin de caler pour qu’elle ne se referme pas complètement. Une fois dehors, enveloppé par la fournaise, j’allais relever les pièges à oiseaux que j’avais installés sur l’eau d’une rigole, près de la fontaine de la cave coopérative vinicole du village. Les pièges étaient faits de fibres d’alfa trempées dans de la glu de ma fabrication. Je confectionnais cette colle forte avec des chambres à air fournies par monsieur Fodor, garagiste-mécanicien, contre un travail de nettoyage de moteurs d’automobiles que j’exécutais le jeudi, jour sans école, à l’aide d’un gros pinceau trempé dans l’essence. En prime j’avais droit à du chocolat. Aussitôt en possession de ces précieuses chambres à air, je les faisais chauffer dans l’eau, avant midi, jusqu’à obtention de la glu. Les pièges étant bien dressés, je les surveillais pour intervenir au plus vite et éviter les éventuelles noyades des oiseaux qui s’étaient fait prendre, tout en veillant à ce que quelques gamins descendus des douars environnants ne subtilisent pas les fruits de ma chasse. Quelquefois j’étais obligé de changer mes pièges de place pour être plus tranquille.

Ainsi je capturais des verdiers, chardonnerets, serins et même parfois des colibris que je vendais à un oiseleur de Mostaganem. J’étais très fier de gagner par moi-même un peu d’argent de poche. Il n’empêche que je m’échappais clandestinement pendant l’heure de la sieste. Je devais être impérativement de retour à la maison, assis dans mon fauteuil avant que ma mère ne se réveille, sous peine de me voir infliger une punition.

Je croyais mon stratagème infaillible jusqu’au jour où ma mère se réveilla plus tôt, s’aperçut de mon absence et attendit mon retour qui se voulait discret. Elle me somma de m’expliquer. Je lui avouai tout. Elle m’interrogea longuement sur mes captures et le devenir de ces petits oiseaux. Finalement, son gentil regard posé sur moi, elle m’approuva par un doux sourire, heureuse sans doute de mon initiative pour améliorer financièrement mon ordinaire. Avec l’argent cumulé de ces ventes je pourrai m’acheter quelque chose d’utile : ce fut un cartable tout neuf pour la rentrée scolaire.

Jean-Marie Garrigues

(Source : Le Lien, bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy-les-Bains, n° 52, septembre 2011)
 

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