Histoire avant 1848
Archives / Bibliothèque
Vie des Communautés
Centenaire 1914-1918

ANLB

Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

APRES L’INDEPENDANCE A NOISY

par Norbert Ségalas

Début 1964, mon temps de service militaire arrive à sa fin. Un mois avant ma libération, passage devant le colonel du G.R.E.T. 809 au camp Sainte-Marthe à Marseille. Quand mon tour arrive, le colonel me demande où j’habite. Je réponds :

-Chez moi, à Noisy-les-Bains.

-Où ça ?

-A côté de Mostaganem !

-Quoi ?

-J’habite là-bas avec mes parents.

Il se tourne alors vers ses subalternes et leur dit :

-Mettez-le dans le premier bateau en partance pour Oran !

Aussitôt dit, aussitôt fait et c’est ainsi que je fus libéré un mois avant les copains qui me jalousaient un peu en me voyant en civil. Mon sergent De Plano m’offre un dernier verre au mess et me quitte rapidement pour cacher son émotion ; on a beau être un vieux briscard, ça n’empêche pas la sensibilité. C’est que nous avons passé trois mois au centre de transmission de St-Maurice l’Ardoise à nous démener devant les consoles de radios, télétypes et téléphones pour dispatcher les harkis un peu partout, surtout dans des centres forestiers. Le camp de St-Maurice l’Ardoise avait auparavant servi comme lieu de détention de prisonniers OAS.

Me voici donc dans le bateau, au plus mauvais endroit, dans l’étrave du navire, avec des jeunes militaires qui regagnent Oran, je suis le seul civil. Le bateau tangue avec des creux de plusieurs mètres, je suis malade comme un chien, je vais crever. Enfin, un brouhaha me réveille, quelqu’un dit qu’on arrive. Péniblement, je peux quand même monter à quatre pattes sur le pont. La brume matinale me fait du bien ; on entend quelques chasseurs d’Afrique. Accoudé au bastingage, j’essaie d’expliquer à mes voisins que la colline que nous voyons devant nous s’appelle la Montagne des lions, mais ils ne m’écoutent pas, ils sont tristes…

Mon père et mon oncle m’attendent. Je passe à la douane où, apprenant que je suis libéré en Algérie, le chef douanier me félicite… il ne doit pas souvent voir de cas pareil !

Nous passons par les « assi » Ammeur, Bou Nif et Ben Okba, le tronçon de route en béton est toujours là et les joints de dilatation malmènent les amortisseurs de la Simca, et nous rentrons par La Stidia.

Enfin, Noisy ! La maison est pleine, d’une façon qui ne m’était pas familière. En effet, nous nous retrouvons à table avec M. et Mme Bernal et M. et Mme Amoros qui se sont repliés chez nous et nos voisins et amis de toujours, Eléonore et François Herrero (que j’ai toujours appelé Fafa). En dégustant la quiche lorraine de Mme Bernal, je souris en pensant que les deux briquetiers de Noisy sont réunis dans une maison faite en pierre de taille.

Les Amoros ont dû quitter leur appartement de fonction de la briqueterie industrielle après avoir subi un siège durant la nuit de l’indépendance (plusieurs cas similaires se sont produits dans le village) et, la solidarité ancestrale se manifestant d’emblée, mes parents les ont hébergés en leur cédant la chambre d’amis jusqu’à leur départ définitif.

Il n’y a plus grand monde à Noisy et ceux qui restent préparent leur départ. L’après-midi nous allons jouer à la pétanque sur le parvis en terre battue de la coopérative en face de chez Bébert Morin et Gilbert Beheng. Il y avait aussi monsieur Roos, François Herrero, monsieur Behenf, Gilbert Dornier, mon père, Pierre Ségalas et quelques autres. Les souvenirs me reviennent par bribes : les fils Beheng s’amusent avec le serpent que leur père portait dans sa chemise ; dans un coin du parvis, un chacal tire sur la corde en allant de droite à gauche, inlassablement, creusant ainsi la terre d’un arc de cercle comme dans les dessins animés.

Un jour, une moukère qui logeait dans la maison d’un jardin en allant vers le grand bassin, arrive en vociférant et en brandissant deux poules saignées par le chacal qui s’était échappé. Gilbert réussit à la calmer en lui payant ses poules.

Un autre jour, avec Albert Morin, frère de Jocelyne et Céline, nous avons fabriqué de la glu en brûlant une vieille semelle crêpe (que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître), d’un geste maladroit j’ai failli mettre le feu à l’établi, heureusement que Albert, grâce à son sang-froid olympien, a vite remédié à la situation. Ensuite, après avoir enduit quelques brins d’alfa, nous sommes allés à la « sulfureuse », puis à la source qui se trouve après les « sables rouges » pour attraper quelques chardonnerets, serins ou autres… A l’affût, nous n’avons pas vu le temps passer et je me rappellerai toujours, à notre retour, l’anxiété mêlée de soulagement qui émanaient du visage de Germaine Morin morte d’inquiétude.

Jocelyne et Yvan Morin allaient rester comme instituteurs au titre de la coopération, continuant d’habiter la maison familiale. Ils venaient de recevoir une caméra et un projecteur en kit et m’ont demandé de faire les câblages du projecteur, malheureusement la lampe qui avait souffert durant le transport a éclaté à sa mise sous tension. Quelque temps après, après avoir reçu une nouvelle lampe, ils m’ont fait voir leurs premiers essais cinématographiques.

Les dames du quartier, en robes de chambre, se réunissaient devant la maison pour papoter au soleil du matin. Il y avait Eléonore Herrero, ma mère, Françoise Amoros et sa fille, Aline et Simone Repelin. C’était malgré tout encore du « bon temps ».

Le diocèse ne nous abandonnait pas et tous les dimanches un prêtre venait nous dire la messe, nous n’étions qu’une poignée de fidèles, une dizaine au maximum. C’est Albert (Bébert) Morin qui, de sa place, faisait tinter la sonnette au moment de l’élévation. Et dire qu’avant, l’église était pleine.

Un beau jour, Aimé (Mémé) Vuillaume avec tout le conseil d’administration de la cave coopérative décide de faire un méchoui. Aussitôt dit, aussitôt fait et c’est ainsi que le tout Noisy (qui reste), et même quelques Stidéens, se retrouvent dans la cour cimentée d’Edgar Hernandez (père de Christian et Gilles) où des tables ont été dressées. On sent que c’est un repas d’adieu. Le méchoui est réussi, la viande délicieuse, l’ambiance douce, feutrée, conviviale, toutes les inhibitions et les petites mesquineries qui jalonnent la vie quotidienne sont effacées. C’était formidable, et je pèse mes mots. A la fin de nos agapes, près de moi, Adrien (Tintin) Morin (père d’Yvan et Jean-Marie) après avoir été sollicité, se lève pour pousser la chansonnette, et de sa belle voix nous gratifie de « la trompette en bois », une vieille chanson qui commence par « Il était une fois, quoi, quoi, quoi… » et finit par « C’est une trompette en bois ». Et tout ça, sous l’œil mi réprobateur et mi amusé de Solange, sa femme.

Une autre fois, j’ai accompagné monsieur Beheng chez lui, je ne me rappelle plus pourquoi. Nous sommes passés par une grande salle qui devait être une ancienne salle à manger où nous avons été accueillis par les chants mélodieux et disparates de dizaines de serins, canaris, etc.. La pièce était tapissée de cages de différentes formes et couleurs, toutes accrochées aux quatre murs. Devant mon étonnement, M. Beheng m’a expliqué en rigolant que les gens, avant de partir, lui avaient confié leurs petits animaux de compagnie, dont ces oiseaux, car ils savaient qu’il s’en occuperait, connaissant tout l’amour qu’il avait pour les bêtes.

Norbert Ségalas

(Source : Le Lien, bulletin des Enfants de La stidia et Noisy-les-Bains, n° 61, décembre 2013)

 

© Copyright 2016 G. LANGLOIS/site ANLB