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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
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JEAN-MARIE ET LES BETTERAVES

par Aimé Vuillaume

C’est un texte que nous avons co-écrit avec Jean-Marie Garrigues, il s’agit d’une petite histoire qui permet de se remémorer des liens et des personnes qui nous entouraient.

Il y a quelque temps, Jean-Marie Garrigues, en me téléphonant, a évoqué une histoire d’enfance que nous n’avions oublié ni l’un ni l’autre.

Nous devions, à cette époque, être âgés de sept à huit ans.

Emile Garrigues, le père de Jean-Marie, avait construit pour son fils, une petite carriole, peinte en bleu, il me semble, et montée sur deux petites roues à rayons, cerclées d’une bande de caoutchouc plein. Tractant son véhicule rutilant, Jean-Marie était venu me chercher pour l’aider à effectuer un petit travail à proximité de chez moi.

Naturellement, j’acceptais de lui rendre service et nous voilà partis, contournant, par la route, le grand jardin de la maison de ma tante Irma Meilland et de mes parents. Le parcours remontait la rue des orangers puis, arrivé au bout, au niveau de l’angle de la cave de M. Ducousso, empruntait sur la gauche le chemin de terre qui longeait notre propriété, jusqu’à ses limites, au bout de la haie des grenadiers, pour tourner à gauche en direction de la cave coopérative1. Nous passâmes à proximité de notre gigantesque sapindus et nous nous arrêtâmes en bordure d’un petit lopin de terre bien entretenu et planté de belles betteraves impeccablement alignées. Le champ se trouvait presque en limite de notre jardin, font il était séparé par un étroit chemin, creusé en son centre par une rigole empierrée servant à l’arrosage. Ce passage, que nous empruntions parfois, débouchait dans la rue des orangers, entre l’orangeraie de Gaby Morin et l’entrée de notre portail :

- C’est là, me dit Jean-Marie, il faut que nous ramassions un chargement de ces betteraves.

- Ce champ est à toi ?

- Oui bien sûr !

Sans plus d’explications, nous nous mîmes au travail, arrachant avec nos mains ces jeunes et magnifiques betteraves bien fermes. Le chargement terminé, nous fîmes demi-tour et nous nous quittâmes devant chez moi. J’avais l’esprit tranquille et la satisfaction du devoir accompli.

Le lendemain matin, j’entendis mon père évoquer le saccage du champ de betteraves de M. Jean Aldeguer, le père de Robert Aldeguer qui tenait une épicerie pas très loin de chez mon grand-oncle Pierre Corbobesse.

M. Aldeguer était très en colère !

Il avait remarqué les fines traces des roues d’un engin qui ressemblait à un jouet d’enfant. Il les avait suivies, et… elles conduisaient tout droit chez Jean-Marie, jusqu’à la porte de la petite porcherie où logeaient deux superbes cochons bien roses, affairés à manger goulûment les jeunes betteraves en grognant de plaisir.

L’enquête était bouclée, mais le courroux de M. Aldeguer n’était pas retombé. Le coupable, c’est-à-dire le propriétaire de la petite carriole fut sévèrement grondé par ses parents. Il dut présenter ses excuses à M. Jean Aldeguer, ce qui était tout-à-fait normal, mais il refusa, en bon camarade, de lui livrer le nom de son complice. Il fut durement puni par une mise au pain sec pendant deux journées entières.

Durant quinze jours nous avons évité de nous voir. Jean-Marie ne venait même plus chercher son lait, le soir, à la maison, comme d’habitude.

J’étais atterré. Même si je ne me sentais pas coupable, je n’en menais pas large, redoutant les conséquences de cet acte. J’étais triste aussi, du sort qui avait été réservé à mon copain.

Jean-Marie se fit oublier, le temps que la colère parentale retombe. Je ne me souviens même plus si, en fin de compte, il a présenté ses excuses à M. Aldeguer.

Ces faits sont bien les témoins de l’éducation, sans concession, donnée à des gamins étourdis, turbulents, et un peu malfaisants, mais sans mauvaises intentions.

Quel contraste avec le laxisme d’aujourd’hui !

Aimé Vuillaume



1) Petit anachronisme, cette histoire se déroule en 1947-1948 et la cave coopérative n'a été construite qu'en 1955.

 

(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 26, mars 2005)



 

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