Histoire avant 1848
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ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 

ACCIDENT MORTEL DU JEUNE MARCEL WAGNER



 

24 septembre 1954

EO

Un jeune cycliste tombe et se tue.

Noisy-les-Bains, 23 septembre (dncp).

Aujourd'hui, à 15 heures 30, un accident mortel s'est produit sur le chemin départemental numéro 24, à 800 mètres de Noisy-les-Bains.

Le jeune Marcel Wagner, 14 ans, de Georges-Clémenceau, se dirigeait à bicyclette vers Noisy-les-Bains en compagnie d'un jeune camarade. A un moment donné, tous deux se sont agrippés, de chaque côté, d’une pastière chargée de raisin et traînée par un tracteur appartenant à M. Emile Morin.

Le convoi, conduit par le chauffeur Moulay Chérif, se dirigeait également vers Noisy-les-Bains.

Pour une cause que l'enquête déterminera, le jeune Wagner, qui se trouvait sur le côté gauche, a été projeté violemment sur la chaussée. Relevé aussitôt par un camionneur qui suivait le convoi, et transporté dans une clinique de Mostaganem, il devait décéder peu après.

La brigade de gendarmerie s'est rendue immédiatement sur les lieux et poursuit son enquête.



 

29 septembre 1954

EO

Georges-Clémenceau

Nécrologie - Nous avons relaté, vendredi dernier, le pénible accident dont a été victime à Noisy-les-Bains le petit Marcel Wagner, âgé de 14 ans. Il était le fils de Mme et M. Marcel Wagner, propriétaire à Georges-Clémenceau, honorablement connus dans toute la région.

A l'annonce de la triste nouvelle, la commune de Georges-Clémenceau tout entière a été frappé puisque les habitants du village avaient vu le petit Marcel naître et grandir. La mort l'a frappé en pleine santé, en pleine force, en pleine vigueur, au moment même où il entrait dans l'adolescence.

Les obsèques ont eu lieu vendredi dernier, à 17 heures. Une foule considérable d'amis français et français -musulmans de toutes classes, venus de tous les centres environnants avaient tenu à accompagner le petit Marcel à sa dernière demeure.

Nous prions les parents éplorés de croire à notre sympathie sincère et nous leur adressons nos condoléances très émues.


 

C’EST EN SEPTEMBRE… L’ABSENCE DE L’AMI

par Roland Clementz

Deux très belles chansons de Bécaud sont en rapport avec mon propos d’aujourd’hui : Tu étais mon ami, un véritable frère !

On t’appelait le P’tit Marcel, et pour tes proches tu étais Marcello.

Nous étions nés la même année, j’étais ton aîné de quelques mois et curieusement, tout bébé, avant de nous connaître ou de nous rencontrer, nous étions déjà très liés. D’abord parce que nos parents étaient amis, nos pères étaient de grands copains, ensuite par le fait qu’avec mes parents nous habitions alors une petite maison en face de chez toi, maison qui plus tard fut acquise par ton père, et à l’emplacement de laquelle ton frère Georges fit construire sa belle villa.

Au bout de quelques mois mes parents allèrent habiter à environ cent mètres plus bas dans la rue, la maison de ma grand-mère. Nous vivions donc très près l’un de l’autre, et sitôt après avoir su marcher nous sommes devenus quasiment inséparables.

Ensemble nous avons parcouru le chemin de la petite école, de l’église et de la grande école. Nous avons eu les mêmes maîtres : Mlle Goudou, Mme et M. Grappe, le curé Munoz.

Ensemble, nous avons fait communion, confirmation, communion solennelle ; c’est aussi ensemble que nous avons été enfants de chœur, que nous avons partagé tous nos jeux et bien sûr d’innombrables bêtises, et c’est encore ensemble que nous sommes entrés au lycée René Basset à Mostaganem.

Je me souviens de cette immense cave, contiguë à la maison, où malgré l’interdiction de ton père, nous aimions aller jouer. Là, nous pouvions à notre aise nous cacher, grimper, escalader, sans nous rendre compte des dangers que cela pouvait comporter : risques de chutes ou de blessures graves, et, surtout pendant les vendanges, tous ces risques dus aux machines avec leurs courroies et engrenages qui tournaient à grande vitesse et pouvaient nous happer ou même nous broyer.

Que de rappels à l’ordre et de menaces du fouet par ton père n’avons-nous pas reçus ! Mais le plus souvent c’était d’un bref et magistral coup de sifflet strident, dont il avait le secret, qu’il nous rappelait l’interdiction de jouer dans cette cave.

Et il avait raison, le brave homme ! Mais nous, gamins turbulents et inconscients, on ne voyait pas le danger ; si bien qu’un jour tu es tombé dans une cuve de fermentation, heureusement vide puisque les vendanges étaient terminées, mais suffisamment profonde pour que tu puisses te rompre le cou. Tu t’en étais tiré avec une énorme bosse au front et un bleu de plusieurs jours.

Il y avait aussi ce grenier, juste au-dessus de l’écurie. Une année, nous devions avoir huit ou neuf ans, il était garni de grosses carottes fourragères destinées à l’alimentation des chevaux, et nous les garnements, les trouvions tellement à notre goût que, le soir au dîner, nos mères respectives s’inquiétaient de notre manque d’appétit… et pour causes !

Ensemble pour ces parties de pêche sur la barque de ton père ; c’est même là, vers six ou sept ans, que nous avons appris à nager, au large, une corde passée autour de la taille, solidement tenue en main par nos pères qui, malgré notre appréhension, nous avaient poussés à l’eau.

Ensemble encore cette fois à jouer au singe, dans les énormes roues de ce rouleau compresseur qui me passa sur le pied.

Un peu plus âgé, c’est toujours ensemble que nous faisions des escapades à vélo sur les chemins de la commune, allant jusque dans les villages voisins de Rivoli, Noisy, Fornaka.

Ensemble, ce jour de septembre où, fatigués d’avoir roulé, un peu avant l’arrivée à Noisy, nous nous sommes accrochés chacun d’un côté de la remorque d’un tracteur chargé de raisin, roulant vers sa cave.

Puis ce fut le drame, rapide, soudain, incompréhensible, inexorable. Tu gisais sur la route près de ton vélo. Je suis accouru, tu ne bougeais pas, tu ne répondais pas à mes appels. Un camion est arrivé et avec le chauffeur nous t’avons transporté, toujours inconscient, chez le docteur Camusat à Noisy, je ne comprenais rien à ce qu’il disait : fini…, quoi fini ? Comment fini ? Tu étais encore tout chaud de transpiration dans mes bras, tu semblais dormi paisiblement. Hélas ! Tu étais déjà loin, dans la lumière de cet après-midi de septembre, pédalant sur le chemin du paradis, tu avais tout juste 14 ans.

La nouvelle, répandue comme une traînée de poudre, fit l’effet d’un coup de tonnerre semant la consternation, le désarroi et la peine dans nos deux villages et dans toute la région.

Durant plusieurs jours je suis resté choqué, absent, comme dans un trou noir, ne sachant même pas qui m’avait ramené chez moi, je ne comprenais pas comment, à 14 ans, on peut passer de l’autre côté, comme ça sans bruit, en quelques secondes.

A tes obsèques, que de monde ! J’étais avec le groupe d’enfants de chœur, nous t’avons tous accompagné jusqu’à notre petit cimetière marin, mais je ne voyais pas grand-chose de cette cérémonie d’adieu, avec les yeux bouffis de larmes et la tête prête à exploser. J’avais du mal à réaliser que c’était toi que l’on portait en terre, je suis resté prostré longtemps, le cerveau comme dans un brouillard.

Quinze jours plus tard c’était la rentrée des classes, tu n’étais pas là pour m’accompagner au lycée, et tu ne serais plus jamais là !

Cinquante ans ont passé, tu es toujours là, présent dans mon cœur et mes souvenirs. Qu’elle est lourde à porter l’absence de l’ami.

Aujourd’hui, arrivé à l’automne de ma vie je me souviens toujours que… c’est en septembre…

Roland Clementz


 

Avec ce texte de Roland Clementz qui fait revivre un moment difficile de la famille Wagner de La Stidia, mais qui, en même temps nous rappelle le souvenir d’un jeune enfant de chez nous, connu et apprécié de tous, j’ai demandé à Georges Wagner de bien vouloir me permettre d’agrémenter le texte de quelques photos souvenirs de son jeune frère, destinées à mieux cerner le souvenir. Georges m’a fait parvenir quelques photos et a souhaité s’exprimer sur ce douloureux sujet qui a marqué notre mémoire collective, tant l’émotion et la consternation étaient grandes.

Maurice Langlois


 

Merci Roland

  • Que de mauvais souvenirs tu remues en rendant hommage à mon frère Marcel.
  • Que de mauvais souvenirs, en pensant à mon père, à ton père, qui s’estimaient tant et qui, du jour au lendemain, se sont tournés le dos.
  • Que de mauvais souvenirs en pensant au drame qu’ont pu vivre nos parents respectifs, illustré par la réaction de ta mère, qui, accrochée à mon cou, à m’étouffer, n’a pu que balbutier : « Oh, Georges ! Oh, Georges ! ». Je ne l’avais pas revue depuis cinquante ans (c‘était aux retrouvailles 2002).
  • Merci Roland ! Merci Roland de tout mon cœur, de ces quelques phrases qui ont fait revivre certains moments de notre vie, qui nous ont respectivement marqués profondément, et qui ont fait revivre, si l’on peut dire, mon frère.

Georges Wagner



 

(Sources : L’Echo d’Oran ; La Gazette de Noisy-les-Bains, tome V ; Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 25, décembre 2004)



 

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