Histoire avant 1848
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Vie des Communautés
Centenaire 1914-1918

ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 

MAUVAISE GESTION DU MAIRE REGNOULT


 

PRESENTATION

Les « affaires » ne sont pas une spécialité de notre époque et pour ceux qui en douteraient en voici une qui a agité en son temps notre jeune village.

Louis-Edouard Regnoult, né en 1823 à Louviers (27), ayant terminé son temps de service militaire en 1849 vint retrouvé à Aïn-Nouissy sa mère et son beau-père, Mme et M. Tressy, arrivés dans la colonie agricole avec le convoi de 1848. En décembre 1850 il épousa Eugénie Carméline Langlois, appartenant elle aussi à une famille de 1848.

Très rapidement il remplit les fonctions de « greffier » auprès des différents directeurs militaires et, naturellement, en 1852 quand l’armée passa la main aux civils sa connaissance reconnue de l’administration du village le désigna pour la fonction de maire ; en effet, à l’époque les maires étaient nommés par les préfets, ils ne seront élus qu’après la chute de Second Empire en 1870.

Cependant, le mode de gestion du nouveau maire rencontra très vite une vive opposition de la part de certains colons, en particulier Jacques François Quintaine qui obtint en 1853 que le sous-préfet diligentât une enquête, mais avant que les conclusions du juge de paix fussent connues le maire rentra en France (où il mourut à Paris en 1880) et l’affaire en resta là… Peu après, Quintaine fut nommé maire d’Aïn-Nouissy et le resta jusqu’en 1870.

Les documents de cette enquête sont présentés ici selon le classement du juge de paix qui a mené l’enquête en 1853.

*****

1853
Le Procureur Impérial
contre

Regnoult, maire d’Aïn-Nouissy,
canton de Mostaganem

Inculpé de malversations et d’abus d’autorité

***

1

Aïn-Nouissy, le 4 janvier 1853

A Monsieur le sous-préfet de Mostaganem

Monsieur le sous-préfet

Le soussigné colon cultivateur à Aïn-Nouissy membre du comité consultatif et ancien moniteur agricole a l’honneur de vous exposer qu’il a recours à votre sollicitude bien connue pour le bien des colonies et au nom de la nôtre, vous entretenir de faits qui lui paraissent avoir de la gravité.

D’abord des effets d’habillement ont été confiés à Monsieur le maire d’Aïn-Nouissy par l’administration pour être distribués aux colons les plus nécessiteux [en marge : Mmes Villequier, Leblanc, Rozan], ces effets ont été donnés à des individus étrangers à la colonie.

Je viens donc, monsieur le sous-préfet, vous prier de demander à monsieur le maire compte de cette distribution ; plusieurs colons à cause de la qualité de membre du comité ont adressé des demandes en éclaircissement.

Le soussigné craindrait d’abuser des moments si précieux de monsieur le sous-préfet, c’est pourquoi il se borne à demander si on peut revenir sur les comptes de la colonie que depuis très longtemps la masse des colons voudrait voir apurer, tels que les produits de fourrage, de figues vendues au profit de la colonie, et aussi de deux mulets qui ont été vendus 520 francs chacun, de sommes prêtées aux colons par monsieur le directeur Malgouyré, de sommes appartenant à la colonie qui ont été recouvertes par monsieur le maire ; il a aussi recouvré des sommes provenant de vente de fourrage, d’orge et d’outils aratoires vendus sur la voie publique au nom de monsieur Largot précédent directeur, et autres réclamations que le soussigné se réserve de soumettre à monsieur le sous-préfet s’il le désire.

Le soussigné avait porté ces réclamations devant monsieur Magnin, capitaine directeur qui l’a renvoyé à se pourvoir devant qui il aviserait bien.

Donc ces réclamations ont été par lettre soumises à monsieur le général commandant la subdivision qui n’a pas jugé à propos de donner suite à cette demande.

Enfin monsieur le sous-préfet, le soussigné ne demande pas mieux que de s’expliquer aux qualités dont est question ci-dessus et ce devant monsieur le maire dûment appelé.

Confiant dans la justice bien connue de monsieur le sous-préfet, le soussigné reste avec le plus profond respect, de monsieur le sous-préfet, le très humble et très obéissant serviteur.

Signé Quintaine

[Nota, en marge on peut lire la précision suivante : “M. Canu a écrit la lettre” (M. Canu était l’instituteur)]

***

2

Aïn-Nouissy, le 21 février 1853

Monsieur le juge de paix

Ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le promettre le 13 courant, je vous donne ci-dessous le nom de quelques nouveaux témoins qui sont : MM. Poix [Pouey ?], Dieuzy, Berger, Jeunehomme.

Et au besoin d’autres ; aujourd’hui s’est adressé à moi le sieur Bourg dont le lot de figues a été vendu par monsieur le maire sans que lui, Bourg, ait jamais pu obtenir le prix de ses figues vendues.

J’ai l’honneur d’être avec respect, monsieur le juge de paix, votre humble serviteur.

Signé Quintaine

***

3

[Non datée]

Monsieur le juge de paix du canton de Mostaganem

Monsieur le juge de paix

Je crois nécessaire de me poser d’une manière convenable vis-à-vis de la justice pour justifier la ténacité avec laquelle je poursuis l’affaire contre notre maire. J’ai toujours eu en main depuis l’origine de notre colonie, les intérêts de mes concitoyens soit comme moniteur agricole d’abord puis comme membre du comité consultatif ensuite et enfin comme ayant la confiance de la presque totalité des habitants d’Aïn-Nouissy. C’est cette confiance qui fait que continuellement je suis consulté sur les comptes, ventes, recouvrement qui peuvent intéresser notre colonie tels que :

1°- Des fourrages vendus et livrés à l’administration au profit de la colonie.

2°- Des figues vendues aux Arabes ; ces figues appartenant à la colonie.

3°- Deux mulets aussi appartenant à la colonie, vendus.

4°- Des sommes prêtées à divers colons par monsieur le capitaine Malgouyré, directeur, en argent appartenant à la colonie et recouvrées par monsieur le maire.

5°-Il a été affiché par monsieur le maire qu’il était expressément défendu par lui d’ensemencer sur les communaux ; aucun colon n’a mis la charrue ni ensemencé ces terrains et cependant une grande partie se trouve emblavée, ce qui contrarie beaucoup les colons qui ont dès actuellement une grande quantité de bestiaux, qu’ils ont par-là beaucoup de difficulté à faire paître leurs troupeaux ; l’affiche énoncée ci-dessus est antérieure aux ensemencements dont il est question et a été recueillie par M. Morin, l’un de nous, et remise à monsieur Borel, inspecteur.

J’ai aussi eu l’honneur de vous annoncer deux nouveaux témoins dans l’affaire [illisible] concernant les effets d’habillement, ce sont Mme Jeunehomme, Melle Philomène Raymond. Au sujet de ces effets d’habillement la dame Rozan qui a déposé déjà paraît être loin d’avoir dit tout ce qu’elle savait ; soit par timidité, soit parce que les questions à elle faîtes n’ont pas précisé pour elle ce qu’elle avait vu ou appris, elle s’est mieux expliquée devant plusieurs d’entre nous, notamment devant M. Vilquier, garde champêtre par intérim.

6°- Monsieur le juge de paix, les cinq chefs ci-dessus énoncés regardent la commune et devaient se résoudre pour elle en recettes ou récoltes. Mais j’ai eu l’honneur de vous parler au nom de plusieurs colons dont monsieur le maire a vendu la récolte en figues leur appartenant et qui jusqu’à ce jour n’ont pu obtenir le paiement de ces figues.

Les réclamants signent avec moi la présente réclamation tel que vous me l’avez dit.

Tout à vos ordres, je reste avec le plus profond respect, monsieur le juge de paix, votre très humble et très obéissant serviteur.

Signé Quintaine

[En marge] : Les soussignés réclament le montant de la vente des figues de la dernière récolte que M. le maire d’Aïn-Nouissy leur a vendu sans les en prévenir à des Arabes.

Signé Robert d’Eshougues.

Parlier [Paralieu] ne sachant signer à fait une croix, [illisible], Rozan.

***

4

Circulaire

Aïn-Nouissy, le 15 avril 1853

Monsieur,

Vous êtes invité d’acquitter dans les 24 heures le montant des fourrages qui vous ont été livrés par mes soins.

Faute par vous de vous présenter à la mairie dans ce délai, je remettrai le dossier entre les mains de la justice.

Le maire, Regnoult

[Cette circulaire a été adressée au colon Pouey qui y fait référence dans sa déposition, document 16, elle porte dans la marge la mention et les signatures ci-dessous]

Ne varietur

Quintaine, Pouey,

Thomassin, Courserant.

***

5

27 janvier 1853

Instruction

DEPOSITION DE MME VILQUIER

L’an mil huit cent cinquante-trois le vingt-sept Janvier

Devant nous Pierre, François, Jules Thomassin, juge de paix de Mostaganem, assisté de M. Courserant notre greffier.

Nous étant tous deux transportés aux fins ci-après, à la colonie d’Aïn-Nouissy, et procédant ensuite d’une plainte adressée à monsieur le sous-préfet de Mostaganem, à la date du quatre Janvier courant signée par le sieur Quintaine, colon d’Aïn-Nouissy, qui en a affirmé le bien fondé.

Est comparue sur notre simple demande la dame Marie Poupée femme du sieur Honoré Vilquier âgée de trente-quatre ans, profession de cultivatrice demeurant à Aïn-Nouissy, non parente, ni alliée ni au service de l’inculpé.

Laquelle après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Savez-vous si le maire a fait des distributions d’habits à des personnes étrangères à la colonie ?

R.- Mon mari a entendu dire à un nommé Dulac que le maire, M. Regnoult, avait donné à son domestique, homme étranger à la colonie mais restant chez lui depuis six mois, des chaussons et un caban.

D.- Vous plaignez-vous d’autres choses ?

R.- Non Monsieur.

Lecture faite au témoin de sa déposition, a déclaré persister et ne savoir signer, nous l’avons fait avec le greffier.

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

***

6

27 janvier 1853

DEPOSITION DE MME ROZAN

[…]

Est comparu sur notre simple invitation la dame Françoise Rozan épouse de feu Jean Rozan, âgée de trente-six ans, profession de cultivatrice demeurant à Aïn-Nouissy, non parente, ni alliée ni au service de l’inculpé.

Laquelle après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Savez-vous si M. Regnoult, maire d’Aïn-Nouissy, a distribué à des étrangers à la colonie des effets qu’il devait distribuer aux colons d’Aïn-Nouissy ?

R.- Je n’en sais rien.

D.- Avez-vous à vous plaindre de l’administration du maire ?

R.- Non Monsieur.

Lecture faite au témoin de sa déposition, il l’a déclarée conforme à ses réponses et vouloir y persister, requis de signer, il a dit ne savoir, nous l’avons fait avec le greffier.

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

***

7

27 janvier 1853

DEPOSITION DE M. PETRUS BOREL

[…]

Est comparu sur notre simple invitation le sieur Petrus Borel, âgé de quarante ans, profession d’inspecteur de la colonisation, demeurant à Mostaganem, non parent, ni allié ni au service de l’inculpé.

Lequel après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Pouvez-vous donner des renseignements au sujet de la plainte du sieur Quintaine, au sujet de la distribution d’effets d’habillement.

R.- Il avait été confectionné en France des effets d’habillement pour les colonies de mil huit cent quarante-huit. En mil huit cent cinquante-deux, en prévision de la remise à l’autorité civile, ordre fut donné de vider les magasins, chaque colonie eut une part dans les effets restant en magasin et chaque maire eut ordre d’en faire la distribution aux colons purement et simplement.

Lecture faite au témoin de sa déposition, il l’a déclarée conforme à ses réponses et vouloir y persister.

Requis de signer, il l’a fait avec nous et le greffier, les jours, mois et an  sus dits [27 janvier 1853].

Signé E. Courserant

Signé Petrus Borel

Signé P. Thomassin

***

8

27 janvier 1853

DEPOSITION DE M. GEORGES

[…]

Est comparu sur notre simple invitation le sieur Michel Georges âgé de trente-quatre ans, profession de colon demeurant à Aïn-Nouissy, non parent, ni allié ni au service de l’inculpé.

Lequel après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Avez-vous vu des effets d’habillement de subvention distribués par le maire à des personnes étrangères à la colonie ?

R.- J’ai vu un maçon qui travaille ordinairement dans la colonie et qui a travaillé pour le maire, porter ordinairement un caban de distribution. Ce ne peut être que le maire qui le lui a donné.

D.- Avez-vous vu d’autres effets portés par le domestique du Maire ?

R.- Je lui ai vu porter une blouse grise absolument semblable à celles qu’on nous a distribuées, mais je ne puis affirmer que ce soit le maire qui la lui ait donnée.

Lecture faite au témoin de da déposition a déclaré persister. Requis de signer, il l’a fait avec nous et le greffier.

Signé Georges

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

***

9

27 janvier 1853

DEPOSITION DE M. DESPLANCHES

[…]

Est comparu sur notre simple invitation le sieur Arsène Desplanches âgé de trente ans, profession de boulanger, demeurant à Aïn-Nouissy, non parent, ni allié ni au service de l’inculpé.

Lequel après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Savez-vous si M. le maire a distribué à des personnes étrangères à la colonie des effets d’habillements ?

R.- J’ai vu le domestique de M. Regnoult et un maçon ayant travaillé chez lui porter chacun un caban et une blouse dépendants des effets de distribution. J’ignore s’il les leur avait donnés ou vendus.

D.- Savez-vous autre chose ?

R.- Non.

Lecture faite au témoin a déclaré persister. Requis de signer, il l’a fait avec nous et le greffier.

Signé Desplanches

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

***

10

27 janvier 1853

DEPOSITION DE MME BLANC

[…]

Est comparue sur notre simple invitation la dame Julie Fournier, femme de Louis Blanc âgée de trente-trois ans, profession de cultivatrice, demeurant à Aïn-Nouissy, non-parente, ni alliée ni au service de l’inculpé.

Laquelle après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Que savez-vous au sujet de la distribution d’effets d’habillement faite par M. le maire d’Aïn-Nouissy à des personnes étrangères à la colonie ?

R.- Lorsque la distribution a été terminée à tous les colons, j’ai vu des souliers, environ deux ou trois paires, dans une marmite de campement, laquelle était dans une petite chambre de M. Regnoult, maire. J’ai vu seulement, par-dessus, une grande paire de souliers. Je ne sais pas s’il y en avait par-dessous destinés aux enfants. Dans la distribution j’ai eu deux paires pour enfants de six et de huit ans.

D.- Savez-vous ce que sont devenus les souliers que vous avez vus ?

R. -Je l’ignore.

D.- Savez-vous si le maire n’en aurait pas disposés en faveur d’individus étrangers à la colonie ?

R.- Je n’en sais rien.

D.- Savez-vous si M. le maire a abusé de sa position pour tromper les colons ?

R.- Je n’en sais rien

D. -Savez-vous si M. le maire a abusé de sa position pour tromper les colons ?

R.- Je ne puis le dire. Seulement il m’a refusé une paire de sabots dont j’avais besoin.

Lecture faite au témoin de sa déposition, il l’a déclarée conforme à ses réponses et vouloir y persister.

Requis de signer, il a dit ne savoir, nous l’avons fait avec le greffier les jours, mois et an susdits.

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

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11

27 janvier 1853

DEPOSITION DE M. RENAULT

[…]

Est comparu sur notre simple invitation le sieur Hilaire Renault âgé de vingt-sept ans, profession de colon, demeurant à Aïn-Nouissy, non parent, ni allié ni au service de l’inculpé.

Lequel après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Avez-vous vu des effets d’habillement de subvention distribués par le maire à des personnes étrangères à la colonie ?

R.- J’ai vu M. Dulac, maçon travaillant pour le compte de M. le maire, et son domestique Jean, porter chacun un caban de distribution.

D.- Savez-vous si ces objets leur avaient été donnés ou vendus ?

R.- Je l’ignore, seulement sur l’observation que nous avons faite à M. le maire, il nous répondu “cela me regarde”.

Lecture faite au témoin, il a déclaré persister. Requis de signer, il a dit ne savoir, nous l’avons fait avec le greffier.

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

***

12

27 Janvier 1853

INTERROGATOIRE DE M. REGNOULT

L’an mil huit cent cinquante-trois et le vingt-sept Janvier.

Devant nous Pierre, François, Jules Thomassin Juge de Paix de Mostaganem, assisté de M. Courserant greffier.

Nous étant aux fins ci-après transportés à la colonie d’Aïn-Nouissy, procédant en suite d’une plainte adressée à monsieur le sous-préfet de Mostaganem, à la date du quatre Janvier courant, signée par le sieur Quintaine, colon d’Aïn-Nouissy.

Est comparu le sieur Louis, Édouard Regnoult, âgé de trente ans, propriétaire, maire d’Aïn-Nouissy, y demeurant.

Lequel a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Quelle réponse avez-vous à faire à la plainte de M. Quintaine, relativement à la distribution d’effets d’habillement qui au lieu d’être donnés aux colons auraient été remis à des gens étrangers à la colonie ?

R.- Tous les effets qui m’ont été donnés à titre gratuit ont été remis aux colons. Ceux que j’ai remis aux individus étrangers à la colonie je les avais reçus en compte du directeur de la colonie et j’aurai à en rendre compte à l’intendance lorsqu’elle me demandera ce qu’ils sont devenus.

Lecture faite à M. Quintaine [(sic) le greffier aurait dû écrire Regnoult] de sa réponse, il l’a déclarée conforme à ses réponses et vouloir y persister. Requis de signer, il l’a fait avec nous et le greffier les jours, mois et an sus dits.

Signé E. Courserant

Signé L. Regnoult

Signé P. Thomassin

[en marge] Approuvé treize mots rayés nuls, signé Regnoult

***

13

15 Avril 1853

Instruction

DEPOSITION DE M. BERGER

L’an mil huit cent cinquante-trois le quinze avril.

Devant nous, Pierre, François, Jules Thomassin juge de paix de Mostaganem, assisté de M. Courserant greffier.

Nous étant exprès transportés à la colonie d’Aïn-Nouissy, à l’effet d’instruire sur les plaintes portées contre le maire de cette commune.

§§§§

Est comparu sur notre simple invitation le sieur Pierre Berger âgé de trente-neuf ans, profession de cultivateur, demeurant à Aïn-Nouissy, non parent, ni allié ni au service de l’inculpé.

Lequel après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Qu’avez-vous à reprocher à M. le maire Regnoult ?

R.- Lors de la distribution des effets d’habillement, je me suis trouvé au nombre des colons qui n’ont rien eu, et j’ai vu le domestique de M. Regnoult porter une blouse, un pantalon et un caban. J’ai vu aussi un caban noir sur les épaules d’un maçon qui travaillait pour M. Regnoult mais qui ne faisait pas partie de la colonie ! Le Maire a criblé à coups de fusil un pantalon et une paire de souliers qui étaient suspendus au mat de cocagne lors de la fête du village.

Lecture faite a déclaré persister. Requis de signer, il a dit ne savoir, nous l’avons fait avec le greffier.

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

***

14

15 Avril 1853

DEPOSITION DE M. DIEUZY

[…]

Est comparu sur notre simple invitation le sieur Dieuzzy Pierre, âgé de quarante-trois ans, profession de cultivateur, demeurant à Aïn-Nouissy, non parent, ni allié ni au service de l’inculpé.

Lequel après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Qu’avez-vous à reprocher au maire M. Regnoult ?

R.- Lors de la distribution des effets d’habillement, le maire Regnoult a donné à un nommé Dulac, ouvrier maçon, un caban, et j’ai vu son domestique porter une blouse, un pantalon et un caban. De plus, lors de la fête du village, M. Regnoult suspendit au mât de cocagne comme prix, une paire de souliers et un pantalon. Pour exercer son adresse il tira des coups de fusil sur ces effets et les détériora. Les souliers ayant été gagnés par son beau-frère Langlois, celui-ci rapporta les souliers dans le magasin et en prit de bons. Ceux qui avaient été percés par le plomb ont été donnés à la femme Rozan. J’ai entendu dire que le pantalon avait été également changé contre un meilleur. J’ai eu à souffrir de toute espèce de tracasseries de la part du maire pour le prix des bœufs que j’avais vendus avec l’autorisation de M. Largot le directeur de la colonie. Comme M. Regnoult me réclamait le prix dans un moment inopportun, il m’a forcé à vendre un troupeau de cochons qui faisait toute ma fortune et m’a ainsi enlevé le bénéfice que j’en aurai pu tirer plus tard ; car quatre de mes truies ont mis bas peu de temps après et ont produit vingt-quatre petits.

J’ai eu tellement à souffrir dans mes intérêts pécuniaires que j’ai été obligé d’aller travailler dans le ferme du capitaine Pietri pour subvenir à mes besoins et à ceux de mes enfants.

Il a poussé la méchanceté jusqu’à vouloir m’évincer de la colonie pour s’emparer de la maison que j’habite en ce moment, afin de la donner à son beau-père et de s’emparer d’un jardin d’environ 30 ares que j’avais reçu comme gratification de M. le capitaine Descouvé pour avoir planté les arbres de la colonie.

Sans les observations de M. l’inspecteur de la colonisation, il m’aurait enlevé un autre jardin de 7 ares pour le donner à un des membres de sa famille.

Lecture faite a déclaré persister et à signer avec nous et le greffier.

Signé Dieuzy

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

***

15

15 Avril 1853

DEPOSITION DE PHILOMENE RAYMOND

[…]

Est comparue sur note simple invitation Delle Philomène Raymond âgée de quatorze ans, profession de journalière demeurant, à Aïn-Nouissy, dispensée du serment vu son âge.

D.- Qu’avez-vous à reprocher à M. Regnoult, maire ?

R.- Lors de la remise au maire de divers effets d’habillement pour distribuer aux colons, je me trouvais chez M. Langlois beau-père de M. Regnoult ; j’ai vu couper par ordre de Mme Regnoult un caban en petits morceaux pour en faire des chaussons.

J’ai vu aussi découdre des pantalons et j’en ai découpé moi-même pour de trois en faire deux à M. Regnoult.

Lecture faite au témoin de sa déposition, il l’a déclaré conforme à ses réponses et vouloir y persister. Requis de signer, a dit ne savoir, nous l’avons fait avec le greffier.

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

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16

15 Avril 1853

DEPOSITION DE M. POUEY

[…]

Est comparu sur notre simple invitation le Sieur Pouey âgé de vingt-sept ans profession de cultivateur demeurant à Aïn-Nouissy, non parent, ni allié ni au service de l’inculpé.

Lequel après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Qu’avez-vous à reprocher à M. Regnoult, maire ?

R.- Lors de la distribution des effets d’habillement, quand je me présentai pour en avoir, le maire me répondit qu’il n’y avait rien pour moi. Je lui représentais que sous l’administration antérieure à la sienne j’avais eu part comme les autres colons. Il me dit “qu’il était le maître d’en faire ce qu’il voulait, que je n’aurais rien”, et comme j’insistais il me mit à la porte. Cela se passait vers la fin 1852. J’avais rapporté à ma mère ce qui venait de m’arriver. Elle se rendit de suite chez le maire et ce ne fut qu’à force d’insistance que ce dernier lui donna une paire de sabots.

L’année dernière j’ai acheté quinze quintaux de fourrage pour 29,50 F mais j’ai si peu de confiance dans le maire que je ne veux pas le payer, malgré toutes les demandes, dans la crainte qu’il en frustre la colonie.

J’ai reçu encore aujourd’hui une lettre d’avertissement pour payer et je me propose d’aller voir demain M. Petrus Borel, inspecteur de la colonisation pour le prévenir de ce qui se passe et le payer. D’autres fois, lorsque le maire m’a réclamé cette somme j’ai répondu que je ne voulais pas payer tout seul ; que je paierai en même temps que les autres colons et qu’au surplus j’étais surpris de sa demande car il devait y avoir des fonds dans la caisse de la colonie en quantité suffisante pour subvenir à tous les besoins du moment.

Lecture faite, il a déclaré persister et à signé avec nous et le greffier.

Signé Pouey

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

***

17

15 Avril 1853

DEPOSITION DE MME JEUNEHOMME

[…]

Est comparue sur notre simple invitation la dame Jeunehomme Jeannette âgée de quarante-huit ans, profession de couturière, demeurant à Aïn-Nouissy, non parente, ni alliée ni au service de l’inculpé.

Laquelle après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Qu’avez-vous à reprocher à M. Regnoult, maire ?

R.- Il y a 3 mois environ lors de l’attribution aux colonies d’une certaine quantité de vêtements pour les distribuer aux colons, je n’ai eu pour mon fils âgé de 14 ans qu’une petite blouse. Un jour j’allai chez le beau-père du maire et je vis que chacun des membres de sa famille avait des blouses, des souliers, des sabots, des chaussons. Je fus surprise et je me rendis chez le maire, pensant que peut-être il pourrait me donner au moins une paire de sabots pour me garantir du froid, car le temps était très mauvais. Il me répondit et durement qu’il n’y en avait pas pour moi, que je devais m’estimer bien heureuse d’avoir eu une blouse pour mon fils et que je devrais être contente. J’ai dû me retirer et comme je marchais pieds nus, Mme Moiroud a eu pitié de moi et m’a donné une paire de souliers.

Lecture faite au témoin de sa déposition, il l’a déclarée conforme à ses réponses. Requis de signer, il a dit ne savoir, nous l’avons fait avec le greffier.

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin

***

18

15 Avril 1853

DEPOSITION DE M. QUINTAINE

[…]

Est comparu sur notre simple invitation le sieur Jacques, François Quintaine âgé de cinquante ans, profession de cultivateur, demeurant à Aïn-Nouissy, non parent, ni allié ni au service de l’inculpé.

Lequel après avoir prêté serment de dire la vérité rien que la vérité a répondu à nos questions de la manière suivante :

D.- Quels sont vos sujets de griefs contre le maire ?

R.- En 1ère ligne se trouve la conduite du maire au sujet des terres communales, après l’adjudication de certains lots à différents colons, comme il a vu que plusieurs d’entre eux se disposaient à procéder au labourage, il a par affiches défendu d’ensemencer. Personne n’aurait rien à dire contre cette manière d’administrer, car le maire prétendait que c’était afin de ne pas interdire le parcours des bestiaux ; mais ce qu’il empêchait de faire aux colons, il l’a fait ou pour son compte ou bien de moitié avec les Arabes, auxquels il permit de mettre la charrue dans les terres. La conséquence de cette manière d’agir a été funeste pour les colons, dont plusieurs auraient pu trouver des bénéfices, tandis que c’est sans aucun doute M. Regnoult qui doit en profiter avec quelques Arabes, ses acolytes. Je crois que dans de semblables circonstances, il serait juste et de l’intérêt général d’attribuer à la colonie la part de bénéfice que M. Regnoult se propose de s’adjuger après avoir partagé avec les Arabes qui doivent traiter de bonne foi avec lui.

Deuxième point. En 1849 et 1850 la colonie avait pour directeur le capitaine

Descouvé. Les bénéfices de la colonie s’élevant à plusieurs centaines de francs, avaient été par lui prêtés à divers colons et lors de son remplacement par le capitaine Malgouyré, celui-ci accepta les comptes de son prédécesseur ; et se chargea d’opérer les recouvrements. M. Largot, sous-lieutenant au 68e, qui a succédé à M. Malgouyré pendant 6 semaines, à de même accepté les comptes du capitaine et a remis les registres et les notes à l’appui à M. le maire Regnoult. La manière dont M. Regnoult a administré la colonie et opéré le recouvrement des sommes prêtées, a dû nécessairement occasionner des plaintes car plusieurs colons se sont trouvés tout d’un coup jetés dans la misère par la retenue du prix de leur fourrage ; M. Regnoult n’a jamais rendu compte des sommes recouvrées par lui.

Dans le courant des années 1849, 1850, 1851, les distributions d’effets ont été opérées par les soins des directeurs et les colons devaient en rembourser le montant sur le produit de leur récolte ; à cet effet on en tenait compte sur le livret de chacun d’eux. Je crois pouvoir affirmer que tous les colons ont remboursé le montant des avances qui leur avaient été faites et je crois ne pas me tromper en disant que M. Regnoult n’en a pas tenu compte ; cependant je ne puis rien affirmer sur ce point.

En examinant la comptabilité des directeurs et du maire, qui a eu tous les registres entre les mains, on pourra se convaincre facilement du gaspillage des fonds de la colonie par le maire actuel. Je me plains parce qu’il est pénible de voir ces colons dans un état de misère profond, alors que les ressources de la colonie devraient suffire pour les mettre en état de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Que M. Regnoult rende compte de son administration et je suis convaincu que les colons y trouveront leur avantage !

Troisième point. En 1850, à la suite de divers échanges opérés par M. Malgouyré, la colonie s’est trouvée propriétaire de 2 forts mulets qui jusqu’à la fin de 1852 ont rendu les plus grands services à la colonie. Leur location journalière a dû produire une somme de bénéfices d’au moins six cent francs. Vers la fin de 1852, ils ont été vendus par adjudication à un colon de Rivoli, M. Guillot moyennant 520 Frs. Jamais M. Regnoult n’a parlé de cette somme et nous ne savons pas ce qu’elle est devenue ; le même jour de cette adjudication, le maire a vendu une meule de paille moyennant 20 Frs. Il a touché cette somme et n’en a pas rendu compte. Il a aussi vendu pour environ 60 Frs. de fourrage à différents colons qui sont aujourd’hui menacés de poursuites par M. Regnoult, parce que n’ayant pas confiance en lui, ils ne veulent payer qu’entre les mains de M. l’inspecteur Petrus Borel. (Le témoin dépose entre nos mains une lettre adressée aujourd’hui à M. Pouey afin de paiement de la somme par lui due pour ces mêmes fourrages, sous peine de poursuites judiciaires après le délai de 24 heures.)

Quatrième point. Le génie militaire ayant pu disposer en faveur de la commune de 4 voitures au prix de 120 Frs. chacune, M. Regnoult sans en parler à personne en a pris une pour son compte, à fait donner l’autre à son beau-père Langlois, la 3e à M. Jal [Salles]et la 4e à M. Corbevaise [Corbobesse]

La colonie devait trouver là un assez grand bénéfice, d’autant plus que le génie prenant en considération la position difficile des colons, faisait abandon de ses droits au prix de ses voitures qui naturellement devait rentrer dans la caisse coloniale mais il n’en a rien été, car rien ne prouve que le prix en a été versé, et de plus le colon Jal [Salles] a vendu sa voiture à Mazagran pour 300 Frs.

Cinquième point. Les revenus de la colonie proviennent d’une partie de la vente des figues. M. Regnoult a dû en vendre aux Arabes pour six à sept cent francs. Comme je croyais avoir le droit de le faire je lui ai demandé compte de cette somme. Il m’a répondu qu’il n’avait pas à m’en fournir, et me renvoya d’une manière très désagréable. C’est ce qui m’a fait penser qu’il y avait malversation de sa part.

Sixième point. En 1852, la colonie a récolté sur ses terres une certaine quantité d’orge. Elle avait aussi des fourrages provenant de l’Habra. Le directeur d’alors M. Largot a fait battre l’orge et en a vendu 10 quintaux à M. Montalant, de Rivoli, au prix de 6 Frs le quintal. Il avait mis de côté huit quintaux d’orge dans une caserne de Mostaganem, et environ 30 quintaux de fourrage, au faubourg de Mascara à la porte du garde. M. Regnoult s’est emparé du prix de ces denrées, ainsi que de celui de divers outils aratoires qui avaient été vendus tant à des Arabes qu’à des colons et a toujours refusé de dire ce qu’il en avait fait.

Il y a eu encore malversation de la part de M. Regnoult au sujet de la livraison des fourrages à l’administration et à la répartition à faire de cette livraison aux colons. Je suis sûr que la part de la colonie a été au moins de 50 quintaux et M. Regnoult ne parle que de 30 et quelques, ce qui fait une différence en moins très notable au détriment de la colonie.

Lecture faite au témoin de sa déposition, il a déclaré vouloir y persister, requis de signer il l’a fait avec nous et le greffier.

Signé Quintaine

Signé E Courserant

Signé P. Thomassin

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19

15 avril 1853

INTERROGATOIRE DE M. REGNOULT

L’an mil huit cent cinquante-trois, le quinze Avril, devant nous Pierre François Jules Thomassin, juge de paix de Mostaganem, assisté de M. Courserant greffier.

Nous étant exprès transportés à la colonie d’Aïn-Nouissy à l’effet d’instruire sur les plaintes portées contre le maire de cette commune ; a comparu sur notre invitation le sieur Regnoult Louis Édouard âgé de trente ans, profession de cultivateur, maire de la colonie d’Aïn-Nouissy, y demeurant.

Lequel a répondu à nos questions de la manière suivante :

D. Qu’avez-vous à répondre aux divers griefs du sieur Quintaine ?

R. J’attribue toutes les plaintes de Quintaine à son désir d’être maire. Il voudrait que je lui rendige [ndlr : rendage, action de rendre, restitution] mes comptes, et il désirerait s’immiscer dans l’administration de la colonie. Je l’ai laissé de côté, et je suis prêt à rendre mes comptes de gestion à qui de droit. Toutes mes affaires sont en règle, tous les griefs sont erronés, et je prolongerai mon séjour si cela est nécessaire pour arriver à la conclusion de cette affaire. Tous les points de l’accusation sont faux. J’ai déjà rendu mes comptes au directeur qui était venu chez moi à l’improviste et avait trouvé tout en règle. Je suis prêt, car je n’ai rien à me reprocher. Les pièces que j’ai entre les mains sont signées du Directeur M. Magnin et prouvent en ma faveur.

Lecture faite a déclaré persister et a signé avec nous et le greffier.

Signé L. Regnoult

Signé E. Courserant

Signé P. Thomassin


 

(Source : Cote 3M345, Archives d’Outre-Mer Aix-en-Provence)



 

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