Histoire avant 1848
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Centenaire 1914-1918

ANLB

Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 

AFFAIRE ZAOUI ET LE MEURTRE DE M. AUBERTIN

1936-1938
 


Oran, 23 juin 1938

Aux Assises d’Oran

Henri Zaoui accusé du meurtre de M. Jules Aubertin devant ses juges

Pour détourner les soupçons le prévenu, débiteur de la victime, aurait simulé un accident.

Une autopsie pratiquée un an après la mort fit découvrir trois balles de revolver dans le corps carbonisé de la victime

Aujourd'hui, devant la cour d'assises d'Oran, commencent les débats de l'affaire Zaoui, prévenu d'assassinat sur la personne de M. Jules Aubertin, grand mutilé de guerre, administrateur général pour l'Afrique du Nord de la Société C.A.M.I.A, ancien vice-président général de l'U.N.C. à Paris, président de l'U.N.C. de Paris et de la Seine, membre du conseil supérieur des Pupilles de la Nation, du conseil d'administration de l'Office national des anciens combattants, de la Confédération nationale des anciens combattants et victimes de la guerre, conseiller municipal d'El-Biar.

On se souvient de l'émotion intense soulevée dans l'Algérie entière par la nouvelle de la mort brutale de ce héros de la guerre, excellent camarade, homme charmant, heureux père de trois adorables fillettes. On se rappelle aussi la stupéfaction indignée que provoqua partout, aux premiers jours de l'instruction, la découverte que ce qui ne semblait tout d'abord qu'un lamentable accident, se révélait, au fur et à mesure des enquêtes, pouvoir être un crime épouvantable, mûrement prémédité.

L’accident

Le 5 décembre 1935, M. Jules Aubertin se rendait à Oran, après avoir, à Inkermann, pris dans sa voiture son agent d'Oranie, Henri (Aaron, dit Henri) Zaoui, et donné la liberté à son chauffeur Quirici, avec lequel il avait fait le parcours depuis Alger.

Il repartit de ce centre vers 16 heures en direction d'Oran, conduisant lui-même sa voiture, tandis que Zaoui se trouvait sur le siège arrière, lorsque à trois kilomètres de Noisy-les-Bains, le véhicule vint percuter le tronc d'un des eucalyptus qui, à cet endroit, bordent la route.

Zaoui se rendit alors à une maisonnette de garde-barrière située à quelque distance de là et revint avec du secours.

La gendarmerie, aussitôt prévenue, arriva peu après sur les lieux. Le chef de brigade Teissier, de Noisy-les-Bains, fit les premières constatations : la voiture, probablement par suite du dégonflement du pneu arrière gauche, avait été déportée vers la gauche sur une longueur de douze mètres ; elle était entièrement carbonisée. Les restes de M. Aubertin se trouvaient placés sur le bas-côté de la route, à deux ou trois mètres des débris du véhicule.

Zaoui fut aussitôt interrogé et voici la version qu'il donna de l'accident.

Il se trouvait étendu sur le siège arrière, car il souffrait d'une crise de foie, légèrement somnolent, mais ayant cependant l'impression d'une marche rapide, lorsque à un moment donné il ressentit un choc violent. Il interrogea M. Aubertin qui lui répondit : « ce n'est rien. » Il essaya vainement d'ouvrir les portières fermées par des boutons de sûreté. Il put cependant sortir par la portière arrière droite et s'efforçait de dégager M. Aubertin qui gisait inanimé lorsque le réservoir éclata. Immédiatement la voiture entière était en flammes.

Il courut alors demander du secours au passage à niveau et revint avec un voisin, M. Vaisseau, qui éteignit l'incendie avec de la terre et dégagea les restes carbonisés de M. Aubertin qu'il plaça derrière la voiture, sur le sol.

Contre l’eucalyptus, la voiture en partie brûlée.

Les premiers éléments de l'enquête sont troublants.

M. le docteur Vidal, de Rivoli, fut chargé d'examiner le corps. Cette visite eut lieu le lendemain de l'accident, 6 décembre, et ne permit pas d'inculper Zaoui, l'unique compagnon de voyage de la victime.

Le 8 décembre une première autopsie était ordonnée par M. Coriat, juge d'instruction du parquet d'Alger et pratiquée à Alger par les docteurs Giraud, Laquière et le médecin légiste Wittas. Le résultat en fut négatif.

Cependant les bruits allaient leur train. On disait dans la région que deux mois auparavant, exactement le 6 octobre 1935, sur la route de Fleurus, un premier accident de même nature, sans gravité d'ailleurs, était arrivé à M. Aubertin, alors qu'il se trouvait dans une voiture conduite par Zaoui. On apprenait ensuite qu'un dossier relatif à une dette de 72.000 francs dont Zaoui était débiteur, avait disparu.

Le chauffeur de M. Aubertin, Quirici, apporta au magistrat instructeur des précisions en contradiction formelle avec certaines affirmations de Zaoui.

Une enquête établit ensuite que Zaoui avait acheté à Relizane un bidon d’essence, qui fut d'ailleurs retrouvé vide dans la voiture, alors que M. Aubertin avait fait à Inkermann le plein de son réservoir, ce qui lui était largement suffisant pour arriver à destination.

La suite de l'enquête permit encore des constatations troublantes, notamment la découverte dans l'automobile d'un revolver de 6 mm. 35 que Zaoui reconnut comme lui appartenant et de trois douilles éjectées dont deux percutées.

Enfin les renseignements sur les antécédents de Zaoui s'avérèrent peu favorables.

C’est alors que le frère de M. Aubertin professeur à la faculté de médecine de Bordeaux, vint sur place se livrer à une enquête personnelle, et, déposait le 13 décembre, une plainte contre inconnu et se portait partie civile.

Les charges contre Zaoui se précisent

Les magistrats instructeurs poursuivirent une double opération : expérience avec le revolver trouvé dans la voiture et nouvelle autopsie du corps de M. Aubertin.

L'expérience faite par un spécialiste, avec le pistolet automatique chargé et placé dans un foyer, démontra — ainsi que M. le professeur Giraud l'avait précédemment annoncé — que, sous l'influence de la chaleur, les balles explosaient sans percuter. On en tira cette conclusion que l'arme avait dû servir avant l'incendie.

La seconde autopsie, pratiquée le 6 janvier 1938, à 21 heures, à l'hôpital de Mustapha, avec les appareils de détection les plus modernes, fit découvrir trois balles de 6 mm. 35 logées : la première à 3 centimètres environ au-dessus du milieu de la clavicule ; la seconde, à la face antérieure du muscle, le long du cou ; la troisième, au corps vertébral, sur la face intérieure de la cinquième côte dorsale, celle-ci ayant sectionné la moelle épinière.

La conclusion en fut que ces projectiles avaient été tirés d'arrière en avant, suivant une ligne sensiblement horizontale et possédaient une grande force de pénétration, ce qui suggère que les coups de feu ont été tirés à courte distance et qu'ils ont dû produire un choc médullaire violent, entraînant une perte de connaissance avec coma.

Le crime

Zaoui est arrêté

Zaoui fut appréhendé le 7 janvier, à midi, alors qu'il regagnait son domicile.

Il se laissa arrêter sans demander la raison de son arrestation, et sans paraître s'en étonner outre mesure. Conduit à 14 heures à Mostaganem, il y fut écroué.

Interrogé à nouveau le surlendemain, il protesta véhémentement de son innocence et maintint sa première version de l'accident. Cependant les charges s'accumulaient sur lui, de plus en plus lourdes, et les faits venaient donner à ses affirmations de cinglants démentis.

C'est ainsi, avait-il déclaré, qu'il avait pris rendez-vous à Inkermann avec M. Aubertin, pour le mettre en rapports avec un propriétaire désireux de vendre sa voiture, mais que ce vendeur éventuel, que l'on avait attendu toute la journée, n'avait pu venir parce que sa femme était malade. Or, il n'y avait pas ce jour-là dans la région de propriétaire d'automobile se trouvant dans ce cas.

Il prétendit qu'il était venu avec le train, alors qu'il était arrivé en auto.

Il affirma qu'il avait couru demander du secours à la maisonnette du garde-barrière, distante d'un kilomètre 200 du lieu de l'accident, et il a été établi qu'il y avait déjà une demi-heure que l'auto brûlait, et qu'il a commencé par demander s'il pourrait se procurer une voiture pour rentrer au village.

Au cours de la reconstitution, effectuée le 12 mars 1935 à 17 h. 30 sur le trajet d'Inkermann à Noisy-les- Bains, soit sur une distance de 105 kilomètres, au moyen d'une voiture strictement semblable à celle de M. Aubertin et conduite par Zaoui, il fut constaté que la consommation d'essence avait été de 13 litres, et non de 17 comme le prétendait l'inculpé pour justifier l'achat qu'il avait fait d'un bidon de secours à Relizane.

Il déclara qu'il avait acheté, deux mois avant le crime, et pour la somme de cent francs, le revolver trouvé dans la voiture et il a été établi que ce revolver lui avait été donné, dix à quinze jours seulement auparavant par un mécanicien d'Oran, lequel a déclaré l'avoir trouvé une nuit dans la rue. Il avait primitivement affirmé que ce revolver se trouvait dans une « mallette », puis il a reconnu qu'il s'agissait d'un sac en toile.

Enfin, des, expertises pratiquées sur la voiture et sur l'eucalyptus contre lequel elle avait percutée ont toutes deux conclu à une vitesse maximum de 40 kilomètres alors que Zaoui l'avait toujours évaluée à 80 kilomètres.

De ces divers éléments l'information déduisit, que le crime aurait pu avoir lieu avant l'incendie du véhicule entre Inkermann et Relizane. Et cette déduction semble renforcée par la déposition d'un témoin se rendant ce soir-là à Mostaganem pour assister à une représentation théâtrale, qui affirme qu'il a été suivi par une voiture par laquelle il lui a été impossible de se laisser doubler quoiqu'il ait été obligé d'aller à une allure très réduite par suite du mauvais fonctionnement de son moteur.

La parole est aux juges

Telle est dans les principales lignes objectives, l'affaire dont les débats commencent ce matin devant la cour d'assises d'Oran, présidée par M. le conseiller Esnaud, assisté de MM. Chaffal et Chebanier, juges au tribunal.

Le siège du ministère public est occupé par M. Peuzo, substitut du procureur de la République.

Quarante-sept témoins sont cités, et trois journées sont prévues, au cours desquelles M. le bâtonnier Gandolphe se portera partie civile au nom de la famille de la victime et M. le bâtonnier Tabet ainsi que Maitres Luglia, du barreau d'Oran, et Murtula, du barreau de Mostaganem, assureront la défense de l'accusé.

Comme on peut en juger la succincte évocation que nous venons de faire de cet effroyable drame, les débats commencés au moment où nos lecteurs auront connaissance de ces lignes seront immensément troublants.

Nous nous efforcerons en toute objectivité d'en donner une physionomie précise.

Notre exposé permettra, espérons-nous, de réfléchir mieux dès maintenant à l'effrayant secret de la destinée de l'accusé.

Coupable, c'est le plus affreux personnage qui se puisse imaginer.

Innocent, c'est l'homme le plus pitoyable dans son malheur fatal, dont, les tortures durent, mois après mois, depuis plus de deux ans.

On murmure, on dit, depuis longtemps déjà, que le procès pourrait nous annoncer des coups de théâtre. Naturellement, n'est-ce point-là le prélude obligatoire de toutes les grandes causes criminelles ?

Oran, jeudi 23 juin.

Devant les Assises d’Oran

Première audience.

Henri Zaoui oppose d'obstinées dénégations à l'accablant exposé du président Esnaud

Il s'en remet, dit-il, aux futures explications de ses défenseurs.

D’après l'expertise comptable, Zaoui devait 175.000 francs à son patron.

D’abord effondré, l’accusé se reprend et défend désespérément sa tête.

Au palais de justice d’Oran vont revivre dans quelques instants les poignantes péripéties d'une affaire qui, il y a plus de deux ans, émut profondément l'opinion publique.

Un homme Aron, dit Henri Zaoui, va y être accusé du plus horrible crime qui puisse être commis : l'assassinat d'un grand mutilé, héros de la guerre, heureux époux et père de famille aimé de tous, Jules Aubertin.

Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, deux ou trois centaines de personnes seulement stationnaient aux abords du palais.

Voici qu'arrivent successivement les personnages de cette tragédie dont commence l'avant-dernier acte : M. le bâtonnier Gandolphe, ramassé, trapu.

Voici, calme et pondéré, le bâtonnier Tabet ; voici, figure basanée, cheveux drus, Me Luglia, un autre défenseur et dans toute son ardente et volontaire jeunesse le bâtonnier Murtula, de Mostaganem.

Me Aknin, huissier, s'affaire auprès de tous. Il accueille Mme Aubertin qui dans sa sombre robe de deuil pénètre dans le prétoire, suivie de son beau-frère qui présente avec la victime une émouvante ressemblance. Voici enfin Bergeaux, des dirigeants en Algérie du mouvement ancien combattant.

L'appel de l'huissier : « Messieurs, la Cour ! » arrête les conversations.

Dans sa robe écarlate, la haute stature du président Esnaud précède les silhouettes sombres de ses deux assesseurs et du ministère public.


Solidement encadré, Aaron Zaoui est conduit au Palais de justice.

L’accusé

Soudain Zaoui apparaît.

Il s’avance dans le box d'un pas hésitant mais calme, vêtu d'un veston sombre ; son allure ne semble pas avoir souffert de 30 mois de détention et des affres qu'ils comportaient pour l'avenir. Mais les Oranais qui le connaissent bien et il y en a ici bon nombre, découvrent en lui un changement d’expression significatif. Son visage s'est émacié, son teint est devenu terreux et ses yeux sont enfoncés dans leurs orbites si creuses quelles semblent charbonnées. Zaoui suit attentivement les jurés qui regagnent leur place.

Les témoins sont appelés, 28 pour l’accusation, 18 pour la partie civile.

Parmi eux, de nombreux mutilés et M. Vaisseau qui, malgré le danger, sortit les restes de M. Aubertin de la voiture embrasée et qui se présente tout simple dans son attitude et dans son costume, sa bonne figure vigoureusement coupée par d'épaisses moustaches.

Zaoui, debout, le buste légèrement penché à droite, regarde inlassablement.

La voix du président coupe net le fil de ses pensées :

Accusé, soyez attentif à ce que vous allez entendre.

L’acte d'accusation

Le greffier Péréa s'est levé. Il lit interminablement des papiers que l'on connaît, mais Zaoui écoute tout de même avec une attention goulue ; il est seul à écouter, dos au public. A certaines évocations ou à certaines affirmations de l'accusation il a de nerveuses crispations des lèvres. C'est un homme qui se défendra.

Zaoui Aron, levez-vous, dit le président.

Le président, comme le veut la loi, rappelle rapidement les faits et Zaoui, d'une voix douce, jure pour la première fois publiquement de son innocence.

Le président parle maintenant du héros de la guerre et du grand Français que fut Aubertin, d'une volonté farouche, d'une énergie impressionnante, courageux gai, serviable, marié lui aussi. Il avait, lui aussi, comme l'accusé, trois enfants.

Puis M. le conseiller Esnaut en vient à Zaoui, sur lequel les dépositions sont contradictoires mais unanimes cependant à préciser son calme absolu, son parfait sang-froid. Pour celles qui lui sont défavorables, Zaoui indique des motifs de partialité. Il déclare cependant qu'il n'a jamais eu à se plaindre de la victime.

Le président en arrive aux circonstances du crime et la première question vient comme un coup de pistolet.

Zaoui avait un solde débiteur de 175.000 francs

Quand avez-vous vu Aubertin pour la dernière fois, avant la journée de sa mort ?

Zaoui explique qu'ils se rencontraient régulièrement deux fois par mois, qu'il n'était pas en compte avec lui mais avec sa société, qu'il avait une comptabilité personnelle réduite, qu'il gagnait une moyenne annuelle de 60.000 francs dans lesquels étaient compris les 1.500 francs mensuels que M. Aubertin lui versait personnellement. Je ne devais rien à M. Aubertin, affirme-t-il, et cependant l'expertise comptable a révélé un solde débiteur de 175.000 francs. Puis avec une égale précision et une calme netteté, Zaoui retrace l'emploi des dernières heures qui ont précédé le drame.

Le rendez-vous d'Inkermann

Parti d'Oran à 5 heures du matin, j'arrivai à 8 heures à Inkermann où j'avais rendez-vous avec M. Aubertin pour la vente de sa voiture. Là, nous devions aller ensemble à Oran voir deux clients et régler une affaire. L'amortisseur de ma voiture s'étant cassé, je le menai chez un garagiste qui devait me la rendre à 17 heures, mais M. Aubertin me proposa de faire route avec lui parce que cela, le gênait de conduire tout seul.

Nous partîmes à 5 h. 1/4, après avoir pris 25 litres d'essence, car il ne restait qu'un litre dans le réservoir ; la voiture marchait mal, le relais magnétique patinait. Nous arrivâmes à 6 heures du soir à Relizane distant de 43 kilomètres. Là, nous prîmes un bidon d'essence de 5 litres pour pouvoir alimenter le carburateur. Je plaçai le bidon à l'arrière et nous repartîmes.

Après une courte suspension l'audience est reprise à 10 h. 30.

Zaoui passe à l'arrière de la voiture

Nous en arrivons au départ de Relizane où Zaoui monté à l'avant aux côtés d'Aubertin, puis se sentant malade, repris par une crise de foie, passe à l'arrière.

La voiture marchait toujours mal. A Clinchant, les voyageurs s'arrêtent. Zaoui arrange le carburateur et y verse de l'essence du bidon, puis M. Aubertin décide de se rendre directement à Oran malgré une invitation à dîner que lui avait faite un de ses amis, M. Robin, propriétaire à L'Hillil.

Le drame

On repart donc et ce fut à une vitesse de 80 kilomètres à l'heure, précise Zaoui, le choc contre un eucalyptus entre les villages de Noisy-les-Bains et Georges-Clemenceau.

L'accusé raconte qu'il fut projeté contre le siège avant que M. Aubertin lui dit que « ce n'était rien » et qu'il alla alors s'asseoir pendant 4 à 5 minutes sur le talus de la route pour se remettre de son émotion. Sentant une odeur de caoutchouc brûlé il revint vers la voiture, essaya vainement d'ouvrir les portières, dut arracher la portière avant-gauche et vit, la victime affaissée sur le côté gauche, le pied coincé dans l'oreillette de la pédale. Le réservoir prit feu et éclata.

Dans sa tentative de sauvetage il eut les cheveux roussis et il alla alors chercher du secours en la personne du garde-barrière Sirop et d'un voisin, M. Vaisseau qui parvint à retirer du foyer les restes carbonisés de M. Aubertin.

La découverte des douilles

Le président fait alors connaître que l'enquête à laquelle procéda la gendarmerie, une heure environ après l'accident, lui permit de retrouver dans la voiture trois douilles dont deux percutées.

Il rappelle les conclusions des autopsies, la première négative, la seconde effectuée par radiographie et qui révéla dans les chairs calcinées de la victime la présence de trois balles.

« Tout cela, dit le président, est profondément troublant. »

Ce à quoi Zaoui répond de sa voix calme :

C’est à la justice de faire la lumière sur ce qui a pu se passer entre les deux autopsies.

Il met ainsi en cause les magistrats qui ont assisté à la seconde opération, le commissaire Mathieu et le juge d'instruction Mouron que le président décide de faire citer.

Les balles proviennent du revolver de l'accusé

« Enfin, ajoute M. Esnaud, l’expertise de M. le professeur Giraud conclut que ces balles proviennent de votre revolver. »

L'accusé rejette ces conclusions, de même que celles qui établissent que le pneu fut crevé d'un coup de poinçon, non par un clou ramassé en cours de route.

L’expertise Musso

Il niera d'ailleurs, sans autres arguments que les explications futures de ses défenseurs, toutes les autres constatations qui s'ajoutent aux charges dont il parait maintenant comprendre la gravité et il semble accablé. Il nie tout et comme le président lui demande s'il connait les résultats de l'expertise Musso sur les conditions de survie de M. Aubertin au choc dont il fut victime, Zaoui répond affirmativement.

Mais, continue le magistrat, Messieurs les jurés ne les connaissent pas encore et il lit :

« Les balles provoquèrent chez M. Aubertin une forte commotion mais il vivait encore lorsqu'il fut calciné. »

Et c'est dans un halètement général de stupeur que l'audience est à nouveau suspendue.

Zaoui est désemparé

A la reprise Zaoui ne semble plus le même homme, il regarde la cour et le jury avec un regard de bête traquée. Ses joues se creusent, ses lèvres se pincent. Sa tête par moments abattue se redresse subitement pour se pencher à nouveau : ses doigts se crispent à la barre. Il ne répond plus que par affirmations ou par négations. On pressent qu'il va jouer serré et que dès maintenant, conscient de la justice fatale, il va commencer à défendre désespérément sa tête.

L’audience est reprise quelques instants après. Le président poursuit ses questions et Zaoui explique comment il se procura le revolver. C'est un de ses amis nommé Rocca qui l'ayant trouvé une nuit dans la rue, le lui donna contre remise d'une paire de souliers et d’une gabardine usagée, quelques semaines avant l'accident.

Il ne sait combien il contenait de balles et en ce qui concerne les douilles percutées il laisse à ses avocats le soin de donner toutes explications.

Ils expliqueront également, dit l'accusé la question d'assurance contre les accidents qui n'aurait, parait-il, pas joué si la compagnie avait appris que M. Aubertin conduisait seul. C'est d'ailleurs la même réponse qu'il fera lorsque le président opposera ensuite à son système de défense les conclusions de toutes les expertises. Une seule trouvera grâce devant lui, la première, qui l'innocentait complètement.

Le président. — M. Aubertin, malgré sa grande invalidité, était énergique, courageux et agile et il aurait pu se sauver du foyer d'incendie s'il n'avait pas été déjà mortellement blessé.

Zaoui. — M. Aubertin était agile, mais il n'était pas un surhomme.

Le président. — Vous avez, Zaoui, des mots malheureux et durs.

Alors, d'après vous, on aurait procédé à une macabre mise en scène entre la première autopsie qui ne révèle rien et la seconde où furent trouvées les trois balles.

Zaoui. — Mon avocat vous l'expliquera.

C'est sur cette impression douloureusement pénible que se termine l'audience du matin.

L’audience de l'après-midi

L'expertise comptable établit que Zaoui devait 175.000 fr. à son patron

Ouverte, à 15 heures, l'audience commence par une question troublante du président à laquelle l'accusé ne semble pas pouvoir donner une réponse complète. Dès l'arrivée de la cour, M. Esnaud dit à Zaoui :

Zaoui, levez-vous. Dites-nous où, à quel moment et comment vous avez vidé un bidon de cinq litres ?

L'accusé balbutie qu'il en versa un peu dans le carburateur au village de Clinchant et comme le président lui fait remarquer que cette déclaration est la première qu'il ait faite en ce sens, l'accusé assure sans grande conviction pourtant « qu'il ne pensait pas que ce détail puisse avoir quelque importance. »

Aux questions que l'ardent avocat de la partie civile lui pose sur ses diverses et nombreuses contradictions, Zaoui répond toujours de sa manière nonchalante, mais où percent déjà certains sarcasmes et où se révèlent parfois une nerveuse ironie.

— Que disiez-vous dans telle lettre écrite à M. Aubertin ?

Il vous est facile de le savoir, vous n'avez qu'à la lire.

Et le dialogue se poursuit pendant quelques instants sur le même ton.

C'est que Zaoui réalise maintenant que son interrogatoire est terminé et que vont arriver les experts avec lesquels il devra soutenir une lutte serrée, un combat dont l'enjeu est pour lui la vie ou la mort.

Le premier appelé à la barre est l'expert comptable, M. Jaholini, dont les travaux méticuleux durèrent plusieurs mois et les constatations écrites en un large volume de près de 200 pages, suit une longue liste d’opérations financières. L’expertise comptable est défavorable à l’accusé.

Et c’est sur les conclusions formelles et accablantes de l’expert que se termine cette première et longue journée de débats.

Oran, vendredi 24 juin.

Deuxième audience

Les conclusions formelles des médecins-experts accablent Henri Zaoui.

Les témoignages apportent de nouvelles charges.

L'accusé, persistant dans son attitude, conteste la plupart des dépositions.

Aujourd'hui, témoins de la partie civile

L'audience est ouverte à 8 heures, Après la courte audition du fondé de pouvoir de la maison Ruffié, relative à une traite de 70.000 francs impayée puis réglée par acomptes, la cour entend les médecins experts et tout d'abord le docteur Gand, médecin légiste.

Les restes informes du cadavre, dit-il, étaient complètement carbonisés. Je les ai examinés puis j'ai incisé et rabattu la poitrine ; j'ai ouvert le cœur et y ai trouvé des caillots sanguins.

Donc la mort fut progressive et la victime a expiré alors qu'elle se trouvait encore dans les flammes. Malgré les conditions exceptionnellement défavorables dans lesquelles nous nous trouvions par suite du désir formel de la famille qui a désiré que nous opérions le soir même, les obsèques devant avoir lieu le lendemain, nous avons étendu le cou, le crâne et tous les organes viscéraux et nous n'avons trouvé ni à la vue, ni à la palpation trace d'un projectile quelconque.

Le dos de la victime était recouvert d'une sorte de carapace formée par un magma de terre rouge agglutinée par la fonte des graisses chaudes lorsque le cadavre fut posé sur la route après avoir été couvert de poignées de terre destinées à étouffer les flammes qui l'entouraient pendant l'incendie de la voiture. Cette carapace, et l'état de calcination des chairs, ne nous permettaient pas dans les conditions et avec les moyens courants où nous avons opéré de pouvoir déceler un orifice quelconque d'entrée de projectile.

Et après quelques précisions sur certaines infirmités anciennes apparues eu cours d'expertise, le docteur Gand conclut qu'en l'état de cette première autopsie, la victime vivait encore quand le feu a pris et qu'elle est morte par asphyxie.

Le docteur Wittas qui, avec les docteurs Gand et Laquière pratiqua cette première opération, apporte un témoignage semblable.

Lui aussi, après avoir constaté la coloration noirâtre des poumons a eu la conviction que la victime avait dû, avant de mourir, respirer l'émanation de gaz d'essence produite par l'incendie. Il ajouta que M. Emile Aubertin, frère de la victime, assistait à l'autopsie, mais qu'il n'y a aidé en rien.

Assis, devant l’accusé, maître Luglia, l’un de ses défenseurs.
Au premier plan, les médecins-légistes Gand et Vittas.

La vision seule ne pouvait découvrir les balles

Avec le docteur André Laquière, nous obtenons la confirmation que la première opération fut pratiquée dans des conditions difficiles et que la découverte des balles était matériellement impossible avec le seul secours de la vision normale.

Et il donne, à l'intention des jurés, l'exemple d'une bûche dans laquelle on aurait tiré des balles et que l'on aurait ensuite placée dans un foyer jusqu'à combustion intégrale.

Rien ne permettrait alors d'affirmer, après un simple examen à l'œil, que cette même bûche contient des projectiles. Pour avoir à ce sujet une certitude, il faut procéder avec un outillage technique perfectionné et moderne.

C'est cette certitude qu'apporte, précise comme une épreuve photographique détaillée, comme les meilleurs et les plus démonstratifs des cours, la déposition minutieuse du docteur radiographe Vallet. Ses investigations ont eu lieu en deux temps.

D'abord au moyen d'un appareil de radiographie pouvant opérer à trois mètres et qui, en quatre clichés, couvrant chacun un quart des restes à examiner, a amené la découverte des trois projectiles. Ensuite l'extraction de ces projectiles, à l'aide d'appareils, lesquels par le système de la double image s'appuyant sur des principes de triangulation et par la méthode de photos de profil, permettent la recherche des notions infaillibles de profondeur et de repérage.

Mais la radio permit ensuite le repérage et l'extraction des projectiles

L'extraction lut opérée sous le guide radioscopique et avec le contrôle intermittent de l'écran par le processeur Girard, malheureusement retenu en France, ce qui est unanimement regretté et qui aurait pu apporter ici de précieuses observations mais le président fait donner lecture des principaux passages du rapport de cet éminent praticien, lequel déclare notamment qu'au cours de la première autopsie, le bistouri des chirurgiens (…….llisible) une première fois à deux centimètres au-dessous de la première balle logée au-dessus de la clavicule droite et une seconde fois à deux millimètres au-dessous. Il relève également l'existence d'une diffusion sanguine qui semble en corrélation avec l'existence de cette même balle.

Enfin, et l'on comprendra toute la gravité pour l'accusé de cette découverte, l'une des balles extraites par le professeur Girard était enrobée d'une couche de sang coagulé. C'est cette constatation qui va mettre le feu aux poudres entre les avocats de la défense et celui de la partie civile car elle peut être la clef de l'énigme sur le point de savoir si M. Aubertin est mort dans l'incendie ou s'il a d'abord été assassiné.

Une balle pénétrant dans une partie veineuse d'un cadavre encore frais, suivant l'expression technique, peut-elle s'enrober de sang ? Si oui, le revolver peut avoir éjecté des balles sous l'influence de la chaleur. Si non, M. Aubertin a d'abord été assassiné puis brûlé ensuite.

Ces hypothèses ne sont pas sans incidents tumultueux, souvent longs, qui réunissent à la barre des témoins les médecins légistes et dressent l'un contre l'autre Me Tabet et Me Gandolphe.

L'autorité du président et la calme rigueur scientifique des experts parviennent enfin à clore l'incident sans sembler pourtant apporter une solution définitive au problème. Que faut-il, en effet entendre par cadavre frais, compte tenu surtout que ce cadavre a été carbonisé ?

Le garagiste Serrat

L'on entend ensuite le docteur Vidal, de Rivoli, qui ne constata le lendemain même du drame aucune trace de brûlure sur Zaoui et le garagiste Serrat, de Mostaganem, qui examina la voiture et retrouva dans l'enveloppe de la roue arrière gauche un clou auquel fut attribué le dégonflement progressif du pneu. Le dérapage de la voiture et le choc contre un eucalyptus bordant la route. Mais l'intérêt rebondit intensément avec la déposition du professeur Verani.

La déposition du professeur Verani

La déposition du professeur Verani est écrasante pour l'accusé. Elle aboutit aux conclusions suivantes : que le pneu arrière gauche trouvé intact mais dégonflé après l'incendie a été perforé sur le côté extérieur de la bande de roulement avec une lame de canif.

Qu'il restait environ seize litres dans le réservoir lorsque le choc a eu lieu.

Que le feu a été volontairement mis au milieu de la voiture.

Que le vent ne soufflait pas de l'ouest, comme l'affirme l'accusé pour expliquer sa carence, des deux côtés de la carrosserie des parties ont retrouvées qui n'avaient pas été touchées par les flammes.

Que la voiture ne devait pas dépasser une vitesse horaire de 35 kilomètres, enfin que le réservoir d'essence n'était point éclaté mais seulement dégrafé.

Sous cette avalanche d'accusations formelles Zaoui, qui maintenant s'aide de notes, ne trouve à discuter que les questions de vent et de vitesse, mais avec une telle acrimonie agressive que le témoin doit protester vigoureusement et de son impartialité et de sa qualité.

L'audience du matin est suspendue.

L’audience de l'après-midi

La cour entend encore quelques experts en début d'audience.

M. Jean Gomatier, ingénieur, qui a expérimenté le bidon d'essence lequel après diverses expériences à la chaleur n'était ni déformé, ni souillé intérieurement et il en conclut que ce bidon était vide lors de l'incendie.

Les conclusions de l'armurier

M. Granjean, armurier militaire, procéda de la même manière pour le revolver et ses conclusions sont formelles ; pour qu'il y ait percussion et pour que la douille présente à sa base la petite cupule caractéristique, il est nécessaire que la détente ait été déclenchée par l'action d'un doigt et il fait avec l'arme une démonstration aux jurés tandis que Zaoui s'écrie :

Je jure sur la tête de mes enfants que je n'ai pas tiré.

Le maréchal des logis Teissier, qui fit les premières constatations peu après l'accident, renouvelle les déclarations qu’il fit à l’information.

Sur la demande du président, il montre à l'aide de l'arme quelle était la position du revolver quand il l'a trouvé dans la voiture. Il n'a constaté aucune trace de brûlures sur Zaoui, qui, laissant les anciens combattants de la région monter la garde autour des restes d'Aubertin, est allé se coucher.

Sur le demande du président, il montre à l'aide de l'arme quelle était la position du revolver quand il l'a trouvé dans la voiture. Il n'a constaté aucune trace de brûlures sur Zaoui, qui, laissant les anciens combattants de la région monter la garde autour des restes d'Aubertin, est allé se coucher.

Le gendarme Demange est ensuite entendu et apporte cette horrifique vision :

Quand nous nous sommes approchés de la voiture, nous avons tout d'abord pris le corps de la victime pour un coussin brûlé.

Lui aussi a trouvé Zaoui bien calme. On aurait cru, dit-il « qu'il sortait d'un salon de coiffure ».

Denise Sentès, secrétaire de M. Aubertin, déclare que le lendemain de l'accident, Zaoui lui téléphona au sujet de divers dossiers et qu'il lui donna sa version de l'accident que nous connaissons maintenant. Mais, profondément émue au souvenir de son patron, cette employée se met à pleurer et c'est dans les sanglots qu'elle termine sa déposition.

M. Quirici Léopold, qui était le chauffeur occasionnel de M. Aubertin, fit le 5 décembre, avec lui, le voyage Alger-Inkermann où, après jaugeage, il constata que le réservoir contenait encore 5 litres. Les bagages emportés comprenaient une valise et deux serviettes bourrées de dossiers. Zaoui affirme que c'est lui et non Quirici qui a jaugé l'essence. Le témoin maintient sa déclaration. L'accusé se contente alors de dire.

Je conteste.

M. Gourion, qui vient ensuite, est le marchand d'essence de Relizane qui fournit un bidon à Zaoui, lequel paraissait très pressé.

M. Sirop, garde-barrière, raconte dans quelles conditions sa femme le prévint qu'un homme cherchait une voiture automobile et il alla chercher un voisin, M. Vaisseau, avec lequel il se rendit auprès de la voiture qui brûlait encore. Zaoui lui parut calme et pas du tout essoufflé. Pendant que M. Vaisseau et lui près de la voiture accomplissaient leur lugubre besogne, Zaoui se promenait de long en large sur la route, les mains dans les poches.

Attitude à laquelle l'accusé trouve cette seule explication : « Je ne tenais pas en place. »

Un dialogue édifiant

Voici enfin Mme Sirot qui accueillit Zaoui à son arrivée à la maisonnette du passage à niveau, une demi-heure après qu'elle avait aperçu un feu dans la direction de la voiture incendiée.

Zaoui était calme, parlait d'une voix ordinaire et s'efforçait de se cacher la figure.

A deux kilomètres d'ici, il y a une auto qui brûle.

— Je vais chercher mon mari pour vous porter secours. Est-ce qu'il y a quelqu'un dans la voiture ?

Il y a un homme qui brûle.

— Vous n'avez rien fait pour le sauver ?

Et Zaoui eut cette effroyable réponse :

Il y a longtemps qu'il est cuit. Et tout cela sans essoufflement, sans émotion, de la même voix calme qu'il dit maintenant au témoin :

C’est un langage que je n'ai jamais tenu.

Fin de la deuxième audience

Oran, samedi 25 juin.

Troisième audience.

Compagnons d'armes et ex-collaborateurs font l'unanime éloge de Jules Aubertin

Les conclusions du bâtonnier Tabet pour l’audition du professeur Giraud sont rejetées par la Cour.

La victime avait déjà aperçu Zaoui manipulant un revolver derrière lui

Plaidoiries et verdict lundi

Dès la reprise d'audience, ce matin, la cour entend les derniers témoins de l'accusation. Ce sont MM. Régis, adjoint au maire d'El-Biar et collègue de M. Aubertin au conseil municipal de cette ville ; Mathieu, commissaire de police du 4e arrondissement d'Alger, qui procéda avant la première autopsie à l'ouverture du double cercueil en présence des magistrats et des médecins et qui, l'opération terminée, scella le cercueil ; Mouzen, juge d'instruction qui assista de bout en bout à l'autopsie ; Vaisseau qui avec un rare courage retira des flammes les restes de M. Aubertin et donne cette précision qu'il a éteint l'incendie au moyen de poignées de terre prise tout près de la voiture dans un champ fraîchement labouré, ce qu'aurait également pu faire Zaoui.

La déposition du témoin suivant M. Péronnier Etienne, de Mostaganem, qui rencontra Zaoui à Noisy immédiatement après l'accident amène cette affirmation de ce dernier :

C’est la première fois que je vois ce témoin. C'est une fable arrangée pour la circonstance.

Ce qui ne manque pas de provoquer une vive et véhémente réaction de, la part de M. Péronnier.

M. André Costa, pilote aviateur, dit dans quelles circonstances il fut, au cours de la soirée du drame, suivi par une voiture dont le conducteur s'obstina à ne point le dépasser et dont il perdit de vue les lueurs des phares aux environs de l'endroit où la voiture de M. Aubertin percuta un eucalyptus.

M. Fernand Rocca est l'homme qui s'appropria un revolver trouvé une nuit dans la rue et le remit à Zaoui quinze jours environ avant l'accident.

Avec lui se termine la longue audition des témoins de l'accusation.

Les témoins de la partie civile

M. Agapiau, industriel à Alger, est le premier de ceux de la partie civile. Il fut, pendant trois ans, le collaborateur de M. Aubertin, un « patron rêvé ». Il dit sa bonté, sa foncière honnêteté et son exceptionnelle habileté dans la conduite des automobiles. Il confirme que M. Aubertin était parti à Oran pour régler les comptes de Zaoui.

M. Bérenguer, l'homme que Zaoui avait indiqué à M. Aubertin comme étant l'acheteur éventuel de la voiture et au nom duquel l'accusé avait même envoyé à la victime un mandat de 300 francs à valoir sur la soulte prévue, affirme qu'il n'a jamais pensé à acheter la voiture. Ce à quoi Zaoui répond que ce dernier ment effrontément parce qu'il a craint d'être lui-même inquiété dans cette affaire.

M. Peysson, architecte de la foire d'Alger, est un ami de M. Aubertin qu'il a vu peu avant son départ à Oran pour, lui avait dit la victime, récupérer des sommes dues par son agence d'Oran et liquider l'agence de cette ville où devaient se commettre des carambouillages.

M. Robin, actuellement à Alger, était, au moment du crime, président des anciens combattants de la région d'Inkermann. C'est lui qui, avec un soin pieux, rendit les suprêmes devoirs à la dépouille informe de la victime et qui, avec ses camarades du pays, monta autour d'elle une funèbre garde d'honneur.

M. Robin déclare que Zaoui ne sembla pas s’inquiéter de ces restes et ne vint à aucun moment s'incliner devant eux.

Je me tenais, dit alors Zaoui, à la disposition de la gendarmerie et le président de lui répondre :

— Vous vous y seriez aussi bien tenu dans la chambre mortuaire que dans une chambre d'hôtel.

C'est sur cette déposition que se termina l'audience du matin.

Audience de l'après-midi

Un grave incident entre le bâtonnier Tabet défenseur et la Cour

A 15 heures, à la reprise de l'audience, le bâtonnier Tabet demande à déposer sur le bureau de la cour des conclusions tendant à l'audition au professeur Girard, dont nous avons, hier, annoncé l’absence et à défaut demandant le renvoi de l'affaire à une session ultérieure.

Le bâtonnier Gandolphe, partie civile, demande de suppléer à cette absence par la lecture du rapport d'expertise de ce praticien, rapport qui pourra être si nécessaire commenté à l’intention des jurés par un des élèves du professeur Girard, actuellement docteur à Oran.

L’identification des balles

Me Tabet s'y oppose et dépose ses conclusions tendant au renvoi.

« Il importe, y est-il dit, dans l'intérêt supérieur de la justice et l'intérêt sacré de la défense que l'expert Girard soit entendu à la barre car il a conclu dans son rapport à l'identité de l'arme qui a tiré les balles meurtrières et celles de la confrontation alors qu’il avait préalablement déclaré être dans l'impossibilité de se prononcer et de déterminer ainsi avec certitude si les balles trouvées dans le corps de la victime ont bien été tirées avec le pistolet appartenant à Zaoui. »

Me Gandolphe, partie civile, s'étonne de ces conclusions alors qu’il y avait eu au moment de l'appel des témoins accord unanime pour reconnaitre que la présence du professeur Girard n'était pas indispensable aux débats, qu’au surplus il n'y a point contradiction entre les deux termes utilisés par la défense. Le professeur Girard pensait primitivement pas pouvoir arriver à identifier les deux sortes de balles mais qu'il y est cependant parvenu, ainsi que l'indique l'exposé de ses travaux et qu'il croit pour cela que ses conclusions sont formelles.

Me Tabet insiste

Me Tabet. — L’accusation a ses témoins, la partie civile a ses témoins, la défense n'en a aucun, le seul qu'elle pourrait avoir est un témoin de l'accusation.

Il insiste donc à nouveau pour qu'il soit amené à la barre.

Le ministère public conclut à ce qu'il soit passé outre.

Me Tabet. — Je veux, j'exige la présence du professeur Girard. Si la Cour ne me suit pas dans mes conclusions, je suis dans l'impossibilité absolue d'assurer utilement la défense de mon client. Je prends mes responsabilités. Que la cour prenne les siennes.

La Cour passe outre.

La cour se retire, délibère quelques instants et revient avec un arrêt aux termes duquel elle déclare qu'il n'apparait pas — ce qui a d'ailleurs été imprimé au début des débats — que la présence de l'expert Girard soit nécessaire et qu'elle passe outre.

Le président. — M. le bâtonnier Tabet, abandonnez-vous la barre ?

Me Tabet. — M. le Président, il se livre en moi un débat dont seuls les héros de Corneille ont connu de semblables.

Le président. — M. le bâtonnier Tabet, je comprends très bien les honorables scrupules de votre haute conscience. Voulez-vous une suspension d'audience ?

M. Tabet. — Oui, M. le Président, j'ai besoin de réfléchir quelques instants.

Le défenseur reprend sa place.

A la reprise, le défenseur reprend sa place.

Je m'incline devant la décision de la cour et j'assurerai la défense dans des conditions malgré tout défavorables.

Le président. — La Cour, Monsieur le bâtonnier, connait votre haute conscience et elle est persuadée que vous saurez être à la hauteur de votre mission.

L'incident est ainsi heureusement terminé.

Le témoignage des compagnons d'armes de M. Aubertin

C'est maintenant au tour des anciens combattants de venir apporter à la mémoire de leur regretté camarade un témoignage émouvant. Pendant leurs dépositions écoutées dans un religieux silence, de nombreux yeux se mouillèrent non seulement à cause des souvenirs évoqués mais aussi par l'admirable exemple de solidarité, de sincérité et de reconnaissance apporté dans le prétoire par une théorie d'héroïques et glorieux mutilés :

MM. Laffont, ancien délégué financier ; Chabassiere, directeur du Crédit municipal ; Ferrando, entrepreneur de maçonnerie ; Raoul Bergeaux, portant au cou le rouge ruban de commandeur et sur la poitrine la médaille militaire et la croix de guerre alourdie de onze palmes et à l'arrivée duquel la Cour s'inclina respectueusement ; Kerdavid, président de l'Inter-fédération des victimes de la guerre, vinrent dire aux jeunes les vertus militaires, les qualités de cœur, la réserve formidable de puissance physique de celui que les anciens combattants suivaient comme un exemple et adoraient comme une idole.

Puis ce furent des amis de la victime, MM. Dupré et Moulin, commerçants à Alger, qui apportèrent également au disparu leur tribut d'affection.

Enfin, Me Rethaud, possesseur d'une voiture Voisin identique à celle de M. Aubertin, donna des précisions sur la technique de la voiture et les garanties que son système électrique offrait contre les risques d'incendie.

Zaoui « s'amusait » avec un revolver

L'audience se termina par la lecture de la déposition de M. Villon, représentant de commerce, auquel M. Aubertin confia qu'un jour qu'il se trouvait dans sa voiture la conduisant avec Zaoui derrière lui, il avait dans le rétroviseur aperçu Zaoui manipulant un revolver. A quoi l'accusé répondit :

Je voulais m'amuser à tirer en route sur les poteaux télégraphiques. Je n'ai pas tiré sur M. Aubertin, je le jure.

Fin de la troisième audience.

Oran, lundi 27 juin.

Quatrième et dernière audience.


Devant le palais de justice.

Audience lourde d'atmosphère et de curiosité dans une salle surpeuplée d'un public haletant qui se presse debout dans les passages, aux portes et aux couloirs extérieurs. Au coin du palais de justice, une foule sans cesse accrue, de plus en plus fébrile, stationne de longues heures, matin et soir.

Et les débats commencent par une nouvelle intervention de la défense.

Le défenseur de Zaoui demande un supplément d'information

Le bâtonnier Tabet dépose des conclusions tendant à ce que soit ordonné un supplément d'information sur le point précis de la comparaison des douilles trouvées dans la voiture avec les douilles éjectées lors de l'expérience faite par l'expert Noël et que soit confiée la mission dont il s'agit à l'un des trois experts ci-après nommés au choix de la cour, MM. Gastine-Reynette, Flobert ou le docteur Locard.

Le ministère public demande le rejet du pourvoi et la partie civile déclare que cette expertise lui apparaît comme inopérante.

La cour rejette les conclusions de Me Tabet

Après quelques minutes de délibéré, la cour rejette ces conclusions, la mesure demandée ne lui apparaissant pas comme indispensable à la manifestation de la vérité.

La plaidoirie de la partie civile

La parole est maintenant au bâtonnier Gandolphe, avocat de la partie civile.

Et Me Gandolphe a plaidé d'abord d'une voix sourde et lente, comme s'il parlait au bord d'une fosse ouverte. On voyait près de lui une femme, et cette femme, dans sa robe de deuil dont le courage fut admirable tout au cours de ces débats parfois horrifiants, passe maintenant à ses mains gantées de noir, un mouchoir qui couvre ses yeux.

Me Gandolphe est un maître de l'argumentation des causes criminelles.

Il semble s'adresser à la froide raison et en même temps chercher le chemin du cœur. Puis il réfléchit et tout à coup il trouve une voix déchirante et des mots pleins de tristesse. Quand il eut tracé le portrait d'Aubertin, il dit combien il appréciait l'insigne honneur de prendre la parole dans ce prétoire et combien, à sa légitime fierté de défendre une juste cause, s'ajoutait celle de représenter un héros de la guerre devant les restes duquel les anciens combattants ont incliné leur drapeau et leur cœur et sont venus ici, parmi les plus glorieux, monter une garde suprême autour de sa mémoire. Et puis, Me Gandolphe se tourna vers Zaoui.

Alors, on vit se transformer le visage de l'avocat. Ses traits se durcirent sous les noirs sourcils, le regard flambait, cependant que soudain le timbre de la voix devenait plus âpre, presque brutal.

Zaoui soutient mal le choc

A chaque apostrophe, son front se penche, ses yeux se creusent, l'arc de la bouche se fiche en un spasme nerveux. L’avocat s'élève contre la tentative de l'accusé de se soustraire à la justice des jurés d'Oranie et cette tentative doit, elle aussi, être retenue comme un aveu de culpabilité. L'intime conviction seule compte, la loi ne demande aux juges populaires que d'être convaincus et elle leur ordonne de juger.

Les preuves, quelles qu'elles soient n'ont que la valeur que leur confère la sagesse et ces preuves, Me Gandolphe en démontre la force et la pertinence. Il les divise en deux catégories dont l'interdépendance est certaine, les intellectuelles et les scientifiques.

Les preuves morales

Dans le premier groupe, il place les plus importantes qui sont les preuves morales. Le passé de Zaoui, enchevêtrement d'escroqueries et d'abus de confiance, le mobile du crime, ses vols et la répercussion qu'ils auraient pu avoir sur le caractère indomptable de M. Aubertin. Puis la préméditation, la préparation du crime avec une minutie diabolique. Ses mensonges, ses contradictions, ses dénégations ridicules et ses folles accusations. L'invraisemblance de sa première version de l'accident, son attitude à Noisy-les-Bains, sa peur enfin, celle des grands assassins et, dit l'organe de la partie civile « rien que cela suffirait à vous envoyer à l'échafaud ».

Les preuves scientifiques

Puis Me Gandolphe en arrive à une partie plus ardue peut-être, celle de la discussion des expertises. Il la conduit avec une remarquable clarté. Il prend élément par élément chacun des rapports, étudie chacun d'eux et par des arguments qui portent.

Si l'on avait tiré entre la première et la deuxième autopsie l'entrée des balles se serait vue sur la carapace qui plaquait au dos de la victime. Il était impossible de tirer à ce moment-là puisque les douilles trouvées dans le corps à Alger provenaient du revolver de Zaoui et que cette arme se trouvait depuis les premiers instants de la première enquête entre les mains du juge d'instruction de Mostaganem. Les conclusions concordantes de tous les experts doivent donc être admises, les coups de feu ont été tirés sur Aubertin vivant, qui est mort ensuite carbonisé.

Il fait justice à ce sujet d'une suggestion odieuse de l'accusé. Il fallait qu'Aubertin soit assassiné pour que sa famille puisse toucher le capital d'une assurance par lui souscrite et il s'indigne avec véhémence de l'ignominie et de la bassesse de l'argument.

L’audience de l'après-midi

A 15 heures, Me Gandolphe reprend ses démonstrations à l'aide de schémas et à chacune d'entre elles, la conclusion revient identique et implacable : «  Zaoui, c'est vous l'assassin ».

Et il conclut : « Jamais, dans aucune affaire, les preuves n'ont été plus accablantes et les documents plus démonstratifs de la culpabilité. Votre raison, messieurs les jurés, vous ramènera invinciblement vers l'horreur du forfait et l'horreur du crime. Pas de circonstances atténuantes. Songez aux trois petites filles en deuil, à l'épouse, au père et à la mère qui avaient déjà donné deux enfants à la patrie et vous condamnerez mémorablement. La famille, toutes les victimes de la  guerre, tous les mutilés, tous les honnêtes gens, attendent que justice soit faite. »

Le ministère public

M. Pézot, ministère public, se lève ensuite. La cour avait salué les grands mutilés de guerre venus à la barre Nous nous devons, nous, de rendre respectueusement un pareil hommage au grand mutilé de guerre qu'est également le substitut Pezot. Il débute sur le ton de la plus attirante simplicité.

Dans une affaire, dit-il, où l'accusation a tant d'avantages sur la défense, où je n'ai que le mérite d'énumérer des faits et de compulser des documents, je serai bref.

La voix est douce, l'expression enveloppante ; on écoute. L'adversaire semble maintenant se rassurer. Tout à coup la griffe est partie vive et cruelle.

Le substitut Pezot entre d'emblée dans le point crucial de l'affaire : l'incendie. Il dépeint le drame dont Zaoui est le sinistre héros et en rappelle avec une acuité saisissante les diverses scènes. Les fait sont là implacables, le dossier se suffit à lui-même et l’avocat de la société l'étudiera rapidement.

Je n'essaierai pas, dit-il en terminant, d’influer sur votre sentimentalité.

Le crime est patent, prémédité, monstrueux et pour lui je n'envisage aucune peine intermédiaire. C'est la peine de mort que je requiers contre Zaoui.

L’audience de nuit

La plaidoirie de Me André Tabet

Zaoui entre à vingt et une heures pour la dernière fois dans la salle des assises. On l'a, pour cette audience majestueuse, entouré d'une garde renforcée de six gendarmes. La salle est bondée.

Enfin un cri retentit : « La cour ! »

On avait fait crédit au défenseur de Zaoui. Il paie. Nous attendions une belle plaidoirie. Nous l'avons eue. Lorsque, dans une salle bouillonnante comme une cuve, le président eut prononcé la phrase attendue « La parole est à M. le bâtonnier Tabet pour la défense », il y eut dans la salle une sorte de remous puis tout se figea dans un silence absolu.

L’avocat est debout, fort pâle, les mains posées à plat sur la barre. Il prend un long temps puis il commence, non point sur le mode grave qu'on attendait, mais avec une politesse féline, une lenteur où se concentre tout le magnétisme de la volonté. Après quoi le ressort casse et Me Tabet se lance dans la lutte la tête haute, l'œil flamboyant et il se donne magnifiquement tout entier. Son appel désespérément pathétique est écouté dans un grand silence par une salle ardente et dans l'effroi de l'angoisse par Zaoui, calme et immobile sur son banc.

J’apporte, Messieurs, dans ce débat une grande force pour, avec toutes les énergies de mon être, vous démontrer que vous allez accomplir une effroyable erreur judiciaire à laquelle avec un égal talent on vous a convié des deux côtés de la barre.

Le défenseur rappelle les éléments de passions extérieures qui pesèrent sur les premières données de l'information judiciaire et dont les auteurs tentèrent de troubler l’opinion publique. On a créé contre cet homme un tel courant de répulsion et de dégoût que le défenseur en arrive à se demander s'il aura la force de le remonter. Le bâtonnier Tabet étudie l'une après l'autre les pièces du dossier, les excellents renseignements fournis sur l'enfance de l'accusé, puis de toute son âme et de tout son talent, il discute pied à pied les lourdes charges de l'accusation et s'efforce d'en atténuer dans l'esprit des jurés attentifs inlassablement la fâcheuse impression.

La plaidoirie de Me Tabet se termine à minuit et demi.

On entend ensuite la réplique de Me Gandolphe au nom de la partie civile et celle du ministère public.

Zaoui proclame à nouveau son innocence.

La délibération du jury

Le jury entre à 1 h.15 dans la salle des délibérations.

Dix à quinze mille personnes stationnent devant le palais de justice, attendant anxieusement le verdict. La place et le jardin sont littéralement noirs de monde.

Le verdict

A 1 h. 45, les jurés entrent, blêmes, impénétrables, sous les yeux de ces gens qui n'ont plus qu'un seul regard. Puis on voit le président du jury, debout, la main sur le cœur, un feuillet tremblant devant le visage. Il répond « oui » à la question d'homicide volontaire et également « oui » à la question de préméditation. C'est donc la peine de mort.


Aaron Zaoui

Gardes, dit le président Esnaud, d'un ton ferme, introduisez l'accusé.

Alors, tous et toutes se tournent, se pressent afin de mieux voir le visage de l'homme que l'on savait condamné et qui allait l'apprendre.

La Cour se retire. L'absence des magistrats paraît interminable. Ils rentrent enfin.

Au prononcé du jugement, Zaoui se lève dans le box et, s'adressant au jury, il dit : « Vous avez condamné un innocent, tas de salauds ! »

Puis il sort et s'enfonce dans l'obscurité de la voiture cellulaire et de la nuit, de la nuit qui voile déjà faiblement les premières lueurs de l'aube sur le rougeoiement de laquelle se dresseront sous peu, deux grands bras noirs.

Après la condamnation de Zaoui un pourvoi en cassation est déposé.

Il fut présenté par maîtres Mayer et Pluyette.

Ce dernier développa oralement deux des six moyens du mémoire écrit.

Il expliqua que la défense avait, devant la cour criminelle, déposé des conclusions tendant à l’audition immédiate du professeur Girard et que la Cour avait répondu par un arrêt déclarant « qu’il n’y avait pas lieu au renvoi sollicité et, qu’en conséquence, il devait être passé outre aux débats ». D'où maître Mayer concluait que les magistrats n'avaient pas répondu aux conclusions, qui ne demandaient nullement un renvoi de l’affaire, mais une audition au cours des débats, se prolongeant pendant plusieurs audiences, C'est donc la cassation de l'arrêt du 28 juin que demandait le défenseur.

Le rapport du conseiller Léon Ducom et les réquisitions de l'avocat général Carrive concluaient, au contraire, au rejet du pourvoi.

Le 26 octobre, la Chambre criminelle rend son arrêt : le pourvoi d'Aaron Zaoui est rejeté.

Le recours en grâce est demandé.

Le 19 décembre 1938, Maître Tabet est reçu par le président Albert Lebrun.

30 décembre1938.

Les exécutions

Trois têtes tombent à Oran.

Henri Zaoui a été guillotiné hier matin.

L'assassin de Jules Aubertin a marché courageusement à la mort.

« Je meurs innocent ! », a-t-il clamé en face du couperet.

Son exécution a été immédiatement précédée de celles de deux indigènes. Une foule énorme maintenue au loin par le service d'ordre aux derniers moments du condamné

La nouvelle du rejet de la grâce de Zaoui avait été officiellement tenue rigoureusement secrète, de même que celle du jour de son exécution qui ne fut communiquée aux autorités Oranaises que mercredi vers le milieu de l'après-midi.

Si l'information sur le dernier acte du drame de Noisy-les-Bains avait cependant transpiré parmi la population algéroise, aucune précision n'était généralement connue à Oran. On savait bien que deux indigènes, Fakrar Mohamed ould Abdelkader, dit « Tayeb », et Nour Taher ben Saïd, dit « Djir Tahar », agresseurs et voleurs notoires du quartier nègre et auteurs, le 10 mai 1936, de deux assassinats dont l'un leur avait rapporté 15 francs et l'autre 3 francs, devaient, en vertu d'un arrêt de la cour criminelle d'Oran, être probablement exécutés le lendemain, rien de précis n'était encore ébruité sur le sort de Zaoui.

Les bois de justice étaient arrivés le matin même et les desservants de la « veuve » quelques heures après ; mais rien encore, en ville, dans l’attitude et les conversations des citadins, ne permettait de soupçonner l'imminence du tragique événement. Le soir, à la sortie des magasins et des bureaux, les nombreuses et belles filles qui font la parure chatoyante du boulevard Séguin accomplissaient, comme à l'accoutumée, dans des cascades de rires, leur vespérale promenade sous le rutilement multicolore des annonces lumineuses et l'éclat flamboyant des vitrines.

La nouvelle se répandit assez tard que trois têtes et non plus deux seulement seraient remises à M. d'Alger et à ses aides. Ce fut alors comme une traînée de poudre. Dans les cafés, où la vie se poursuit, ici, suivant la coutume espagnole, jusqu'à une heure avancée de la nuit, elle fit bientôt l'objet unique et général des conversations.

Aucune fièvre cependant dans des controverses quelquefois animées entre interlocuteurs de races différentes et qui s'opposent parfois. La justice populaire avait prononcé son verdict, toutes les voies légales de recours avaient été épuisées ; plus rien ne pouvait différer l'échéance inéluctable.

Aussi, dès minuit, à pas feutrés et conversant à mi-voix, des groupes nombreux se dirigent vers la nouvelle prison civile qui, au-haut du boulevard Paul-Doumer, face à un ancien champ de manœuvre, à l'intersection des routes de Valmy et du cimetière de Tamaschouet, dresse la blanche et froide nudité de ses bâtiments neufs.

Une foule hétéroclite

Un peu plus tard les salles de spectacles, et plus tard encore les dancings apportèrent leur appoint de gens curieux et aussi de fêtards blasés avides de sensations nouvelles. Tous ceux qui déjà sur place veillaient par devoir professionnel ne virent pas sans inquiétude les terrains avoisinants progressivement envahis par une foule où se remarquaient des couples trop élégants. D'aimables personnes mieux faites pour étinceler aux lumières d'une réunion mondaine exhibaient des fourrures audacieusement parfumées. Des autos, aux phares brutaux, amenaient cette foule frivole, jacassante et indifférente à l'angoisse du moment.

M. le Commissaire central, les colonnes de tirailleurs sénégalais, de tirailleurs algériens, de zouaves, de gardes mobiles, qui occupaient un carré d'environ quatre cents mètres de côté, mirent bon ordre à cette regrettable invasion dès 3 heures du matin.

S'il n'avait fallu que montrer patte blanche, les belles de cette nuit eussent été sauvées. Mais il était nécessaire de justifier d'une obligation professionnelle et d'une rigoureuse identité préalablement contrôlées par les services préfectoraux. Et la police sut dénicher les plus audacieuses tapies au fond de voitures, en d'invraisemblables recoins et jusque sur les murs d'un cimetière voisin.

Plusieurs milliers de personnes sont là, maintenant refoulées et maintenues par un double barrage jumelé, à plusieurs centaines de mètres du lieu de l'exécution, dont elles n'apercevront probablement rien. Mais elles demeurent pressées les unes contre les autres en plusieurs rangs, stoïques sous la froideur glaciale de cette nuit de décembre, dont l'aube tarde à dissiper dans le ciel les myriades d'étoiles qui y scintillent d'un admirable éclat.

A quatre heures, les soubassements de la sinistre machine sont assemblés sur le macadam de la route, à vingt-cinq mètres environ de la porte de la prison. La mollesse de la terre meuble qui y donne immédiatement accès n'offrant point assez de garanties pour assurer une stabilité suffisante pendant les trois opérations qui doivent se succéder à un rythme accéléré.

Sur la route

A quatre heures trente, les barrages massifs n'encadrent plus qu'une cinquantaine de témoins, tandis que la foule, dans le lointain, forme une haie d'ombre indécise violemment trouée à un moment par un large éclat de magnésium. C'est un photographe qui a essayé d'opérer à l'aide d'un encombrant appareil à pied que la police a tôt fait de saisir.

Les préparatifs de M. d'Alger

M. Roques, coiffé de son melon réglementaire et vêtu d'un imperméable mastic et ses aides, affublés de cottes bleues, se mettent au travail. La déclivité du sol de la route rend difficile la besogne accomplie en silence, à la lueur de deux lampes électriques placées à cet effet entre deux poteaux télégraphiques. Aidé de son niveau d'eau, comme un bon ingénieur, M. d'Alger rectifie l'équilibre de sa machine qui dresse bientôt ses deux bras noirs vers les étoiles.

Sur une place maintenant dégagée, face aux murs blancs du bâtiment pénitentiaire, la « Veuve » donne l'illusion d'une extraordinaire hauteur.

Des arroseuses municipales s'arrêtent qui serviront tout à l'heure au nettoyage rapide de la chaussée, ensanglantée, puis deux fourgons des pompes funèbres qui transporteront les corps à leur cimetière respectif. Une voiture de tourisme, vide, est placée non loin de là ; elle servira tout à l'heure de vestiaire aux aides lorsqu'ils endosseront leurs costumes noirs.

Il est 6 heures. Le jour tarde encore à paraître. Déjà cependant l'on reconnaît les officiels arrivant par groupe : MM. Regismanset, procureur de la République ; de Viniout, substitut ; Rocca, juge d'instruction ; Mes Brizon et Bourlaud, défenseurs de Fakrar et de Nour ; M. le bâtonnier Tabet et Me. Murtula, défenseurs de Zaoui ; MM. Herréra, greffier d'instruction ; Louet, greffier d'assises ; Askinadzi, grand rabbin ; Abordgel, du consistoire ; Bourek-bah Abdbelkader, cadi ; le muphti Ben Khalfat el Abib ben Abdelkader, etc.

Attente angoissante

A 6 h.15, les lumières sont éteintes. Brusquement, à droite, imposante, se détache la lourde masse du rocher de Santa-Cruz surmontée de son frêle oratoire.

La vaste esplanade apporte dans cette subite pénombre son immense et lourd mystère dominé par le moutonnement confus des rumeurs de la foule, traversé par des bruits divers : piétinement des chevaux, l'activité quotidienne qui s'éveille dans les gares et les usines environnantes, roulement produit sur le sol par les hommes du service d'ordre qui frappent du pied pour se réchauffer.

Une étoile filante irradie le ciel. Des commandements se font entendre dans une caserne toute proche. Dehors, les rares assistants sont étroitement groupes près de la machine justicière. Très pure, l'aube commence à éclaircir l'horizon. Il fait froid. On peut maintenant voir l'ensemble des masses humaines contenues par les barrages et des grappes de spectateurs agrippés aux arbres, perchés sur les murs, les toits et les terrasses environnantes.

Le réveil du condamné

Six heures trente, c'est l'instant du réveil. On se regarde sans mot dire.

Les magistrats pénètrent dans la prison. Ils vont aux cellules des condamnés. Arrivés à celle de Zaoui, ils le trouvent éveillé, étendu sur son lit.

M. Regismanset s'avance :

— Zaoui, ayez du courage, votre recours en grâce est rejeté.

Qui êtes-vous ? lui demande le condamné de la même voix sourde que nous avons entendue aux audiences.

M. Regismanset se fait connaitre et l'homme auquel il ne reste plus que quelques minutes à vivre dit au procureur de la République :

Je n'ai qu'une déclaration à faire ; sur la tête de mes trois enfants je jure, au moment où je vais mourir, que je suis innocent du crime dont on m'accuse. Le coupable c'est (et il cite ici un nom) qui connaissait bien le regretté Aubertin et sa veuve. C'est après la première autopsie, après le départ des trois médecins et avant l'arrivée, une heure plus tard, du commissaire Mathieu, qu'il a tiré les trois balles dans le cadavre pour toucher la prime d'assurance de trois cent mille francs. J’adjure la justice de faire toute la lumière sur cette affaire, de rechercher et de punir le vrai coupable.

Cette déclaration, dont nous avons respecté autant que possible l'intégrité du texte, a été faite d'une voix calme et posée par Zaoui, au procureur de la République, qui l'a recueillie et consignée. Puis, rapidement, ce sont les prières, la lugubre toilette, la satisfaction des dernières volontés.

Première exécution

Dehors il fait plein jour et le soleil brûle de ses premiers et ardents rayons.
Il est 7 h. 15. Un silence subit. Les deux battants de la large porte brune s'ouvrent. L'assistance n'a plus qu'un seul regard. Fakrar apparaît le premier, exsangue, défaillant, presque porté par les deux hommes noirs. Il a cependant la force de faire, de la tête, un signe d'adieu à un gardien qu'il aperçoit sur sa droite. Le bruit sinistre du déclic se fait entendre. Un corps roule dans le panier.

Armés de seaux, d'arrosoirs et d'éponges, les aides s'activent tandis que M. d'Alger remonte le triangle d'acier, rajuste le déclic, puis fait un signe de la main droite.

Une deuxième tête tombe

Et c'est alors, à 7 h.16, Nour Tahar qui s'encadre dans le rectangle de lumière. C'est un négroïde à la forte carrure. Il marche la tête droite. Il a aux lèvres une cigarette qu'il crache lorsqu'il voit la machine.

Et rapidement encore, justice est faite.

Zaoui marche à la mort

Il ne reste plus à Zaoui que quelques secondes de vie. Il est 7 h.17. La porte s'ouvre à deux battants pour la troisième fois. Le voici. Il n'a plus son veston bleu croisé. Son cou est nu. Le col de sa chemise blanche largement échancré jusqu'aux épaules.

Lui aussi dit un dernier adieu à des gardiens. Il est brave, mais si pâle !

Tout son large corps est tendu jusqu'aux lèvres mêmes, bandé comme une corde d'arc. Mais il marche. Il a franchi quelques mètres. Il regarde la guillotine.

Je meurs innocent !

Arrivé près de la bascule il aperçoit dans le panier l'horrifiant spectacle des deux corps qui l'y ont précédé. Il a, de tout le buste, un mouvement de recul. Il tourne la tête a gauche. Il crispe la mâchoire en un réflexe que nous lui connaissons ; et il crie très distinctement : « Je meurs en innocent ! »

On le saisit, il est précipité sur la planche, on le pousse et le couperet tombe pour la troisième fois.

Justice est faite

Dans un silence impressionnant un seul bruit : le bruit — ce bruit terrible, unique ! — du lourd couteau déclenché. Pas un murmure, seul un halètement qui passe comme un souffle se produit dans la foule immense. A-t-on seulement vu ?

En un éclair tout est terminé. Il est 7 h. 20. Les fourgons funèbres s'approchent, les aides en descendent les cercueils qui se referment sur leur lamentable proie, et qu'ils enlèvent ensuite comme un travail de force, en athlètes.

Les fourgons repartent vers les dernières demeures, encadrés de gardes mobiles à motocyclettes. Les officiels s'en vont. La foule se disperse lentement. Me Tabet qui a suivi l’exécution, est là, devant la prison. L'éloquent défenseur est livide. Il nous dit ce que furent les derniers instants de son client.

Fernand Hugues

Zaoui fut le dernier condamné décapité publiquement à Oran.

Et pour les lecteurs qui s'intéressent à la peine capitale dans l'Algérie de cette époque, vous pouvez consulter une source intéressante et bien documentée ici.

1er février 1939

Erection d'une stèle commémorative en souvenir de Jules Aubertin - Au cours de l'année 1936, un comité local avait projeté l’érection d'une stèle commémorative sur le bord de la route rejoignant les villages de Noisy et de Georges-Clémenceau, au lieu même où fut découvert le corps, pour la deuxième fois mutilé, du malheureux capitaine Jules Aubertin, grand mutilé de la guerre, Commandeur de la Légion d’honneur.

Une enquête judiciaire était alors en cours et la famille de M. Aubertin nous demanda de surseoir à ce que nous ne considérions que comme un pieux devoir, craignant qu'une telle manifestation pût être mal interprétée et génât le cours de la Justice.

Actuellement, rien ne nous empêche plus d'élever le souvenir de pierre qui a été projeté et qui sera d'autant plus décent que les fonds recueillis seront plus appréciables. Nous avons déjà rassemblé onze cents francs, mais ils sont encore bien insuffisants pour le travail à exécuter et pour lequel nous pourrions avoir le concours d'un artiste éminent.

Les souscriptions, mêmes les plus modestes, seront bien accueillies par MM. Morin, maire de Noisy, et Pierre Lescombes, maire de Georges-Clémenceau, ou par le docteur Vidal, de Rivoli.

A l'avance, merci !

Pour le comité : docteur Vidal, Rivoli.

21 février 1939

Monument Jules Aubertin (Rivoli) - Le comité pour l'érection d'une stèle commémorative à Jules Auberth, sur la route de Noisy à Georges-Clémenceau, nous fait connaître que le résultat de la souscription ouverte s'élève à la somme de 6 912 francs.

Les souscriptions individuelles ou collectives sont reçues par M. Morin, maire de Noisy, Lescombes, maire de Clémenceau et le docteur Vidal, de Rivoli, ainsi que par divers groupements, et en particulier par le capitaine Rose, au nom du Rassemblement national de Mostaganen.

Le comité remercie très vivement les donateurs.


La stèle telle qu’on pouvait la voir en 1978

Gérard Langlois

 

(Sources : L'Echo d'Oran, L'Echo d'Alger, La Gazette de Noisy-les-Bains, tome IV)



 

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