Histoire avant 1848
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Vie des Communautés
Centenaire 1914-1918

ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

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JACQUES PAREJA

1918 –


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UN COMBATTANT DE LA DERNIERE GUERRE (39-45)

Notre ami Jacques Paréja, qui vient de fêter ses 91 ans récemment, a raconté à sa fille Michèle son itinéraire de soldat de 1939 à 1945. Celle-ci en a fait un livre de 120 pages, « Itinéraire d’un pied-noir 1939-1945 », publié aux Editions Michèle Marie, qui nous font découvrir un garçon de chez nous, plein de courage et de simplicité comme tous les jeunes de sa génération qui sont partis à la guerre.

Afin de mieux connaitre son livre, je vous livre quelques pages choisies.

Né à Perrégaux, le 8 août 1918, il a vécu les premières années de sa vie à Marseille où le travail de son père avait conduit la famille. Revenu dans son pays natal, il a passé la majeure partie de son enfance à Noisy-les-Bains, où vivait son grand-père jean Ségalas. Les souvenirs d’école se limitent au petit jardin : les locaux se trouvaient près de l’église, dans une maison devenue ensuite celle de Constant Gallet, l’instituteur, d’origine corse, avait donné à chaque enfant la responsabilité d’un petit carré de terre qui devait servir à faire pousser fleurs et légumes pour réussir le plus beau carré. Il s’est trouvé en compétition avec Robert Thurin qui par la suite est devenu ingénieur agronome.

Son grand ami, toutefois, c’était Gaby Morin dont les parents habitaient en face de chez le grand-père Ségalas. Les vieux du village les appelaient les « inséparables ». Gamins, la sœur de Gaby dite « tata Mélanie » leur confiait souvent la garde du petit dernier, Henri Langlois (Riri). Comme le malheureux bambin les suivait partout et devenait une charge, « un boulet », ils avaient trouvé une astuce : ils faisaient le tour de l’abreuvoir municipal qui trônait sur la place du village, mais en marchant sur le rebord de la vasque de pierre, inévitablement, l’enfant qui essayait de les suivre, glissait et tombait dans l’abreuvoir ! Il fallait le ramener mouillé à sa mère qui les accablait de reproches, mais eux pouvaient retourner tranquillement à leurs jeux.

Sa scolarité lui a laissé peu de souvenirs : le pensionnat de Mostaganem où il mangeait des pois cassés à longueur d’année, l’Ecole Normale d’Oran avec les cours dans les classes d’application qui étaient très pénibles. Il se préparait à une carrière d’enseignant, sérieuse et honnête quand la guerre est arrivée.

Mobilisé le 16 septembre 1939 à Oran, il est parti immédiatement pour l’école d’officiers de Saint-Maixent pour revenir, jeune aspirant le 20 janvier 1940, à la caserne de Colonieu du 2ème RTA à Mostaganem, puis il connaîtra les garnisons d’Arzew, Zemmora, Ammi-moussa, Inkermann, Tiaret… puis, en mai 1940, c’est le départ pour la Tunisie et la ligne Mareth, mais c’est une telle débandade que les troupes n’ont pas passé la frontière et tout s’est arrêté à Souk Ahras pendant un mois, en juin juillet 1940. C’est là qu’il a appris la nouvelle de l’armistice. Le retour à Mostaganem s’effectue en train, à pieds, en camion et Jacques Paréja est finalement démobilisé le 20 octobre 1941, pour faire l’objet d’un rappel sous les drapeaux le 16 novembre 1942.

Affecté au 2ème RTA de Mostaganem comme aspirant, il s’est retrouvé en Tunisie.

Là, les Allemands, très combattifs, provoquaient des dégâts dans les rangs français. A un moment le général Rommel a essayé de rejoindre le gros de ses troupes, en passant la ligne Mareth, pour encercler le contingent français. A son approche l’ordre est arrivé de partir très vite, en abandonnant tout, pour ne pas être encerclé, et ce sont les avions américains et anglais qui l’ont arrêté à Kasserine ; le pilonnage a été intense et a tout détruit, mais c’est grâce à eux si Jacques n’a pas été fait prisonnier.

Ensuite, début 1943, il est parti avec sa compagnie jusqu’à Maktar tandis que les Allemands s’étaient regroupés autour du djebel Zaghouan. Là, une habile manœuvre de nos troupes a permis de les encercler pour les obliger à se rendre.

De retour à Mostaganem comme sous-lieutenant, il apprend son embarquement prochain pour l’Italie et se retrouve à Naples le 3 juin 1944 pour recevoir un nouvel armement et poursuivre les combats si vaillamment livrés par la division d’infanterie marocaine.

A deux reprises il a constitué avec ses hommes la section d’honneur du général de Lattre.

De ce séjour dans l’Italie profonde Jacques Paréja garde des souvenirs très vifs, vécus durant des périodes d’accalmie, qui ont suscité surprise et incompréhension pour quelqu’un de si croyant et pratiquant :

-La messe à Durazzano où tout le monde arrivait, s’appuyait, la tête sur les bras, sur le dossier de la chaise du rang précédent et s’endormait ; le prêtre arrivait du fond de l’église avec ses enfants de chœur, disait la messe… et dès qu’il avait prononcé le « ite missa est » tout le monde, soudain se réveillait, se levait et sortait de l’église ; il attendait donc, devant l’autel, que tous les paroissiens soient sortis pour retraverser l’église et repartir à son tour avec ses enfants de chœur. Jacques et son capitaine étaient restés les seuls à attendre que le prêtre soit retourné à la sacristie, et les derniers à quitter l’église.

-A Ciusano, un écriteau fixé à l’entrée de l’église recommandait : « Ne pas cracher à l’intérieur de l’église ». Quelle surprise, pour lui si croyant !

Le 10 août1943 ils ont reçu l’armement et l’habillement d’un nouveau paquetage pour quitter Naples et rejoindre la France sur un bateau américain. Le 9 septembre le débarquement eut lieu près de Saint-Tropez, et quelques jours plus tard c’était le départ en camions pour remonter la vallée du Rhône en direction de l’est de la France.

Dès le 10 octobre il prenait position avec sa compagnie sur le plateau d’Onans, à la Roche-Jean dans le Doubs. Là les accrochages avec les Allemands ont été nombreux, quotidiens et souvent meurtriers. Pendant un mois alterneront embuscades, pilonnages, coups de main, attaques et contre-attaques. Le 29 octobre, en particulier, une cinquantaine d’obus sont tombés sur la 7ème compagnie faisant de nombreux blessés.

Le 11 novembre, c’était le départ pour Uzelle, à 13 kms de Rougemont, également dans le Doubs, en prévision de l’attaque générale du 14 novembre qui a permis de reprendre une série de villages : Mancenas, Geney, Faimbe, Bretigney, Saint-Julien-les-Montbéliard, Raynans… pour arriver à Belfort où il retrouve Armand Paralieu, un autre Noiséen, qui était dans le premier char entré dans la ville.

Dans cette période de fin d’année les combats faisaient rage, mais au cours d’une courte accalmie, il est allé voir dans un trou un tirailleur qu’il connaissait. Tout à coup, sans qu’ils aient entendu quoi que ce soit, un obus est tombé tout près d’eux, Jacques a reçu un éclat dans le dos, à la hauteur de la ceinture du blouson ; une brève sensation de brûlure, une grimace, un léger cri et un petit bout de ferraille qui restera en place ; mais le tirailleur, lui, a subi un autre sort ; l’éclat qui l’a atteint, a touché la tête et traversé le crâne ; « il y avait de la cervelle sur toutes les herbes dans un rayon de 2 à 3 mètres. Pourquoi lui et pas moi ? Pourquoi une telle différence alors que nous étions si proches, lui dans son trou et moi debout devant lui ? » C’est la guerre qui fauche les vies !

Vers le 10 février, avec ses hommes il fait une reconnaissance sur le Rhin, et d’un de ces villages traversés à la hâte, en colonne par un à la poursuite de l’ennemi, il se souvient de ce brave homme qui les poursuivait avec une bouteille de schnaps dans une main, un verre dans l’autre, en leur répétant : « Buvez, buvez, je l’ai gardé pour vous, buvez ! »

La progression continue, à la poursuite des armées allemandes qui reculent mais se battent sur chaque point stratégique et résistent le plus possible.

Le 27 mars 1945 c’est le passage en Allemagne.

Le 4 avril ils ont attaqué Heidelsheim au nord-est de Karlsruhe. Ne voyant pas revenir les hommes qu’il avait envoyés en éclaireurs, il est parti à leur recherche et en sautant dans un fossé il a été fauché par une rafale de mitrailleuse. La jambe déchiquetée, il s’est recroquevillé contre la paroi du talus pour se protéger. Il avait eu la vie sauve et ses hommes ont pu venir le relever et l’évacuer. Jacque, blessé, a été emmené en ambulance à Mutzig, dans un hôpital d’évacuation à l’ouest de Strasbourg ; pendant le trajet il entendait les infermières discuter entre elle et dire qu’elles n’avaient pas dormi depuis plus de 48 heures ; elles avaient peur également cat elles essuyaient les tirs de francs-tireurs et la veille l’une d’elles avait été tuée.

A l’hôpital, alors qu’il était couché par terre dans un couloir, attendant des soins, l’un des prisonniers allemands qui soignait des blessés s’est approché de lui : « Pour vous la guerre est finie. » Oui, trois balles de mitrailleuse dans la jambe, un tibia en charpie, une artère déchiquetée, pour Jacques la guerre était terminée… mais il ne faisait pas partie des urgences car sa vie n’était pas en danger.

C’est seulement le lendemain 5 avril, à 5h30, qu’à eu lieu l’opération.

Le 8 avril, c’était l’évacuation sur Neris-les-Bains, dans un train entier de trois cent cinquante blessés couchés.

Après une convalescence de quelques mois il s’est rétabli à peu près normalement, se déplaçant à l’aide d’une canne, puis comme les autorités refusaient de le laisser partir en raison d’une plaie ouverte, il a signé une décharge et a pris le train pour Marseille

Le 1er août il a embarqué à Toulon pour toucher le sol d’Algérie et retrouver sa famille qui, chaque jour, soignait sa plaie avec de l’huile de foie de morue et de longues expositions au soleil.

Il a fallu onze mois pour sa marche redevienne normale, malgré douleurs et tiraillements.

Jacques a été démobilisé le 4 juin 1946, mais il garde présent à l’esprit ses souvenirs d’officier au combat, avec les images de souffrance, de détresse et de délivrance dans la victoire.

Jacques Paréja a été cité à l’ordre du corps d’armée pour l’attribution de la Croix de guerre : « Excellent officier remarquable de sang-froid, d’esprit de décision, de bravoure, ne cesse depuis le début de l’attaque de se distinguer. A cependant particulièrement brillé le 09/12/44 où, debout à 50 mètres, avec sa carabine, tirant sur les Allemands qui contre-attaquaient furieusement, il contribua par son attitude et sa précision de tir à l’arrêt de l’ennemi, et le 12/12/44 où ayant perdu le Rangenkop, il repartait à l’assaut avec douze hommes et le reprenait sur le champ. »

Il reçoit une nouvelle fois la croix de guerre avec étoile vermeille à l’ordre du corps d’armée, le 24 avril 1945, pour son comportement exemplaire au cours des combats du 20 au 25 janvier 1945 dans la forêt de Graffenwald.

A nouveau reconnu comme « officier de grande valeur, joignant les parfaites connaissances militaires au courage calme et réfléchi. Entraineur d’hommes, il savait inspirer confiance par sa sûreté et sa force, le 4 avril 1945 devant Helmshein, ayant pris le commandement de la compagnie, après les blessures du commandant de compagnie et de son adjoint, a tenu son poste particulièrement difficile sous le feu meurtrier des armes automatiques ennemies. Blessé lui-même il assure jusqu’au bout son commandement difficile. »

Il se voit citer à l’ordre de l’armée pour l’attribution de la croix de guerre avec palme, sous la signature de C. de Gaulle.

Jacques Emmanuel Paréja a été nommé, J.O. du 16 avril 1949, au grade de chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur, pour services de guerre exceptionnels.

Maurice Langlois


 

(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 45, décembre 2009)



 

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