Histoire avant 1848
Archives / Bibliothèque
Vie des Communautés
Centenaire 1914-1918

ANLB

Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 


UNE BELLE EPOPEE SPORTIVE MALGRE TOUT

par Aimé Vuillaume

Lorsque j’ai quitté l’école communale de Noisy-les-Bains, conduite par M. Muller notre instituteur pour entrer en 6ème au lycée René Basset à Mostaganem, j’ai été interne comme beaucoup d’autres. Le quotidien d’un potache, jusque-là habitué à vivre en famille et en liberté avec ses copains de village, était quasi monacal. La discipline, à cette époque, n’était pas une plaisanterie. Nous ne retournions chez nous que tous les quinze jours, à condition de ne pas avoir été punis. Il est vrai que nous étions là pour travailler et surtout apprendre. Le jeudi, jour de repos, certains élèves étaient inscrits, avec l’autorisation de leurs parents, à une activité sportive et ils allaient passer l’après-midi au stade de l’I.S.M. dans le quartier Beymouth, les autres, comme moi, après le repas de midi, étaient confiés à un pion qui les escortait, en rang par deux, pour une promenade jusqu’au Fort de l’Est. Un Arabe qu’on appelait « Chacal » nous suivait avec sa charrette à bras remplie de friandises diverses et restait avec nous.

Je m’ennuyais copieusement pendant ces excursions forcées. Mon père avait un a-priori négatif contre le sport et refusait de m’inscrire malgré mes demandes insistantes et réitérées. Il prétendait que cela n’était pas compatible avec des études sérieuses. Je me suis conformé pendant un certain temps à cette volonté paternelle, mais, en classe de quatrième, lassé par ces sorties sans intérêt, après un entraînement soutenu pour imiter la signature paternelle, je me suis inscrit pour jouer au handball à sept et faire de l’athlétisme.

L’équipe de handball des minimes était en cours de formation. Après plusieurs essais, monsieur Bourdis, notre professeur de gymnastique, lui-même handballeur de grand talent, puisqu’il a joué dans la sélection d’Oranie, m’a retenu comme gardien de but titulaire. Nous terminâmes second du championnat d’Oranie dans la catégorie minime derrière le lycée Lamoricière d’Oran.

Je me souviens de ce déplacement à Perrégaux, en terrain neutre. Pour atteindre le lieu de la finale, il fallait que notre car traverse Noisy-les-Bains. Tous savaient que j’avais signer mon autorisation parentale. Aussi, lorsque le bus enroula les premiers lacets de la descente sur Noisy, à hauteur de la briqueterie Bernal, j’entendis : « Vuillaume cache-toi, nous arrivons chez toi. » Mes parents n’habitaient pas sur le trajet, mais quelqu’un du village pouvait me voir et le dire à mon père à l’heure de l’anisette, le soir. Je me suis accroupi entre deux sièges jusqu’après la maison de monsieur Feyt, le maire. Au retour, le même scénario se reproduisit. Tout se passa bien en dehors de notre défaite contre une équipe plus athlétique que nous.

En seconde, j’étais dans la catégorie des cadets et je n’eus aucune peine à obtenir le poste de gardien de but titulaire. Cette année 1954-1955 allait être la dernière où des jeux universitaires seraient organisés. La Toussaint rouge avait marqué les esprits. On sentait qu’un mécanisme était cassé mais personne ne voulait encore croire à ce que l’avenir nous préparait. Notre équipe de handball était solidement constituée et monsieur Bourdis avait pris à cœur son rôle d’entraîneur. Parmi nous évoluaient d’excellents joueurs : Alex Besson, Gérard Lévy, Germain Sirjean, Alain Lacotte, Hannoun, René Séva, Philippe Pelloquin (c’était un excellent copain qui allait être assassiné, à peu près un an plus tard, avec un de ses frères et son père, par des fellaghas, alors qu’ils revenaient chez eux, le soir, dans leur ferme près de Mostaganem). Nous fîmes un championnat d’Oranie de rêve, battant le lycée Laperrine de Sidi-Bel-Abbès en finale, grâce, je ne le dirai jamais assez, à l’implication totale de monsieur Bourdis qui nous obligeait à des séances fréquentes d’entraînement dans la cour du lycée pendant nos heures de récréation. Nous jouions de temps en temps contre l’équipe des juniors dont l’excellent goal était Thomann, et nous remportions ces matchs régulièrement.

Comme c’était l’année des jeux universitaires, nous pouvions prétendre aller disputer le titre de champion d’Algérie au printemps 1955, à Blida, à condition de gagner notre match d’accès à la finale contre l’équipe du lycée de Blida justement. Monsieur Bourdis fit des pieds et des mains pour obtenir l’autorisation du proviseur et des familles des joueurs. Sa ténacité et sa force de persuasion lui permirent de mener à bien sa délicate mission. Merci monsieur Bourdis ! Le sort nous imposa Perrégaux, comme lieu de rencontre, pour affronter Blida. Encore une fois notre itinéraire passait par Noisy-les-Bains. Je dus me camoufler pour que personne ne puisse me voir lors de la traversée du village. Nous arrivâmes au stade juste avant le début du match. Cette fois nous n’avions pas eu le temps de nous échauffer. Nous avons frôlé la catastrophe mais, de justesse, nous avons gagné. Nous accédions à la finale. Nous étions heureux. Notre retour eut lieu sans incident.

Une autre difficulté se présentait à moi : comment expliquer à mon père que dans quelques semaines je devais me rendre à Blida pour disputer la grande finale des jeux universitaires alors que j’étais censé ne pas pratiquer de sport ? Monsieur Bourdis était inquiet et se proposait de rencontrer mon père pour obtenir son accord. J’ai préféré assurer moi-même cette tâche délicate. A ma grande surprise, je n’eus droit à aucun reproche. Quel soulagement ! La famille était plutôt rassurée parce que mon oncle Félicien habitait Blida où il exerçait la profession de chef de gare. A cette époque les attentas avaient tendance à se multiplier et le sentiment d’insécurité allait croissant parmi la population. Nous croyions à un règlement politique de ce qu’on appelait alors encore les « événements » d’Algérie.

Nous partîmes en train de la gare de Perrégaux. Depuis Oran et tout le long du trajet jusqu’à Blida, à chaque arrêt, des équipes montaient dans les wagons : des filles, des garçons. L’ambiance était joyeuse et nous ne vîmes pas passer le temps. L’ouest de l’Algérie allait affronter l’est. Un esprit identitaire se forgea pendant ce voyage et ce fut une bande de gais lurons qui débarqua à Blida où mon oncle m’attendait et m’invita chez lui, alors que mes coéquipiers furent dirigés vers les dortoirs d’un établissement scolaire.

Ceux qui, comme moi, participaient pour la première fois à des jeux universitaires, qui seront les derniers organisés en Algérie, furent impressionnés par le protocole un peu semblable à celui des jeux olympiques, toute proportion gardée : défilé en tenue sportive, aux couleurs et avec le blason de son établissement, dans les rues de Blida jusqu’au stade, présentation des équipes aux autorités présentes dans une tribune d’honneur, musique, saluts…

Quelle journée mémorable et pleine d’émotions que cette ouverture des jeux universitaires ! En me remémorant ces moments je me rends compte, qu’encore aujourd’hui, je n’ai rien oublié de ces instants magiques dans la vie d’un sportif.

Nous dûmes patienter un jour ou deux avant la finale du handball à sept, catégorie cadets, contre nos redoutables adversaires du lycée Ben Aknoun d’Alger. Nous n’en menions pas large et nous n’avions pas beaucoup de possibilités pour nous entraîner. Monsieur Bourdis, si calme habituellement, était devenu très nerveux. Il avait acheté une caméra pour filmer notre match.

Enfin l’instant tant attendu et redouté à la fois arriva. Nous pénétrâmes dans le stade en présence de très nombreux spectateurs. Nous n’étions pas habitués à cette pression. Nous avions le trac. Notre entraîneur tentait de nous rassurer alors que lui-même ne l’était pas, nous le percevions nettement. A ce moment précis, nous doutions de nous-mêmes. Le speaker annonça la finale et donna la composition des équipes en demandant à chacun de faire un pas en avant à l’énoncé de son nom. Alors, comme par magie, notre trac s’est dissipé, nous étions à nouveau des compétiteurs. Nos adversaires étaient valeureux et nous eûmes du mal à entrer dans la partie. Monsieur Bourdis, sa caméra à la main, courait d’un bout à l’autre du stade, oubliant de filmer. Nous remportâmes la victoire et le titre de champion d’Algérie par 9 à 3. Nous avons tous soulevé la coupe que nous avions remportée et nous arborions fièrement les médailles commémoratives qui avaient été remises à chacun d’entre nous. Quelle joie, quelle fierté ! notre professeur de gymnastique se trouvait aussi récompensé de ses efforts. Nous étions heureux pour lui. Notre seul regret fut de ne pas avoir un film de notre mémorable finale, aussi, monsieur Bourdis prit chacun d’entre nous dans des phases d’actions fictives pour garder un souvenir. Je me demande où doit être conservé ce document aujourd’hui. Peut-être a-t-il été détruit après l’indépendance de l’Algérie ?*

Ce récit pourrait s’arrêter là, mais le lycée de Blida que nous avions battu d’extrême justesse à Perrégaux où nous avions été cueillis à froid, nous demanda une revanche officieuse. Après notre victoire, nous n’avions plus l’esprit à la compétition, mais notre professeur releva le défi et nous avons dû affronter cette équipe qui voulait démontrer sa supériorité et l’injustice du sort qu’elle avait subi. Cette fois nous l’avons battue sur un score sans appel en faisant jouer tous nos remplaçants pour les récompenser.

Ainsi s’acheva cette véritable épopée. Le lycée René Basset accueillit dignement ses « héros ». Nous étions fiers de ramener ce prestigieux trophée. Pour ma part, je n’ai jamais regretté d’avoir, un jour, imité la signature de mon père, autrement je n’aurais jamais pu vivre des moments d’une telle intensité.

Aimé Vuillaume

*Contacté, Paul Bourdis (82 ans), a précisé que la caméra appartenait au lycée. Certes, il a un peu oublié de s’en servir au cours du match car il recadrait sans cesse le dispositif de son équipe cadet qui lui a laissé un excellent souvenir. Il n’a pu retrouver que deux photos noir et blanc qu’il nous a transmises aussitôt. Ayant dû rentrer précipitamment en 1962, il ignore ce qu’il est advenu des séquences filmées évoquées par Aimé Vuillaume.

Maurice Langlois

(Sources : Bulletin de liaison des enfants de La Stidia et Noisy, n° 43, juin 2009)
 


 

© Copyright G. LANGLOIS/site ANLB