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ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

VOYAGE DE NAPOLEON III A MOSTAGANEM

1865
 

Le voyage de Napoléon III en Algérie suivit de près les insurrections de la province d’Oran de 1864. Le 20 mai 1865, il était à Mostaganem et le 24, il daignait honorer de sa visite le centre de Relizane. Nous tenons à reproduire ici le texte même de Pharaon, l’historiographe de l’Empereur (relatant les faits avec la partialité qu’il convenait à un courtisan), quitte à remettre ensuite les choses à leur point exact.

« Le lendemain, 21 mai, Sa Majesté quittait Mostaganem à huit heures du matin pour aller visiter le centre agricole de Relizane qui fut créé le 24 juillet 1857, et qui, dans le court espace de huit années, s’est transformé en une petite ville florissante.

Sur tout le pourtour, Sa Majesté fut alternativement acclamé par les colons dont les villages sont échelonnés sur la route, et par les Arabes qui étaient venus établir leurs douars sur le bord du chemin pour saluer. Une scène émouvante attendait l’Empereur aux portes de Relizane ; au moment où Sa Majesté arrivait, sa voiture fut inopinément entourée par plus de 10 000 Arabes qui se ruèrent jusque sous les roues de la calèche, et la séparèrent complètement de la suite et de l’escorte d’honneur. Une pareille scène ne peut se décrire ; toute cette population, hommes, femmes, vieillards, enfants, la tête nue en signe de soumission tendaient les bras vers l’Empereur, et de ces milliers de poitrines, sortait le même cri : Grâce !

Cette forte et puissante population arabe était courbée tout entière devant le souverain, et cette manifestation qui restera unique dans l’histoire avait un cachet grandiose que la plume ne saurait reproduire. Le premier moment de tumulte passé, Sa Majesté parvint non sans peine à savoir ce que voulaient ces vieillards à barbe blanche, ces femmes éplorées, ces enfants, ces robustes guerriers dans l’attitude de la soumission et de la prière.

C’étaient les membres de la confédération des Flittas, composée de 19 tribus, qui venaient implorer la grâce de leurs frères internés en Corse à la suite de la dernière insurrection. La scène était touchante. L’Empereur, entouré seulement de Son Excellence le maréchal de Mac-Mahon, du général Fleury et du général Deligny, se trouvait complètement isolé au milieu de cette population en pleurs ; dans leur langage pittoresque de l’Orient, les Arabes protestèrent de leur dévouement futur, s’offrant comme otages à la parole donnée.

L’Empereur, visiblement ému par cette scène de désolation, fit immédiatement appeler Sidi-el-Aribi, khalifa de cette puissante confédération, et tint un instant conseil au milieu du tumulte. Pendant tout le temps que Sa Majesté mit à s’éclairer sur la part que ces tribus avaient prise à l’insurrection, Les Flittas manifestaient comme ils pouvaient par leurs cris, par leur attitude, par leurs gestes, leurs promesses d’éternelle soumission. Rien ne saurait décrire l’enthousiasme qui se manifesta, lorsque les paroles d’oubli et de pardon tombées des lèvres impériales leur furent transmises par leur chef Sidi-el-Aribi ; les Flittas éclatèrent en actions de grâces, les femmes déchiraient l’air de leurs « touil ouil » aigus : c’était la débauche de la joie, le délire de l’enthousiasme, les uns se prosternaient le front contre la terre, les autres cherchaient à baiser les pans de vêtements de l’Empereur et des officiers généraux dont il était accompagné. Ce fut à grand peine que le piqueur de Sa Majesté put ouvrir un passage à la voiture impériale qui fut obligée de traverser au petit pas la ville de Relizane.

Après avoir visité le barrage établi sur la Mina, dont les eaux ainsi retenues fertilisent vingt-cinq mille hectares de cultures industrielles, et s’être fait rendre un compte exact de l’état de la colonisation. Sa Majesté reprenait la route de Mostaganem, où Elle arriva à 6 heures du soir, après avoir fourni une course de trente-quatre lieues dans sa journée.

Le soir, Elle réunissait à sa table les autorités civiles, militaires et indigènes, et tandis que les habitants de Mostaganem faisaient éclater leur enthousiasme autour de la résidence impériale, des scènes touchantes se passaient sous les tentes des Flittas. Les familles arabes réunies exaltaient la générosité du Sultan, et le nom de Napoléon III volait de bouche en bouche au milieu des bénédictions de tous ; toute la nuit, les indigènes se visitèrent les uns les autres pour se féliciter de l’heureux événement, et les seules victimes de cette joie universelles furent les moutons égorgés pour célébrer la magnanimité du souverain.

Le lendemain matin, à 10 heures, Sa Majesté Napoléon III s’embarquait pour Alger au milieu des acclamations de la population de Mostaganem, et les cris « Vive l’Empereur ! » qui sortaient des bouches européennes, avaient un écho dans tous les cœurs arabes. L’acte de la veille n’avait fait que grandir, et les indigènes avaient ajouté au nom de Napoléon III celui de « El Karim – Le Généreux ! »

Ce qui précède est la vérité travestie purement et simplement. Le chroniqueur de l’Empereur au lieu de passer les faits sous silence a cru devoir les transformer en leur donnant une tournure toute à l’honneur de son maître, dans l’espoir que la postérité, portée à croire facilement aux actes glorieux du temps passé, accueillerait ce récit avec la même foi que tant d’autres erreurs et mensonges historiques. En réalité, quand Napoléon III arriva à Relizane, il y trouva près de vingt mille indigènes hommes, femmes et enfants accourus à la suite des goums commandés par l’autorité militaire. On avait fait à ces derniers d’alléchantes promesses, probablement l’assurance d’une distribution de subsides ou de grains, s’ils criaient bien fort « Vive l’Empereur » et s’ils amenaient beaucoup de monde pour acclamer le souverain. Il y avait, en outre, de nombreux parents et amis d’individus condamnés pendant les récentes insurrections, qui comptaient demander la grâce des prisonniers. Enfin, il y avait la tourbe tumultueuse des curieux et des fauteurs de désordres, qui complétait le tout.

Des clameurs discordantes accueillirent Napoléon III à son arrivée. Toute cette foule de miséreux descendus de la montagne, venus d’un peu de tous les points du territoire des Flittas, se massait autour de la voiture impériale et de son escorte, les uns hurlant « Bibe l’Amprou ! Bibe l’Amprou ! » D’autres criant des choses incompréhensibles dans leur langage rude, tous cherchant à se rapprocher de l’Empereur avec des intentions plus au moins honnêtes. En somme, les goums étaient insuffisants pour s’opposer à un coup de main, et rien n’empêchait cette masse d’indigènes de faire prisonnier le souverain et de l’emmener dans les montagnes avec son état-major. Je me suis laissé dire par de vieux arabes que telle était bien l’intention de certains manifestants, et s’ils ne purent mettre leurs projets à exécution, c’est grâce à la présence d’esprit de l’entourage de l’Empereur. La foule, en se bousculant menaçait de déborder la garde de cavaliers et d’envahir la calèche impériale. Pris de frayeur, Napoléon III fit signe à son trésorier particulier qui se trouvait derrière lui, dans une autre voiture, avec des cassettes contenant une somme assez forte. Aussitôt pièces d’argent et d’or tombèrent en pluie sur la cohue, jetées à pleine mains par le trésorier et un des généraux de la suite. Les Arabes se précipitèrent alors sur le sol pour y recueillir la précieuse aubaine, et c’est sans doute là ce que Pharaon a pris pour des prosternations humiliées. En fait d’acclamations, il n’y eut surtout que des cris incohérents et « l’attitude soumise » se traduisait par des gestes de sauvages, des gambades de gens satisfaits de se voir accorder une aumône par le chef de ceux qui leur avaient pris leurs troupeaux. Au lieu de s’arrêter à la halle aux grains, transformée en salle de réception, l’Empereur qui n’avait aucune envie de rester dans un lieu où les marques de sympathie s’affichaient avec un enthousiasme évidemment exagéré, ne se donna pas la peine de visiter ni barrage ni quoi que ce soit, il donna ordre de fouetter les chevaux et de s’enfuir à toute vitesse. Le soir, les douars alentours fêtèrent la venue de « l’Ambrou » avec ses écus et ses louis, les feux de méchoui éclairèrent la plaine en souvenir du passage d’un prince qui savait si généreusement distribuer les fonds de sa cassette secrète ; et, si un sentiment quelconque poussa les indigènes à se féliciter de la visite de l’Empereur, ce fut la reconnaissance du ventre !

Là se termine la chronique des événements historiques qui eurent pour champ d’action le territoire de la commune mixte de la Mina et ses environs immédiats. Il nous reste à voir maintenant l’histoire de ses divisions administratives jusqu’aux plus récentes organisations de celle de chaque tribu en particulier.

(Source : Monographie géographique et historique de la commune mixte de La Mina, René Leclerc, Société de géographique de la province d’Oran, tome XXII, année 1902.)
 

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