Le 05/05/2013
EFFONDREMENT DU MARCHÉ DE LA POMME DE TERRE.
L’importation de 160 000 tonnes de semences en serait la principale cause
La terrible loi de l’offre et de la demande vient de frapper de plein fouet les producteurs de pomme de terre.
Alors que la campagne de récolte venait de commencer avec l’arrivée des premières patates de la région de Aïn Nouissy, Hassi Mamèche et Touahria, les plus précoces en raison de la douceur de leur climat, les cours de la pomme de terre se sont effondrés comme jamais auparavant. Obligeant les fellahs à cesser les arrachages en attendant un redressement, peu probable, des cours. L’importation massive de 160 000 tonnes de semences en serait la principale cause. Les producteurs attendent, sans conviction, la mise en branle du Syrpalac, afin de sauver la filière de cette mauvaise conjoncture. L’absence d’industrie de transformation, le bradage d’une partie de la semence, ainsi que la rétention de la patate d’arrière-saison sont également mis à l’index par les opérateurs. Que ce soit dans les champs, sur les marchés informels de Bouguirat et de Sirat, les deux plaques tournantes de cette activité, le prix de cession est vite tombé en dessous de 20 DA. Il y a de cela un mois, lorsque les premiers arrivages, en provenance de la petite bourgade des Kraïmia, sur les hauteurs de Stdia, sont arrivés sur les étalages, les prix oscillaient déjà entre 30 et 35 DA, ce qui était en soi un signal avant-coureur de ce qui attendait les producteurs.
Les camions en provenance du centre et de l’est du pays, qui avaient pour habitude de converger par centaines dans la région et que l’on apercevait en d’interminables colonnes au niveau des centre urbains de Bouguirat et de Sirat, là où s’effectuent les transactions et se fixent les prix à la parcelle, ont fondu comme neige au soleil. Une bonne partie continue cependant de sillonner la région, mais sans aucune conviction. Rencontré chez un fellah de Hassi Mamèche, le jeune Messaoud connaît la plupart des fellahs de la région, avec qui il converse régulièrement par téléphone. Originaire de Chelghoum Laïd, une destination privilégiée en raison de son dynamique marché de fruits et légumes, ce commerçant est totalement désemparé par la tournure des événements. Cette chute des prix est pour lui aussi un coup terrible porté à son activité favorite. Il explique doctement à son vis-à-vis que s’il refuse de charger son camion de 20 tonnes, c’est à cause de l’incertitude du marché, ajoutant qu’il suffit d’une seule crevaison — un pneu coûtant l’équivalent de 40 000 DA — pour qu’il perde de l’argent. Pendant qu’il continue de sillonner les champs, passant d’une parcelle à une autre avec une déconcertante facilité, il prend régulièrement la température auprès de son frère resté au marché de Chelghoum Laïd.
Sans son signal, Messaoud ne chargera pas, surtout, explique-t-il, si les prix restent aussi bas ! L’année dernière, rencontré sur la parcelle de Laïd, en bordure de la RN17, à mi-chemin entre Hassi Mamèche et Aïn Nouissy, il affichait une mine superbe. Il avait fait venir trois camions et venait de faire une très bonne affaire, en achetant sur champ une variété rouge à 50 DA le kg. Une excellente opération à l’époque, puisqu’il escomptait la revendre à, au moins, 60 DA. Pour cette année, Messaoud ne sait plus quoi faire : rester et espérer une hypothétique remontée des cours ou s’en retourner bredouille et attendre que le marché reprenne de la vigueur. Son fournisseur, la mine défaite, vient de se faire rabrouer par son mandataire oranais, qui lui intime l’ordre de ne plus lui envoyer de patates. La scène qu’il lui décrit au téléphone d’un marché submergé par les caisses de pomme terre toute fraîche est la même que vivent les mandataires de Soug Ellil, à la périphérie de Mostaganem. Le moral des fellahs en prend un sacré coup. A Sirat, non loin du douar Ezzourg, Charef fait partie de ceux qui ne récoltent jamais avant une maturation complète du tubercule. «Pour moi, dit-il, ce que je perdais sur le prix était toujours compensé par le rendement.» Il explique, simplement, qu’en retardant au maximum la récolte, il obtenait aisément une plus-value de 25 à 30%. Il est vrai que ses rendements se situent souvent au-dessus des 500 quintaux, alors qu’une sur récolte avancée de seulement trois semaines, il en tirait rarement plus de 300 quintaux.
Spéculation sur la pomme de terre de Oued Souf Pourtant, l’optimisme de Charef n’est plus de mise. Il craint, en effet, que les cours ne se redressent jamais et ses craintes il les justifie par la présence sur le marché d’une grande quantité de pomme de terre d’arrière-saison. Pour lui, il ne fait aucun doute que les producteurs de l’arrière-pays ainsi que ceux des régions sahariennes ont fortement impacté le marché de la pomme de terre. Il suffit d’aller faire un tour au marché pour s’apercevoir que la pomme de terre d’arrière-saison est encore disponible et en très grande quantité, martèle-t-il avec conviction. Son discours est aussitôt relayé par son vieux père qui abonde dans le même sens, soulignant avec force qu’il ne se souvient pas avoir vécu une situation similaire de toute son existence. Trouver de la pomme de terre d’arrière-saison — dont la récolte débute dès le mois de novembre pour ce qui est des zones côtières, mais qui arrive à maturité bien plus tard pour ce qui est du Sahara et des régions tardives du Nord —, constitue pour lui une première qu’il n’explique que par le recours au stockage. Abdallah, fellah à Yennaro, sur la RN90 reliant Mostaganem à l’autoroute, via Sidi Khettab, soutient que les fellahs ont appris à stocker leurs récoltes sous terre, en retardant parfois au maximum l’arrachage, faisant coïncider la mise sur le marché avec la récolte de saison. Lui-même, pendant plusieurs années, s’en allait acheter à bas prix de la pomme de terre à Oued Souf. Un produit qu’il entassait dans une chambre froide et qu’il ressortait juste au moment où les premières patates des Kraïmia étaient mises en vente sur le marché. Si bien que durant plusieurs années, lorsque les prix se stabilisaient au-delà des 45 DA, il faisait une plus-value de plus de 30 DA, sur un produit qu’il achetait à El Oued à seulement 15 DA.
Depuis, les fellahs d’El Oued ont appris à garder leurs patates dans le sable, profitant gratuitement des températures hivernales, la même pratique que celle de leurs collègues de Aïn Defla, de Maghnia et de Mascara.
C’est pourquoi, durant tout l’hiver et pendant une partie du printemps, les champs de pommes de terre, complètement défanées et donc parfaitement invisibles pour un profane, gardent jalousement un produit de première nécessité. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Et surtout comment s’en sortir, puisque pour une grande majorité de fellahs de Mostaganem et de Aïn Defla, surtout les plus petits d’entre eux, cette récolte sera, peut-être, la dernière. Surtout si rien n’est fait pour soutenir les prix et au moins leur assurer un simple recouvrement des frais engagés. Pour cela, les fellahs de Sirat et d’ailleurs sont unanimes pour dire qu’à moins de 20 DA, ils auront travaillé à perte. En clair, ceux dont les récoltes ne peuvent plus attendre, en raison des redoutables attaques de la teigne dont les larves creusent des galeries dans les tubercules, l’arrachage est incontournable. En effet, mettant à profit les premières chaleurs de mai et les fissures qu’elles provoquent dans le sol, les teignes adultes pondent leurs œufs dans les tubercules, où ils éclosent, détruisant ainsi les pommes de terre dans le sol. Les moyens de lutte chimiques coûtent trop cher pour que les agriculteurs, déjà fortement ébranlés par la chute des prix, puissent se les payer. Alors que la situation tend à s’aggraver, mettant à nu les distorsions du système de protection Syrpalac mis en place par le ministère, afin de protéger les consommateurs contre les hausses intempestives observées depuis une décennie, les producteurs déplorent le désintérêt dont ils sont l’objet de la part des pouvoirs publics. Car depuis sa mise en place, jamais ce système de régulation n’aura profité aux agriculteurs de Mostaganem.
De la semence bradée à moins de 1000 DA
Pour comprendre cette situation anachronique, il faut absolument explorer l’ensemble du processus de production, comme le fera pour nous ce chercheur de l’université de Mostaganem, très impliqué dans cette filière, qui fait la fierté de la région. Pour cet expert, ce ne sont pas les performances des fellahs qui sont en cause dans cette chute des prix. Il s’agit, dira-t-il, de la conjonction de plusieurs facteurs, citant en premier, l’augmentation substantielle de la surface cultivée qu’il explique, d’abord, par les grandes quantités de semences mises sur le marché. Ainsi, il nous apprendra que pour l’année en cours, le volume des importations de semences a atteint un pic jamais obtenu auparavant. En effet, précisera-t-il, le volume de semences importées, au titre de l’année en cours, s’est élevé à plus de 160 000 tonnes de semences, soit exactement le double de celui d’il y a à peine 5 ans ! On comprend mieux pourquoi, chez la majorité des importateurs, la semence a été quasiment bradée. Notre interlocuteur se dit scandalisé par le fait que les fellahs des Hauts-Plateaux sétifiens, qui plantent tardivement en raison du gel, auront acheté des semences à moins de 1000 DA le quintal, alors que leurs collègues de Mostaganem et d’ailleurs ont payé la même variété plus de 8000 DA. Par ailleurs, un fellah, membre de la Chambre d’agriculture, rappelle qu’à chacune de ses sorties, le ministre de l’Agriculture n’a cessé de réitérer la volonté de son département d’atteindre les 4 millions de tonnes de pommes de terre. Pour cet expert, cet objectif ne pouvait être atteint que par l’augmentation de la productivité ou par l’augmentation des surfaces cultivées. En aidant à l’inondation du marché par le recours à la semence, le département de Rachid Benaïssa a choisi la solution de facilité. L’encombrement du marché de la semence débouchera fatalement, selon notre interlocuteur, sur une abondante production que les bonnes conditions météorologiques n’ont fait que favoriser. En outre, rien qu’au niveau de Mostaganem, la multiplication des importateurs a abouti à une augmentation remarquable de la superficie cultivée, qui est passée de 5000 à 9000 hectares, en l’espace de 5 années. Certains nouveaux opérateurs ont tout simplement «offert» la semence et se sont contentés de n’empocher que l’argent des engrais et des pesticides qui vont avec, dira, avec dépit, un opérateur.
Il ajoutera que cette forme de soutien déguisée aura attiré des centaines d’agriculteurs. Grâce à ce subterfuge, le fournisseur y trouve son compte, sachant que sur un hectare de pommes de terre, les frais d’entretien peuvent dépasser le coût de la semence et des labours. Provoquant cet engouement sans précédent sur la culture, qui, avec ses deux récoltes annuelles, permet d’approvisionner le marché de manière continue. Dans la réalité, grâce à la multitude des microclimats, l’Algérie dispose, en réalité, d’énormes potentialités agronomiques que la culture de la pomme de terre est parvenue, en l’espace d’une décennie, à potentialiser grâce au génie de ses agriculteurs. En effet, poursuit notre expert, grâce à ses spécificités uniques dans le règne végétal, le tubercule le plus consommé à travers le monde est parvenu à occuper des espaces de plus en plus grands et de plus en plus diversifiés. Que pour la partie côtière du pays, on récolte de la pomme de terre de la fin octobre à la mi-janvier, ensuite ce sont les zones intérieures et le Sahara qui alimentent le marché, jusqu’à la fin mars. Le relais est assuré par la région de Mostaganem qui est la première à mettre sur le marché la récolte dite de saison, suivie, et parfois accompagnée, de Maghnia, Aïn Defla, Alger, Tipasa, Boumerdès, Skikda, Annaba et El Tarf. Ensuite, ce sont les régions de l’intérieur qui ferment la marche avec l’arrivée des produits en provenance des hautes plaines intérieures, qui ont la particularité de pratiquer la culture durant les grandes chaleurs. Il s’agit essentiellement de la région de Sétif, Bordj Bou Arréridj et, à un degré moindre, Rechaïgua, au sud de Tiaret. Leurs premières récoltes arrivent sur le marché dès la fin août, au moment où les fellahs de Mostaganem et de la façade nord entament le semi d’arrière-saison, dont la récolte intervient au bout de 80 jours. Bien malin celui qui parviendra à trouver un vide à combler dans ce tourbillon de cultures. En comparaison, l’Europe, notre fournisseur exclusif en semences, ne fait qu’une seule campagne, dont la récolte s’étale de septembre à octobre, avec, toutefois, quelques niches de champs précoces situés sur le pourtour de la Méditerranée, ou les rares foyers de culture protégées de certaines variétés de pomme de terre destinée à la consommation directe.
Le casse-tête de l’arrachage
Avec une sole aussi diversifiée, et grâce à l’apport des fellahs d’El Oued qui, en l’espace de quelques années, ont complètement bouleversé leur mode de culture, en basculant de la pomme de terre de saison, qui arrivait sur le marché en même temps que celle des régions du Tell — avec en surprime les redoutables chaleurs estivales —, à la culture d’arrière-saison qui arrive sur le marché avec le début de l’hiver, celle-là même qui peut rester enfouie sous le sable jusqu’au mois de mars et qui vient concurrencer les premières récoltes de Mostaganem. Ce sont ces chevauchements qui ont abouti à la situation d’abondance, voire de véritable saturation du marché. Ce qui pour les uns serait aisément présenté comme une réelle performance, mais pour les autres, en l’occurrence les producteurs, c’est une véritable catastrophe qui les frappe de plein fouet. Acculés à la fois par les grandes chaleurs et par la chute des prix, les fellahs du nord du pays sont pris en étau. Encouragés par une disponibilité de la semence, ils se sont engouffrés tête baissée dans ce qui s’est avéré être une douloureuse mésaventure.
Laïd, un quadragénaire qui est né et a grandi dans un champ de patates, ne sait plus à quel saint se vouer. Avec son père et ses frères, ils cultivent régulièrement plus de 40 hectares en saison et un peu moins durant l’arrière-saison.
Lui et ses frères passent l’été à ramener des camions entiers de fumier de poulaillers depuis Sidi Bel Abbès. Sa pomme de terre, il la bichonne comme un jardin de rosiers et elle le lui rend bien. Pourtant, cette année, Laïd n’a pas le moral. Il sait que la récolte sera bonne et il entrevoyait une fin de campagne dans l’opulence. Mais depuis une semaine, chaque fois qu’il va au marché, il devient nerveux. Lui aussi ses clients de l’Est l’ont lâché. Ils ont bien enlevé une première cargaison, mais ils ne sont plus revenus. Surtout que le chantier de récolte lui coûte énormément cher. Avec le temps, les arracheurs de patates se sont parfaitement organisés. Par petits groupes de 4 ou 5, ils forment une équipe soudée et terriblement efficace. Car la récolte est payée à la tâche et non pas à la journée, comme les autres opérations culturales. De véritables entrepreneurs ont pris les choses en main. Ce sont eux qui traitent avec le fellah et qui ramènent les arracheurs, dès les premières lueurs de l’aube, au champ. La tâche consiste à récolter et à charger sur le camion de l’acheteur 18 caisses de 25 kg, en moyenne, par ouvrier. Soit environ 450 kg par travailleur qui perçoit, une fois la performance réalisée, pas moins de 1800 DA, que le propriétaire du champ paye rubis sur l’ongle ! Soit un coût à la récolte qui oscille entre 3,5 et 4 DA au kg ! Mansour, lui aussi patatier à Mesra, souligne qu’avec une récolteuse, ce prix serait diminué de 80%, mais pour récolter mécaniquement, il faut réunir plusieurs conditions, la première étant que les tubercules doivent garder un bel aspect extérieur et éviter les éraflures causées par l’outil et surtout par les frottements avec les cailloux enfouis dans le sol.
De plus, ajoute-t-il, la maturité complète des tubercules est, sans doute, la condition la plus contraignante, car elle suppose que la peau soit parfaitement dure, ce qui est rarement le cas dans la région de Mostaganem. C’est sans doute pourquoi seuls quelques agriculteurs peuvent se payer le luxe de recourir à une récolteuse, tout en veillant à laisser s’accomplir le cycle de la pomme de terre. Pour Laïd et ses collègues, le recours à un arrachage manuel devient incontournable. La rentabilité de l’activité est liée à la précocité de la récolte. Etre les premiers sur le marché, c’est aussi accepter de réduire le cycle de la culture. Pour de nombreux fellahs, «plus on récolte tard, plus le rendement est augmenté». Pour cette année, il en sera autrement et c’est la présence de la pomme de terre d’arrière-saison qui aura perturbé toutes les prévisions. Pour le moment, la saturation du marché a interrompu les récoltes. Les acheteurs venus de l’Est continuent leurs rondes infernales à travers les champs, soulevant de gros nuages de poussière.
Mais dans les cafés de Sirat et de Bouguirat, les conciliabules et autres négociations se sont interrompus faute de perspectives. Les fellahs et leurs vis-à-vis savent qu’à moins de 20 DA, ils vendent à perte. Nombreux sont les fellahs qui ne parviennent même pas à payer l’arrachage. A 4000 DA la tonne, il faudra débourser pas moins de 80 000 DA pour charger un camion de 20 tonnes. Vendu sur champ à raison de 18 DA le kg, ce camion rapportera 360 000 DA au producteur. On sait qu’en récoltant précocement, il est rare que les rendements atteignent les 30 tonnes/ha, soit l’équivalent d’un camion et demi ! C’est dans ce cercle vicieux que se démènent les patatiers de Mostaganem et de toutes les régions précoces du pays. De plus, renchérit Mansour, les arracheurs sont devenus très exigeants, seules les parcelles à haut rendement les intéressent, pour les autres, ils exigent une petite rallonge. Le comble du paradoxe, moins on produit, plus il faut payer pour récolter. Pour ce qui est des gros producteurs, la disponibilité des moyens de transport amoindrit les coûts, puisqu’ils peuvent emmener la production jusqu’au marché.
Pour les autres, les plus nombreux, ceux grâce à qui le ministre de l’Agriculture pourra fièrement annoncer que l’objectif des 4 millions de tonnes sera atteint, ils devront passer par les fourches caudines des intermédiaires et des entrepreneurs en arrachage qui font et défont le marché. Un gros producteur, dont les terres s’étalent à perte de vue sur le territoire des Médjahers, a trouvé la parade en faisant venir plus d’une centaine d’arracheurs depuis Aïn Defla. Leur assurant gîte et pitance. Il parvient à faire récolter jusqu’à une tonne/jour par ouvrier, soit une double vacation. Mais dans la région, il est bien le seul à cultiver plus de 300 hectares de pommes de terre. Malgré ce renfort, la campagne de récolte s’étale chez lui sur plus d’un mois. Il est parmi les premiers à entamer les arrachages et il est encore là à la fin de la campagne. A lui seul, il récolte entre 15 000 et 20 000 tonnes par campagne. Pourtant, malgré ces moyens colossaux, il n’utilise jamais d’arracheuse de pommes de terre pour récolter dans les délais. Par contre, pour planter ses 6000 q, il n’hésite pas à recourir à des planteuses mécaniques. Grâce à des rendements oscillant entre 400 et 600 q, il peut s’assurer de substantiels revenus, quand bien même les prix se maintenaient autour de 20 DA. Ici, c’est surtout le rendement qui fait la différence.
A la recherche d’autres débouchés
Face à ce qui s’apparente à un énorme gâchis, certains opérateurs tentent de trouver la parade. Ainsi, cet agriculteur de Hassi Mamèche qui tous les ans vend une bonne partie de sa production de Bartina — une variété rouge très productive et dont la forme est idéale pour la transformation en chips —, à un transformateur. De plus son partenaire n’hésite pas à lui payer un supplément en fonction de la teneur en matière sèche. Rien que dans la région de Mostaganem, ils sont des dizaines de fellahs à envier cette situation. Eux qui aimeraient tant ne plus vivre dans la hantise d’un marché fluctuant, où l’imprévisible règne en maître absolu. D’autres n’ont pas hésité à investir dans les chambres froides, parfois grâce au soutien de l’Etat. Mais l’expérience du stockage de la pomme de terre de consommation a tourné court, surtout lorsque les pouvoirs publics, en réaction à la hausse vertigineuse des prix, avaient pris la décision de saisir une bonne partie des stocks, accusant au passage les propriétaires de chambres froides de pratiques spéculatives. Le zèle d’un potentat avait procédé à la saisie d’un important stock de semences, jetant en pâture son détenteur.
Sous le règne de Saïd Barkat, des cas similaires ont été rapportés tant au centre qu’à l’ouest du pays, vouant aux gémonies de paisibles agriculteurs, dont le seul tort était d’avoir stocké publiquement de la semence d’arrière-saison. Ce sont probablement ce genre de dérives administratives qui auront poussé les fellahs à profiter des températures hivernales pour laisser les pommes de terre dans les champs et à ne les récolter qu’en fonction de la demande. Ce qui fait de l’Algérie le pays où la pomme de terre, dont le cycle biologique varie entre 80 et 150 jours, est maintenue sur champ durant plus de 240 jours, sans jamais transiter par une chambre froide. Un stockage qui ne coûte pratiquement pas un sou au producteur et l’épargne de tout contrôle intempestif. C’est bien ce stratagème qui est en train de mettre à mal les producteurs de pommes de terre de saison.
Face au silence de leur tutelle, les agriculteurs se demandent pourquoi lorsque les prix augmentent ils sont l’objet de toutes les attaques insidieuses, mais lorsqu’ils sont dans la difficulté, plus personne ne parle de leurs problèmes. Ce sentiment d’être abandonnés, ils sont des milliers à le ressentir dans leur chair. Nombreux sont ceux qui font le parallèle avec la fameuse PAC qui permet aux paysans de l’UE d’être soutenus tout au long du processus de production. Ici, comme le soulignent en chœur Mansour, Laïd et Charef, nous sommes de véritables pestiférés, alors que sans nous, le pays serait à la merci des patatiers du Canada, qui, il n’y a pas si longtemps, nous avaient refilé de la pomme de terre dont ils nourrissaient leurs cochons. Pour ce multiplicateur, une profession indispensable qui fournit toute la semence d’arrière-saison, il est plus qu’urgent d’organiser en profondeur et dans la durée, toute la filière pomme de terre.
Aziz Mouats
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