Le 19/05/2013
Mostaganem : sur les traces d’un séisme atypique
La secousse tellurique du 3 mai dernier a laissé de nombreuses séquelles chez les habitants du mont Chegua. Partout dans cette région, ne règnent que ruine et désolation !
La secousse tellurique qui a ébranlé le flanc du mont Ech Chegua, qui domine l’agglomération d’Aïn Nouissy, durant la nuit du 3 mai dernier, a laissé de nombreuses traces à la fois sur les habitations et sur les hommes. Ressentie jusque dans les monts du Dahra occidental, la secousse avait une intensité de 4,7 degrés sur l’échelle de Richter. En réalité, au niveau de l’épicentre, qui se situe à mi-chemin entre les douars Flitti et Ouled Hamdène, les experts en sismologie qui se sont déplacés sur les lieux auraient réévalué l’intensité à 4,9 degrés.
En effet, sur toute la longueur du vallon qui borde le douar Flitti, les fissures étaient encore visibles lors de notre passage. Accompagné de Sid Ahmed Saloua, le délégué communal, ainsi que du maire d’Aïn Nouissy et de l’un de ses adjoints, nous sommes allés à la rencontre des habitants du douar Flitti. Ici, à l’exception des bâtisses disposant de semelles et de piliers en béton, aucune maison traditionnelle n’a été épargnée par le tremblement de terre.
En effet, que ce soit chez Flitti Boutaleb, Flitti Charef, Flitti Mansour ou Flitti Khaled, les dégâts semblent irréversibles. Parmi les familles qui disposent d’une maison récente, bâtie avec une armature en béton, les craintes ont été vite dissipées. En effet, sur les murs et les plafonds, malgré l’intensité de la secousse, aucune fissure n’est visible. Par contre, chez ceux qui ne disposent que de constructions anciennes, dont certaines ont plus d’un siècle, les affaissements et les nombreuses fissures ne laissent aucune quiétude à leurs occupants.
Pratiquement, toutes les familles ne dorment plus que sous des abris en bâches ou en film plastique. Et ce ne sont pas les nombreuses répliques qui leur feront regagner leurs demeures. Les élus qui nous accompagnent sont interpellés sans aucune animosité ni rancœur. Connus pour leur profonde sagesse, les Flitti veulent juste savoir quand parviendront les conclusions du CTC dont les techniciens ont effectué une première expertise. Déjà, les premières conclusions sont loin de faire l’unanimité.
Selon le délégué communal, lui-même élu sur la liste FLN, tout comme le maire, le nombre de maisons concernées par la démolition s’élèverait à seulement cinq, dont la plupart se trouvent au douar Flitti. Les maisons fissurées sont au nombre de 22, réparties entre le douar Flitti et le douar Ouled Hamdane. Situé sur le versant oriental du mont Ech Chegga, le douar Ouled Hamdane s’étend sur plusieurs terrasses où poussent de somptueux petits vergers de fruitiers et de vignoble. Ici, ce sont les Mahieddine, les Benayed et les Ouddane qui se partagent en bonne intelligence les espaces escarpés où sont agencées, dans un désordre urbanistique, des dizaines de maisons, souvent séparées par des bergeries.
Les Mahieddine, H’mida, Med, Charef, Laid, Abdallah, Djillali, tous frères et cousins, sont presque soulagés de montrer les maisons vides à cause des multiples fissures qui ne laissent aucun espoir de confortement. Construites en pierres et torchis, les anciennes maisons ont été toutes abandonnées par leurs occupants. C’est dans un silence lourd que nous passons d’une maison à l’autre avec partout les mêmes fissures sur les murs et les plafonds. Souvent, ce sont les murs qui se sont séparés, laissant entrer la lumière du jour. Devant Sid Ahmed Saloua qui nous a rejoint, nos interlocuteurs parlent avec retenue de leurs difficultés à entrevoir l’avenir.
Fortes répliques
Toufik parle de sa famille de 11 personnes et montre ses 7 pièces toutes abimées. Ouddane Med O/ Djillali, la voix nouée, décline 6 chambres agencées autour d’une vaste cour où pousse une vieille vigne de Bordji, un cépage endémique ramené des coteaux de Mascara. Ses affaires ont toutes été entassées dans une des pièces. Partout règnent la désolation et la ruine. La maman de Mohamed, veuve de 85 ans, peine à garder son calme. Ses 4 pièces sont toutes fissurées, ce qui l’oblige à partager la tente dressée par son fils dans le jardin familial où pousse un vigoureux néflier.
Tapissé de matelas et de nattes, le dortoir de fortune peut accueillir, pour la nuit, une vingtaine de personnes. Habitués à vivre dans des conditions extrêmes, les Flitti, les Benayed, les Mahieddine et les Ouddane, des familles extrêmement besogneuses, attendent un geste de la part des responsables. Ce geste n’est pas encore venu. En sourdine, chacun se laisse aller à prier que la prochaine secousse soit aussi clémente que celles qu’ils viennent de subir. Pourtant, ces fellahs endurcis sont en train de se faire une raison : à la moindre prochaine secousse, les anciennes maisons de Toub et d’argile cèderont. Cette certitude, ils sont unanimes à la partager.
En attendant que le CRAAG installe enfin un sismographe pour donner l’alerte, ils prennent leur mal en patience, avec un maigre espoir qu’un programme spécial vienne à leur secours afin de les aider à construire selon des normes parasismiques. Car à l’évidence, que ce soit chez les Flitti, les Mahieddine, les Benayed et les Ouddane, nul ne songe le moindre instant à déménager. Pourtant, tous éprouvent une grande peine à voir ces vieilles maisons, qui les ont vu naître, définitivement condamnées. Mis à part quelques familles relativement aisées, donc susceptibles de construire de nouvelles demeures, la grande majorité espère bénéficier d’un programme de logements ruraux qui leur éviterait un insoutenable exil.
Yacine Alim
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