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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie
NOISY, APRES NOTRE DEPART, C'ETAIT COMMENT ?
1962 - 1989
Raconté par Jocelyne et Yvan Morin arrivés en France en 1989 seulement, au cours d'une longue entrevue avec Maurice Langlois fin 1999.
Nous pouvons avoir une idée de ce qu'est devenu notre village à travers le témoignage de deux compatriotes qui, par renouvellement successif de leurs contrats annuels, sont parvenus à faire, presque, toute leur carrière d'enseignants, à Aïn Nouissy et ses environs. Ils ont vécu sur place pendant 26 ans après l'indépendance et connu le nouveau destin de notre si joli petit village, abandonné sous la contrainte des événements.
LA GRANDE MUTATION
Si on compte prés de 700 européens au début de l'année 1962, il en reste à peine 80 à la fin de cette même année. Les départs ont eu lieu au cours du premier semestre, dès les accords d'Evian connus. Ensuite, chacun s'est efforcé de faire les vendanges, d'attendre le paiement des récoltes tout en organisant le déménagement des affaires. Seuls les personnes âgées et quelques hommes plus jeunes se sont maintenus au village, et on a pu noter la présence de 80 Européens, à un méchoui organisé, fin 1964 par Gilbert Béhing, à la cave d'Edgar Hernandez. Pendant le second semestre 1962, la vie présenta beaucoup de difficultés en raison de la grande incertitude pour l'avenir des Européens. Jocelyne et Yvan, ne voulant pas prendre la nationalité algérienne, devinrent du jour au lendemain des étrangers, sans protection ni droits, soumis au bon vouloir du nouveau pouvoir. Il fallut supporter les vexations permanentes des uns et des autres se manifestant par des « bras d'honneur », des paroles de vengeance, « on vous l'a bien mis », des contrôles fréquents et appuyés des véhicules ; malgré tout il n’y eut jamais ni menaces directes ni brutalités pendant cette période de transition. Un nouveau pouvoir se mettait en place avec tous les sympathisants du FLN, fruit d'un compromis entre l'Etat algérien et l'Etat français. L'ancien taxi H'Mida devenait le nouveau maire nommé de Noisy, assurant cette fonction en attendant les élections municipales. Une force d'interposition assurait la sécurité, la population vivait sur les stocks de marchandises en place, les maisons vides étaient progressivement occupées par les Algériens de la façon suivante :
Maintenant que les Algériens deviennent maîtres de leur destin, ils doivent s'organiser, et dans un premier temps procéder à des élections municipales. Pour Noisy, cette élection se fait à partir d'une liste de 60 personnes établie par la willaya (ainsi l'appartenance au FLN s'impose-t-elle) et 30 d'entre elles sont élues par les électeurs. Le vote est quasiment obligatoire afin d'échapper aux mesures de répression classiques. Le chef de famille, ou le « grand frère », se prononce généralement, pour tous les membres de la famille et les femmes sont rares dans les bureaux de vote. Le maire est élu par les membres du conseil municipal pour 4 ans, après aval du wali (préfet). Benaïssa, le forgeron bien connu et apprécié des Européens pour son comportement loyal et modéré, devient le premier maire algérien élu d'Aïn Nouissy, il a laissé le souvenir d'une bonne gestion.
Selon Jocelyne et Yvan, on peut estimer qu'il y a eu pendant ces 26 ans de leur séjour en Algérie, trois phases bien distinctes :
EVOLUTIONS DANS LE VILLAGE
Aïn Nouissy prend de l'importance et passe de 4 500 habitants en 1962 à 13 000 en 1989 alors que dans le même temps la population de l'Algérie doublait.
LES INFRASTRUCTURES
L'APPROVISIONNEMENT :
LES CONDITIONS DE VIE
Pour les Européens et autres coopérants, la situation est simple : il faut se soumettre aux instructions de sa hiérarchie algérienne sans contestation possible, sinon le contrat annuel risque de ne pas être renouvelé ; mais, compte tenu du réel besoin de l'aide étrangère, la règle s'avère peu contraignante. Pour le reste on constate que les gendarmes et policiers sont courtois et bienveillants envers les étrangers, mais beaucoup plus tatillons et sévères avec les autochtones qui doivent toujours accepter les décisions du FLN sans afficher de résistance sous peine d'être écartés de toute distribution ; ainsi pour pouvoir acheter une auto d'importation, il faut attendre 5 ans, même en ayant obtenu une autorisation. La pénurie engendre un trafic d'influence donnant un pouvoir énorme aux militants du parti unique. Pour les Algériennes la situation s'est durcie progressivement, les hommes comprenant qu'ils risquaient d'être mis à l'écart d'une évolution sociale irréversible, en raison des réelles dispositions affichées par les femmes pour la scolarité et leur véritable compétence pour la gestion économique du foyer, voire des affaires. Le port du voile leur a été imposé à partir de 1975. Jocelyne et Yvan se sont toujours sentis en sécurité, partout dans la région, avec de fréquentes sorties, même la nuit, sur Oran ou Mostaganem, entretenant des rapports simples avec la population, en participant à des parties de boules ou en faisant réparer leur véhicule par le mécanicien du village.
LES AUTRES « ETRANGERS » PRESENTS AU VILLAGE PENDANT CETTE PERIODE
BILAN DE CES 26 ANNEES VECUES A AIN NOUISSY
Jocelyne : « A la sortie de l'Ecole Normale j'ai accepté, dès 1962, une nomination à Noisy. Sur le plan professionnel j'ai eu de grandes satisfactions en enseignant toutes sortes de matières dans les collèges et lycées, à des élèves studieux, avec une hiérarchie qui m'appréciait. Mais j'ai eu à me méfier de la montée de l'intégrisme, en adoptant une tenue vestimentaire plutôt enveloppante, en effectuant mes sorties toujours en compagnie de mon mari. Il m'a même été demandé, par une élève généreuse en compliments, de me convertir à l'islam pour être parfaite à ses yeux. Cette situation devenant un peu plus difficile à supporter, surtout les dernières années, j'ai bien apprécié de pouvoir rentrer en France en 1988, avec une nomination à Montpellier. »
Yvan : « De 1962 à 1964 j'ai travaillé la propriété de mon père, soit jusqu'à la nationalisation des terres agricoles. Ensuite, titulaire du baccalauréat, les dirigeants de l'Enseignement m'ont proposé un contrat d'enseignant. Je me suis vite adapté à ce nouveau contexte de la vie locale et j'en ai profité pour découvrir davantage mon pays natal. J'ai aussi fait de la pêche à la palangrote sur la côte de La Stidia, en plongée avec fusil harpon. Par ailleurs, entre coopérants de Mostaganem, Arzew, Oran, on se réunissait souvent à Ouillis, Bosquet, La Stidia, autour d'un méchoui se poursuivant par la traditionnelle partie de pétanque, ce qui nous a permis de côtoyer et de sympathiser avec des Polonais, Russes, Tchèques, Canadiens et d'autres Français. Vers la fin, la séparation avec le reste de la famille devenait de plus en plus pesante, et la situation de coopérant rendue moins attractive par de récentes réformes, il nous a fallu envisager le départ définitif pour la France. En résumé, je garde un bon souvenir de cette période vécue au milieu d'une population algérienne désireuse de montrer son attachement à ceux qu'elle avait bien connus et appréciés, nous nous sommes toujours sentis en sécurité et rassurés. »
(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia-Clémenceau et Noisy-les-Bains, spécial 2000, n° 7, mars 2000)
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