Histoire avant 1848
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Centenaire 1914-1918

ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

NOISY, APRES NOTRE DEPART, C'ETAIT COMMENT ?

1962 - 1989

Raconté par Jocelyne et Yvan Morin arrivés en France en 1989 seulement, au cours d'une longue entrevue avec Maurice Langlois fin 1999.
Nous pouvons avoir une idée de ce qu'est devenu notre village à travers le témoignage de deux compatriotes qui, par renouvellement successif de leurs contrats annuels, sont parvenus à faire, presque, toute leur carrière d'enseignants, à Aïn Nouissy et ses environs. Ils ont vécu sur place pendant 26 ans après l'indépendance et connu le nouveau destin de notre si joli petit village, abandonné sous la contrainte des événements.

LA GRANDE MUTATION

Si on compte prés de 700 européens au début de l'année 1962, il en reste à peine 80 à la fin de cette même année. Les départs ont eu lieu au cours du premier semestre, dès les accords d'Evian connus. Ensuite, chacun s'est efforcé de faire les vendanges, d'attendre le paiement des récoltes tout en organisant le déménagement des affaires. Seuls les personnes âgées et quelques hommes plus jeunes se sont maintenus au village, et on a pu noter la présence de 80 Européens, à un méchoui organisé, fin 1964 par Gilbert Béhing, à la cave d'Edgar Hernandez. Pendant le second semestre 1962, la vie présenta beaucoup de difficultés en raison de la grande incertitude pour l'avenir des Européens. Jocelyne et Yvan, ne voulant pas prendre la nationalité algérienne, devinrent du jour au lendemain des étrangers, sans protection ni droits, soumis au bon vouloir du nouveau pouvoir. Il fallut supporter les vexations permanentes des uns et des autres se manifestant par des « bras d'honneur », des paroles de vengeance, « on vous l'a bien mis », des contrôles fréquents et appuyés des véhicules ; malgré tout il n’y eut jamais ni menaces directes ni brutalités pendant cette période de transition. Un nouveau pouvoir se mettait en place avec tous les sympathisants du FLN, fruit d'un compromis entre l'Etat algérien et l'Etat français. L'ancien taxi H'Mida devenait le nouveau maire nommé de Noisy, assurant cette fonction en attendant les élections municipales. Une force d'interposition assurait la sécurité, la population vivait sur les stocks de marchandises en place, les maisons vides étaient progressivement occupées par les Algériens de la façon suivante :

  • 1/3 accaparé par les militaires de la willaya, étrangers à la région, mais décidés à s'installer là, forts du pouvoir de leurs armes ;
  • 1/3 par le régisseur ou ancien ouvrier principal de la propriété vacante ;
  • 1/3 par des locataires, pour un loyer peu élevé (200 dinars/mois) payé à « l'office des biens vacants ». Toutes les demeures classées comme « bien vacant » ayant été nationalisées.

Maintenant que les Algériens deviennent maîtres de leur destin, ils doivent s'organiser, et dans un premier temps procéder à des élections municipales. Pour Noisy, cette élection se fait à partir d'une liste de 60 personnes établie par la willaya (ainsi l'appartenance au FLN s'impose-t-elle) et 30 d'entre elles sont élues par les électeurs. Le vote est quasiment obligatoire afin d'échapper aux mesures de répression classiques. Le chef de famille, ou le « grand frère », se prononce généralement, pour tous les membres de la famille et les femmes sont rares dans les bureaux de vote. Le maire est élu par les membres du conseil municipal pour 4 ans, après aval du wali (préfet). Benaïssa, le forgeron bien connu et apprécié des Européens pour son comportement loyal et modéré, devient le premier maire algérien élu d'Aïn Nouissy, il a laissé le souvenir d'une bonne gestion.

Selon Jocelyne et Yvan, on peut estimer qu'il y a eu pendant ces 26 ans de leur séjour en Algérie, trois phases bien distinctes :

  • De 1962 à 1965, la période Benbella se caractérise par une grande pagaille : le personnel français est remplacé par l'arabe le plus malin et le plus dégourdi mais pas forcement diplomate ou adroit dans ses choix. Pour ce qui concerne les procédures, on s'inspire toujours du modèle Français.
  • De 1966 à 1978, avec Boumédienne, conscient de posséder une richesse infinie en gaz et en pétrole, l'Algérie s'embarque dans des projets gigantesques : élaboration d'une industrie lourde inadaptée aux capacités technologiques du pays, construction de 1 000 villages socialistes ne répondant pas aux besoins et à l'attente des occupants ; ces villages étaient constitués de logements identiques loués, disposant des services de proximité comprenant mosquée, mairie, dispensaire, écoles mais le succès de la formule ne fut pas au rendez-vous !
  • Après 1978, la montée de l'islamisme, avec la vente du Coran à la sortie des lycées, a rendu plus difficile la vie de tous les jours. Le français est devenu une langue étrangère, alors que jusque-là l'enseignement bilingue français-arabe était la règle.

EVOLUTIONS DANS LE VILLAGE

Aïn Nouissy prend de l'importance et passe de 4 500 habitants en 1962 à 13 000 en 1989 alors que dans le même temps la population de l'Algérie doublait.

LES INFRASTRUCTURES

  • 1970, construction d'un collège de 1 200 élèves englobant les maisons de Charles Ségalas et Eugène Langlois, sur la droite de la route de Mostaganem en sortant du village.
  • 1988, un lycée couvrant les besoins des populations de Fornaka, La Stidia, Aïn-Sidi-Cherif, avec système de ramassage scolaire par cars, est construit derrière chez Henri Feyt.
  • 1975, installation du tout à l'égout, avec un grand collecteur qui débouche sur les terres, à droite en sortant du village dans la direction de Perrégaux. Attention à l'odeur !
  • 1980, mise en place du téléphone automatique.
  • Construction d'écoles à la place des vignes autrefois situées en face de l'épicier Mechri, André Morin et Paulette Andraud, soit après l'école de filles construite en 1912, à gauche en sortant du village vers Perrégaux.
  • La briqueterie Végéhan a fonctionné jusqu'en 1970 avec un Français ; puis, nationalisée et dirigée par un Algérien, elle a cessé toute activité dans l'année qui a suivi.
  • Aménagement en bains maures modernes, avec cabines séparées hommes/femmes, de « la Sulfureuse », l'ancien établissement thermal sur la route de La Stidia.
  • Les cultures derrière le marché, vers la route de la Chegga, sont remplacées par des constructions à usage d'habitation.
  • Les points d'eau sont multipliés dans cette zone, mais le village est soumis à de fréquentes coupures qui conduisent les femmes et les enfants à aller, comme autrefois, s'approvisionner avec bidons et barils à la bouche d'eau près de la cave coopérative.
  • Les coupures d'électricité ont favorisé un florissant commerce de bougies.
  • Les routes sont peu entretenues et les nids de poule abondent, mais toutes les rues du village sont nettoyées chaque jour, et une benne tirée par un tracteur ramasse les ordures ménagères qui sont entassées ensuite dans un champ en bas du village.
  • Création d'un musée agricole sur un terrain appartenant à Félix Sanchez et Fernand Moullin, juste un peu plus haut que la gendarmerie, à gauche du premier tournant en allant vers Mostaganem.

L'APPROVISIONNEMENT :

  • Les légumes de saison sont seuls présents sur les étalages.
  • Pour les produits de première nécessité, il faut attendre les arrivages, on peut rester deux mois sans beurre. Il est fréquent de remarquer une file d'attente devant un commerce, c'est le signe qu'une marchandise vient d'arriver ; les gens s'agglutinent et viennent voir de quoi il s'agit.
  • La viande et le poisson ne manquent pas, d'autant plus que des possibilités d'approvisionnement existent à La Stidia et Mostaganem.
  • Jocelyne et Yvan ont dû, certes, s'adapter à cette situation. Mais, d'une façon générale, ils ont toujours été bien servis dans les magasins : il leur suffisait de passer prendre les marchandises d'une liste transmise auparavant et de payer sans rechigner. Cette priorité est acceptée naturellement par tous, car, en effet, il s'agit bien de deux enfants du pays qui partagent leur destin. Ainsi tous les deux estiment que leur séjour n'a pas été affecté par la pénurie.

LES CONDITIONS DE VIE

Pour les Européens et autres coopérants, la situation est simple : il faut se soumettre aux instructions de sa hiérarchie algérienne sans contestation possible, sinon le contrat annuel risque de ne pas être renouvelé ; mais, compte tenu du réel besoin de l'aide étrangère, la règle s'avère peu contraignante. Pour le reste on constate que les gendarmes et policiers sont courtois et bienveillants envers les étrangers, mais beaucoup plus tatillons et sévères avec les autochtones qui doivent toujours accepter les décisions du FLN sans afficher de résistance sous peine d'être écartés de toute distribution ; ainsi pour pouvoir acheter une auto d'importation, il faut attendre 5 ans, même en ayant obtenu une autorisation. La pénurie engendre un trafic d'influence donnant un pouvoir énorme aux militants du parti unique. Pour les Algériennes la situation s'est durcie progressivement, les hommes comprenant qu'ils risquaient d'être mis à l'écart d'une évolution sociale irréversible, en raison des réelles dispositions affichées par les femmes pour la scolarité et leur véritable compétence pour la gestion économique du foyer, voire des affaires. Le port du voile leur a été imposé à partir de 1975. Jocelyne et Yvan se sont toujours sentis en sécurité, partout dans la région, avec de fréquentes sorties, même la nuit, sur Oran ou Mostaganem, entretenant des rapports simples avec la population, en participant à des parties de boules ou en faisant réparer leur véhicule par le mécanicien du village.

LES AUTRES « ETRANGERS » PRESENTS AU VILLAGE PENDANT CETTE PERIODE

  • M. Dombach est resté jusqu'à la fin de 1975.
  • M. Auguste Martinez, époux de Christiane Heinrich (mariage du 04.05.56)
  • Trois couples de coopérants originaires de France se sont succédés sur une période de deux à trois ans, puis sont repartis en raison de difficultés d'adaptation.
  • Mme Hélène Savournin a fait des séjours réguliers jusqu'après 1978.
  • M. et Mme Adrien Morin, parents d'Yvan, sont venus en visite annuelle jusqu'en 1980.

BILAN DE CES 26 ANNEES VECUES A AIN NOUISSY

Jocelyne : « A la sortie de l'Ecole Normale j'ai accepté, dès 1962, une nomination à Noisy. Sur le plan professionnel j'ai eu de grandes satisfactions en enseignant toutes sortes de matières dans les collèges et lycées, à des élèves studieux, avec une hiérarchie qui m'appréciait. Mais j'ai eu à me méfier de la montée de l'intégrisme, en adoptant une tenue vestimentaire plutôt enveloppante, en effectuant mes sorties toujours en compagnie de mon mari. Il m'a même été demandé, par une élève généreuse en compliments, de me convertir à l'islam pour être parfaite à ses yeux. Cette situation devenant un peu plus difficile à supporter, surtout les dernières années, j'ai bien apprécié de pouvoir rentrer en France en 1988, avec une nomination à Montpellier. »

Yvan : « De 1962 à 1964 j'ai travaillé la propriété de mon père, soit jusqu'à la nationalisation des terres agricoles. Ensuite, titulaire du baccalauréat, les dirigeants de l'Enseignement m'ont proposé un contrat d'enseignant. Je me suis vite adapté à ce nouveau contexte de la vie locale et j'en ai profité pour découvrir davantage mon pays natal. J'ai aussi fait de la pêche à la palangrote sur la côte de La Stidia, en plongée avec fusil harpon. Par ailleurs, entre coopérants de Mostaganem, Arzew, Oran, on se réunissait souvent à Ouillis, Bosquet, La Stidia, autour d'un méchoui se poursuivant par la traditionnelle partie de pétanque, ce qui nous a permis de côtoyer et de sympathiser avec des Polonais, Russes, Tchèques, Canadiens et d'autres Français. Vers la fin, la séparation avec le reste de la famille devenait de plus en plus pesante, et la situation de coopérant rendue moins attractive par de récentes réformes, il nous a fallu envisager le départ définitif pour la France. En résumé, je garde un bon souvenir de cette période vécue au milieu d'une population algérienne désireuse de montrer son attachement à ceux qu'elle avait bien connus et appréciés, nous nous sommes toujours sentis en sécurité et rassurés. »

(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia-Clémenceau et Noisy-les-Bains, spécial 2000, n° 7, mars 2000)

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