Histoire avant 1848
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Centenaire 1914-1918

Le 02.10.2015

Abdelhamid Boudaoud, Président du Collège national des experts architectes

TOUS LES ÉDIFICES CONSTRUITS PAR LES POUVOIRS PUBLICS DEPUIS 1962 L'ONT ÉTÉ SANS ACTE NI PERMIS.

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Alors que les autorités se félicitent de la quantité de logements disponibles, les experts architectes s’inquiètent du manque de régulation dans le secteur, où depuis 1962, chacun, y compris l’Etat, fait ce qu’il veut.

- Le ministre de l’Habitat, Abdelmadjid Tebboune, a récemment déclaré que la diversité de l’offre actuelle en logements a permis à l’Algérie d’absorber une grande partie la demande nationale. Etes-vous d’accord ?

Je pense que pour que l’Etat puisse réellement subvenir aux besoins de tous les Algériens en matière de logement, il faut qu’il ait une stratégie. Or, malheureusement, des 34 ministres qui se sont succédé à ce poste, aucun n’en avait une. De plus, on ne peut pas parler de logements uniformes étant donné que tous les postulants n’appartiennent pas à la même catégorie sociale et n’ont pas les mêmes revenus. Que les fonctionnaires qui constituent la classe moyenne soient inscrits dans les programmes AADL, ou que les personnes disposant d’un revenu appréciable s’orientent vers les promoteurs privés, cela ne pose pas de problème. Mais la situation des habitants des bidonvilles, qui se contentent d’un «recasement», n’est pas claire.

En effet, personne ne se demande si les bénéficiaires des logements sociaux doivent s’acquitter d’un loyer ou en devenir propriétaires ? Pour absorber réellement les besoins de la population en termes de logement, il faut rassembler les professionnels du métier et poser une réelle stratégie, sans quoi rien n’est faisable concrètement. Par ailleurs, si la situation est réellement maîtrisée, comme le ministre le déclare, pourquoi avoir élevé le montant de la deuxième tranche pour les souscripteurs du programme LPP de 500 000 DA à 1 million de dinars ? Cela n’est, à mon sens, qu’une diversion pour écarter les personnes, car les logements ne sont pas prêts.

- Le ministre a également affirmé que les projets de logements ne seront pas affectés par la baisse des cours du pétrole. Pensez-vous que le scénario de 1991 – lorsque les autorités ont été obligées d’abandonner tous les projets à cause de la crise financière provoquée par la chute des prix du pétrole – peut se reproduire ?

Cette question renvoie aux priorités ou aux restrictions budgétaires décidées par le gouvernement. Par rapport au projet de la loi de finances complémentaire 2015 et aux propos tenus par les hautes autorités du pays, les programmes de logements seront maintenus en l’état. Malgré la baisse des revenus résultant des fluctuations du prix du pétrole, le pays dispose de réserves financières sécurisantes pour les prochaines années.

Encore une fois, il faut savoir que le volet financier à lui seul ne constitue pas la contrainte majeure. Il faut se poser des questions sur la gestion, la productivité, la main-d’œuvre qualifiée, la disponibilité des matériaux de construction, et surtout les contraintes bureaucratiques, sans oublier la stratégie.

- L’éternel problème de l’accès à la propriété en Algérie, c’est l’acte, dont peu de propriétaires peuvent finalement se prévaloir…

Ce problème ne concerne pas uniquement les logements mais aussi tous les édifices réalisés par les pouvoirs publics de 1962 jusqu’à 2010. La preuve ? Dans la loi 08-15 du 20 juillet 2008 fixant les règles de mise en conformité des constructions et leur achèvement, suivie par une instruction interministérielle de 2012 relative à la délivrance des actes d’urbanisme pour les équipements et les logements réalisés par les administrations et les organismes (OPGI, ENPI, ex-EPLF, CNEP, AADL, Agences foncières communales et de wilayas, entreprises et autres organismes ou operateurs publics, ministères), les autorités ont défini les modalités de régulation de toutes les constructions qui ont vu le jour sans titre de propriété, ni permis de construire, ni certificat de conformité.

En plus de tous ces problèmes, les 18 ex-Entreprises de promotion du logement familial qui ont été remplacé par l’Entreprise nationale de promotion immobilière (ENPI) ont laissé une dette de 32,5 milliards de dinars. Je ne parle même pas des 50 OPGI qui avaient une ardoise de 370 milliards de dinars. A cela s’ajoute un déficit énorme en cadres administratifs, d’environ 7000 administrateurs, ce qui ne va pas arranger la situation.

- Les universités, les ministères et les bâtiments d’Etat sont donc aussi concernés par l’absence d’actes ?

Toutes les infrastructures éducatives : écoles primaires, CEM, lycées, universités, instituts, CFPA et établissement sportifs ainsi que les édifices publics, tels que les APC, daïras, wilayas, ministères, les sièges des entreprises nationales sont concernés par ce phénomène.

- Pourquoi l’Etat a laissé faire ?

Au début des lancements des programmes de logements dans les années 1970, la précipitation a prévalu. C’est ainsi que les walis désignaient de gré à gré des entreprises publiques qui se basaient sur la quantité au détriment de la qualité. Ces opérations se faisaient sans acte de propriété, sans permis de construire et sans certificat de conformité. A titre d’exemple, les EPLF, créées en 1985, ont réalisé un programme de logements très important. Sur des  décisions des pouvoirs publics, des maîtres d’ouvrage engageaient des entreprises publiques à s’installer et à commencer les travaux, sans forcément exiger les documents nécessaires, faute de quoi le directeur général était remercié.

- Quels sont les problèmes qui entravent la résolution de ce phénomène ?

Il faut savoir que juridiquement parlant, l’Etat n’est pas propriétaire. Le premier obstacle qu’il faut résoudre est la détermination du foncier réservé à l’habitat. Les responsables doivent mener une enquête pour savoir si le foncier appartient au domaine public ou au privé, au communal ou aux wakfs. Suite à cela, un autre problème doit être résolu : faut-il délivrer les actes en se basant sur le prix du marché de l’époque ou de l’actuel ? Il faut mettre en place une commission composée  d’experts, géomètres, architectes, cadres des domaines et du cadastre, de l’Intérieur, des Finances et de l’Agriculture afin de proposer des solutions réglementaires.

- Le ministre a promis de procéder à la première remise des clés pour les postulants du programme 2001-2002 de l’AADL le premier semestre 2016. Pensez-vous que c’est réalisable ?

Nul ne peut nier les efforts et les bonnes intentions des autorités pour accélérer le rythme de la réception des logements AADL, mais force est de constater que des facteurs indépendants à la décision politique, tels que le manque de suivi et d’application, retardent parfois les délais et les objectifs tracés. Quinze ans après l’initiation des programmes AADL, le quota des 55 000 logements qui devaient être réalisés en quatre ans n’a pas encore été achevé. Malheureusement, certains souscripteurs 2001-2002 n’ont à ce jour pas réceptionné leurs logements alors qu’ils ont payé en temps opportun.

- Les Offices de promotion et de gestion immobilière (OPGI) ont mis en vente plus de 500 000 logements sociaux à des prix défiant toute concurrence. Comment expliquez-vous cela ?

Il s’agit là de logements qui ont été réalisés depuis plus de 20 ans à un coût qui variait entre 3500 à 6000 DA le mètre carré. Par ailleurs, la plupart de ces logements ont connu une détérioration, une vétusté et un vieillissement (manque de concierges et de syndics) qui ont engendré nécessairement une diminution de leur valeur. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la majorité des copropriétaires de ces biens ne sont que de simples agents de la Fonction publique ou des retraités disposant d’un revenu modeste, ce qui les oblige à recourir à des prêts bancaires ou même à sacrifier leurs véhicules pour acquérir ces logements.

Sofia Ouahib
 

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