Histoire avant 1848
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ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

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UN JOUR D’HIVER A NOISY AVEC UN TEMPS DE COCHON

par Fernand Moullin


Comme dans bon nombre de familles, cette période était propice aux charcuteries maison que nous fabriquions avec les cochons élevés par nos soins et traités par des mains expertes. Je pense que mon histoire rappellera quelques bons souvenirs.

C’est en décembre et janvier que l’on tuait une dizaine de porcs dans la famille, dont deux chez mes parents.

Dans les années 50, j’ai une vingtaine d’années. Hier avec mon père, Fernand1, nous avons fait les préparatifs car, aujourd’hui, on tue un cochon de 150 kilos. Pour que la bête soit propre on a nettoyé l’écurie, mis de la paille et vidé les auges pour que Tchoura soit à jeun. Appuyée sur deux comportes, la porte du magasin2 fait l’affaire pour servir de table d’opération. Les couteaux et raclettes sont aiguisés et le saigneur3 effilé bien affûté. Un peu plus loin il y a deux trépieds : sur le grand on a placé un gros récipient en fer, car il faudra de l’eau bien chaude toute la journée, et sur le petit, la lessiveuse dont l’eau servira à laver la vaisselle. Les fagots de sarments, les bûches d’eucalyptus et les souches de vigne sont entassés tout près des foyers installés au milieu de la cour.

Le décor est planté et… aujourd’hui on tue le cochon !

Il est six heures du matin ; les oncles et les cousins arrivent pour donner un coup de main, bien sûr la semaine prochaine nous nous retrouverons pour la même cause chez l’un d’eux. Pour commencer, nous allons d’abord déguster un bon café que maman Tinotte4 nous a préparé de bonne heure. Le casse-croûte est déjà prêt sur la table, mais ce sera pour huit heures, lorsque le cochon sera saigné, raclé et lavé à grande eau froide. L’opération va commencer… oui, je vois papa qui se dirige vers la porcherie, une cordelette fine et solide à la main ; il entre calmement dans le box, tandis que les hommes attendent devant la porte, à l’extérieur. Le grand Fernand se place sur le côté de Tchoura, le tenant fermement, avec ses mains, par les oreilles, ce qui provoque les cris aigus de l’animal qui se dirige alors vers la porte ouverte. C’est une sortie un peu brutale certes, mais la poigne des hommes a raison de la bête qui se retrouve couchée sur le flanc. Avec un genou bien appuyé sur le cou, papa ficelle le groin avec force et l’intensité des cris diminue. On transporte ainsi le porc sur la table à tuer ; il crie, il se débat, il s’agite mais des mains fermes tiennent chaque patte et… la queue. Père me place devant lui, lui-même à hauteur de la tête du cochon et me tend le saigneur, car aujourd’hui c’est mon tour, on doit initier les jeunes. Je prends donc la cordelette en main gauche et le couteau en main droite. Il me montre l’emplacement, sous le cou, où je dois pointer le saigneur et me dit, sans rire, de viser le dessous de la queue. J’exécute ses directives et le sang gicle aussitôt dans la bassine que tient ma cousine Gaby5. Au plus vite et par prudence je range le couteau sous la comporte.

Pour mon premier essai, le coup est réussi. Sans arrêt Gaby tourne sa main dans le sang qui coule toujours, tandis que l’on remue les pattes de l’animal pour le vider complètement. Une autre opération commence avec la mise en route des raclettes ; l’oncle Maurice Morin6, avec une grande casserole remplie d’eau chaude, arrose le poil abondamment ; ça fume, c’est le moment de racler toute la peau et d’enlever le plus gros en un instant. On trempe pendant un moment les pattes et la queue dans des récipients, puis on arrache les sabots à la tenaille, on nettoie la queue à la toile de jute et on finit la grande toilette de Tchoura à l’eau froide.

Mon père, un rasoir à la main recherche le moindre poil récalcitrant, puis il tapote les flancs en disant : « Pauvre Tchoura, tu n’as jamais été aussi propre ».

Cette première partie étant terminée, on se dirige vers le casse-croûte. C’est un moment très apprécié de tous. Il y a là, la charcuterie de l’an dernier avec pâté, saucisson, etc., olives au fenouil, fromages, vins rouge et rosé.

La deuxième partie sera terminée à midi. Chacun sait ce qu’il a à faire. J’apporte l’échelle que je place à côté du cochon mis sur le dos. On l’installe sur les barreaux et papa sépare la tête du corps en la confiant à Christian7 ; puis il dégage le tendon de chaque patte arrière, qu’on accroche au palonnier fixé sur l’échelle puis le tout est transporté et placé debout contre le mur de la buanderie.

Maintenant qu’il est installé avec la queue en l’air8, je place une corbeille à vendange sous la poitrine. Mon père commence, à partir du haut, l’ouverture du ventre et me passe le couteau ; je place l’index et le majeur dans la fente et je mets la lame du couteau entre mes deux doigts pour couper le péritoine jusqu’en bas, c’est alors que je retire tous les boyaux qui tombent dans la corbeille que nous apportons à Gaby qui va se charger de les nettoyer avec le concours avisé de sa mère, tata Mélanie9. On enlève la frisure qu’on pend sous le mimora. Dans le même temps l’oncle Georges10 prend la vessie et la gonfle pour le plus grand bonheur des enfants qui joueront au foot, à la sortie de l’école, tout à côté les oncles ont trempé les pattes du cochon dans l’eau bouillante pour les décrasser et les racler.

Voilà, il est midi, c’est l’heure de l’anisette avec une abondante kémia pour nous mettre en appétit et nous installer à table dans la véranda pour prendre le repas pat Tinotte et Missette11 ; c’est un moment apprécié et joyeux. Les deux grand-mères12 sont présentes, nous sommes une vingtaine de convives attablés. Le café bu, tout le monde se remet à la tâche. Papa prend une première moitié du cochon sur son dos et la dépose sur une grande table dans l’arrière-cuisine pour la débiter. Il me montre les secrets du découpage car je dois faire l’autre moitié. Chacun, selon sa spécialité, reçoit le morceau qu’il doit préparer. Gaby et sa mère ont les morceaux à boudin qu’elles mélangent au sang en emplissant les boyaux et mettent aussitôt à cuire dans une grosse marmite en fonte. Le boudin sera cuit et goûté ce soir vers dix heures. A côté, la viande s’amoncelle par petits paquet, l’un pour la charcuterie, l’autre pour le confit ou le salé, les couennes à dégraisser, etc. Alors que le café est servi à volonté tout l’après-midi, ma marraine13 me fait mettre une grosse poignée de chair à saucisse dans un gros papier gris d’épicerie que je place dans la braise pour la déguster tout à l’heure. Avec Christian Morin nous fixons sur la table deux machines à entonner pour demain matin.

Le soir, l’heure du repas arrive et c’est un bon moment de détente avec l’anisette, le souper et la liqueur, puis on se donne rendez-vous pour le lendemain matin où tout le monde mettra encore la main à la pâte.

Toujours dans la grosse marmite, maman fera fondre la graisse pour recouvrir les confits dans les grands faitouts, o, entonnera les saucisses, saucissons, andouilles que je pendrai, l’après-midi, à la poutre de la vieille cuisine, puis les grands-mères façonneront les caillettes dans la voilette, tandis que la tante Lydie14 cuisinera le « bon pâté ». A midi on dégustera les inévitables rognons en sauce que Tinotte nous aura préparés, et le soir après le souper chacun partira avec une assiette bien garnie et l’on fixera le jour et le lieu de la prochaine petite fête… pour nous, certes, mais pas pour le cochon !
 

Fernand MOULLIN

§ § §

1) - Fernand MOULLIN (1900-1987), fils de Léon MOULIN et Marie JUSTAMENTE, époux de Clémentine MORIN.

2) - Local où l’on stockait le grain et certaines provisions.

3) - Couteau de boucher.

4) - Clémentine MORIN (1905-1984), dite Tinotte, fille de Casimir MORIN et de Augustine PAIN, épouse de Fernand MOULLIN.

5) - Gabrielle LANGLOIS (1926-2011), dite Gaby, fille de Georges LANGLOIS et de Mélanie MORIN, cette dernière sœur de Clémentine MORIN ci-dessus.

6) - Maurice MORIN (1907-/1987), frère de Clémentine et Mélanie MORIN.

7) - Christian MORIN (1932-1986), fils de Maurice MORIN et Blanche FELDIS.

8) - Tête en bas.

9) - Mélanie MORIN (1901-1964), épouse de Georges LANGLOIS.

10) - Georges LANGLOIS (1897-1983), époux de Mélanie MORIN.

11) - Mauricette MOULLIN (1930), dite Missette, fille de Fernand MOULLIN et de Clémentine MORIN, et sœur de l’auteur de cet article.

12) - Marie JUSTAMENTE (1865-1949), veuve Léon MOULLIN, et Augustine PAIN (1880-1964), veuve Casimir MORIN.

13) - Sa tante Mélanie MORIN, Mme Georges LANGLOIS.

14) - Lydie FELDIS (1911-/1990), épouse de André MORIN frère de Mélanie, Clémentine et Maurice MORIN. Elle était sœur de Blanche FELDIS épouse de Maurice MORIN.
 

(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 17 – décembre 2002)
 

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