Histoire avant 1848
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Vie des Communautés
Centenaire 1914-1918

ANLB

Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 

NOISY : JE VOUS PARLE D’UN TEMPS…

par André Corbobesse

En ce temps-là, Noisy-les-Bains ne comptait plus de salon de coiffure depuis que Dolly, le coiffeur officiel de notre communauté (dont ma cousine Armande disait en son jeune âge que « il coupait les cheveux comme à les chiens ! ») s’était retiré.

Pour palier ce manque, on faisait appel à un coiffeur itinérant, qui nous arrivait, je crois bien, de Fornaka et qui se présentait dans les foyers pour exercer son art. C’est ainsi que lui étaient livrées, au rythme mensuel, nos chères têtes blondes.

Personnellement je n’appréciais pas ces visites. Non que l’homme soit imposant ou intimidant : « Monsieur Barbéro », comme je l’appelais respectueusement, pensant que c’était-là son patronyme, était plutôt petit, trapu et myope de surcroît. Il n’impressionnait donc, ni par sa stature, ni par son caractère plutôt jovial. Je précise à sa décharge, et pour être tout à fait honnête, que la seule idée de demeurer assis une demi-heure durant, sans bouger ou presque, alors que mon frère continuait de jouer sous mes yeux tout en me narguant, développait en moi un sentiment de révolte contenue, de sacrifice non consenti et d’injustice notoire. Ce qui explique que la nervosité s’installait dès que paraissait « Monsieur Barbéro ».

Selon son habitude, il entrait chez nous par le portail, qui donnait accès à la cour, en poussant devant lui son vélo, à l’arrière duquel était arrimé un coffre de bois contenant son nécessaire de travail. Cette arrivée impromptue sonnait le glas de l’entente cordiale qui régnait tant bien que mal entre mon frère et moi. Car, pris à l’improviste, nous savions par expérience que nous ne disposions pas du temps de réflexion qui nous permettrait de faire émerger les arguments susceptibles de déterminer l’ordre de passage sur le siège des lamentations. Par principe, en effet, il répugnait à l’un comme à l’autre de passer le premier. J’observe néanmoins, en toute objectivité, que j’étais sans contexte le plus accommodant sur ce point, non par nature mais par instinct de conservation : le poids des menaces fraternelles grommelées entre les dents, la vivacité d’un regard appuyé, un geste furtivement esquissé et tout était dit, compris, assimilé…

Une fois installé sur la chaise fatidique, les hostilités commençaient entre l’officiant et moi à propos de la serviette que je trouvais toujours trop serrée autour du cou. Ce différent étant généralement assez vite réglé, le talc saupoudré sur ma nuque, réputé faciliter le glissement de la tondeuse, se répandant en un halo parfumé et apaisant qui me faisait oublier, l’espace d’un instant, les humiliations inhérentes à mon rang de cadet. Mais l’entrée en action de ladite tondeuse avait tôt fait de me tirer de mes rêveries. Car, cet instrument, de sinistre mémoire, tenait davantage de l’étrille que des ciseaux tant il s’agrippait aux cheveux au lieu de les couper. D’où mes incessantes contorsions accompagnées de mes commentaires qui pour être succincts n’en étaient pas moins expressifs ; Aïe !, Ouïe ! Ce à quoi « Monsieur Barbéro » répliquait sur un ton agacé, dans une langue fortement teintée d’exotisme : « Khoè, tchai, si qué tou rémues come oun ver dé terre ! »

C’est ainsi qu’en peu de mots je passais de l’état de victime à celui de coupable. Il s’en suivait évidemment une polémique pour déterminer les responsabilités respectives dont les conclusions étaient aussi évidentes que la solution à l’épineuse question qui défie l’humanité depuis la création du monde : est-ce la poule qui a pondu l’œuf ou l’œuf qui a engendré la poule ? Pour sortir de ce dilemme je finissais par consentir à oublier l’infamie, soucieux de rétablir le climat de confiance indispensable à l’accomplissement du contrat qui nous liait. Et les minutes continuaient de s’égrener ainsi, rythmées par les éclats de voix étouffés chaque fois qu’un cheveu (d’ange, évidemment) était sauvagement arraché à son cuir nourricier. Il arrivait aussi que plusieurs cheveux (du même ange) soient simultanément coincés dans les mâchoires de l’infernal accessoire. Instinctivement, sous l’effet de la douleur, je haussais les épaules, réduisant sensiblement la surface à débroussailler et rendant impossible la poursuite des opérations. Les bras levés vers le ciel, « Monsieur Barbéro » implorait les dieux de l’Olympe de lui venir en aide, tant il savait que le salut ne viendrait pas de la tondeuse aux dents émoussées par des années d’exercice. Et faute de réponse des célestes instances, d’un geste tout à fait résigné et rassurant, il me remettait en bonne position sur ma chaise et poursuivait sa tâche ingrate, non sans me recommander de « ne plus rentrer mon cou comme les tortues ».

L’ouvrage touchant à sa fin, je disposais d’un court répit, le temps qu’il affûte sur ses sangles de cuir la lame du rasoir qui devait, comme une signature, mettre un terme à l’entreprise. Cette phase me plongeait dans la plus grande angoisse et générait des frissons en rafales le long de ma colonne vertébrale. Aussi, par précaution et afin d’éviter tout plissement de la peau qui eut pu conduire à un bain de sang, je tendais le cou au maximum en retenant mon souffle, cependant que le fil acéré de la lame courait sur ma nuque et raclait mes tempes. Le suspens prenait fin lorsque la douceur de la houppe talquée venait atténuer le feu du rasoir en propageant de nouveau son aura parfumée. L’heure de la délivrance ayant alors sonnée, avec la fougue des taureaux qui déboulent dans l’arène, je m’arrachais du siège et allais me poster en un endroit d’où je pouvais, tout à mon aise, continuer l’activité momentanément interrompue et, juste retournement de situation, me délecter à mon tour des grimaces et récriminations de mon frère.

Lorsque aujourd’hui je vais me faire coiffer, je tressaille encore au passage du rasoir. Peut-être est-ce la réminiscence du souvenir de ce bon « Monsieur Barbéro » qui a eu bien du mérite et de la patience pour supporter le garnement de mauvaise foi que j’étais alors… et… que je suis resté. Je lui en suis vivement reconnaissant.

André Corbobesse

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MONSIEUR BARBERO

par Yvan Mottet

Dans le bulletin n° 15, à la page 16 : « Noisy, je vous parle d’un temps… », André Corbobesse évoque un personnage que nous avons tous bien connu : M. BARBERO.

Cet homme parfaitement décrit, tant dans son aspect physique, que dans son art de la coiffure au masculin, qui était-il ?

De son nom RODRIGUEZ. Vers la fin des années 1920 il quitte son pays, l’Espagne où sévit une grave crise économique et sociale. Il s’installe à La Stidia dans une maison située dans la rue principale du village, appartenant à Mme Jean Pitz. Il ouvre un salon de coiffure d’une grande simplicité. Ses deux enfants Nadine et Brice fréquentent les écoles du village (se référer aux ^photos de classe publiées dans les bulletins 16 et 17).

Un jour par semaine le salon est fermé tandis que Barbero, coiffeur itinérant, se rend à tour de rôle à Rivoli, Noisy, Fornaka.

A La Stidia, le jeudi jour de vacances scolaires, était réservé aux enfants, et tout comme André Corbobesse, j’ai de très mauvais souvenirs de la tondeuse-arracheuse-défonçeuse de M. Rodriguez. Par contre, le samedi matin il faisait vraiment office de « barbéro », en effet, ce jour-là, les hommes les plus âgés du village se retrouvaient au salon pour se « faire faire la barbe ». c’était le rituel du samedi, ils s’y attardaient, échangeaient des nouvelles, des méthodes de travail, des idées et Barbéro participait volontiers à leurs discussions. Mon grand-père maternel Michel Fassion, son frère Edouard, François Clémentz, Jean Pitz, Victor Laurent, etc., étaient des fidèles de ces rendez-vous du samedi.

Quand le moment de la retraite arriva, c’est son fils Brice, formé par le père, qui prit la suite. Il alla s’établir à Rivoli et continua de visiter la clientèle de son père, en devenant à son tour coiffeur itinérant.

C’est en 1954, au retour d’une campagne en Indochine et de passage à La Stidia, que j’ai eu l’occasion de revoir Brice pour la dernière fois ; il « cherchait ses têtes » en se rendant au domicile de ses clients.

Yvan Mottet

(Sources : Bulletin de liaison des enfants de La Stidia et Noisy n° 15 de juin 2002, et n° 17 de décembre 2002)
 

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