Histoire avant 1848
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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

NOISY : SES ENFANTS EN ARMES

par Norbert Ségalas

Il est un événement qui s’est passé à Noisy, et qui a été très peu évoqué au temps de ma jeunesse et même maintenant, comme si les Noiséens l’avaient oublié ou en avaient honte. J’en ai eu quelques bribes par mon père, grâce à une tournure anecdotique le concernant.

Voici donc l’histoire de nos valeureux parents qui ont prouvé tout l’amour pour leur cher Noisy.

1936, c’est l’avènement du front populaire. A Mostaganem ce fut une petite révolution. Le 3 août de très graves incidents éclatent entre les dockers CGT et dockers autonomistes, des coups de feu sont tirés. On relèvera dix blessés dont deux grièvement.

Le 4 août, violents incidents et manifestation communiste à Mostaganem : les rouges ont tiré sur ceux du Rassemblement National qui ont riposté.

Le 5 août, les obsèques du communiste Gil Diego donnent leu à des coups de feu, jets de pierres, quelques blessés légers, un immeuble incendié. Les Perrégaulois arrivent en masse à Mostaganem pour soutenir leurs camarades communistes. Entassés dans des camions, vociférant l’Internationale et brandissant des drapeaux rouges, ils traversent Noisy pour se rendre à Mostaganem. Il faut dire que Perrégaux est un nœud ferroviaire important d’où le chemin de fer (CFA qui deviendra SNCFA après 1958) se dispache vers Oran et le Maroc, Colomb Béchard et le grand sud, et Alger Constantine. C’est une ville de cheminots à forte concentration communiste. A beaucoup de manifestations le drapeau rouge défile en tête. Ce n’est pas pour rien que Perrégaux est surnommé « le petit Moscou ».

Quand ils passent par Noisy, ce ne sont qu’insultes, provocations, menaces. Un jour, de retour de Mosta, après une manifestation sanglante, en traversant le village ils hurlent : « Demain, ce sera le tour de Noisy. »

Nos anciens prennent la menace au sérieux et se concertent pour réagir à cette déclaration de guerre… il n’est pas question de voir un si joli petit village saccagé. Le jour J toute la jeunesse se mobilise et, armée de fusils, s’apprête à accueillir les vandales. A l’entrée du village, cachés derrière les eucalyptus, dans les fossés et les vignes, ils attendent les « rouges » de pied ferme.

En ce temps-là, il n’y avait pas de téléphones portables, mais il y avait autre chose d’aussi efficace : le « téléphone arabe » et les hordes sauvages averties, firent quelques kilomètres de plus pour aller à Mostaganem via Fornaka et La Stidia.

L’affaire en serait restée là, s’il n’y avait pas eu le zèle stupide (service, service !!!) de deux gendarmes de Noisy, qui dénoncèrent tous les participants, et le 24 mars 1937 trente-six « braves gens » de Noisy ont été convoqués en correctionnelle pour crime de lèse-Front populaire, ayant eu la prétention de vouloir arrêter les pillards de l’autorité nouvelle (cf. le journal L’Aïn Sefra), c’est-à-dire les éléments communistes de Perrégaux.

La salle d’audience est pleine à craquer, vous pensez : trentre-six accusés d’un coup, ce n’est pas banal ! La défense est assurée par Maîtres Sarrochi et David, du barreau d’Oran, mais aussi par Maître Grumbach et le maire de Noisy, Eugène Morin, qui n’hésite pas à mettre son mandat en jeu pour défendre bec et ongles ses administrés.

Le substitut du procureur de la République Longobardi, selon ses habitudes professionnelles, ne ménage pas les accusés ni le maire, et réclame une peine conséquente. Maître Sarrochi s’attaque aux rapports des gendarmes qui n’en mènent pas large… l’un d’eux, le gendarme Demange, reconnaîtra que même des femmes et des enfants pleuraient. Maître David se lance sur le point de vue de la légitime défense. Maître Grumbach appuya intelligemment ses confrères et l’affaire fut mise en délibéré. Les inculpés écopèrent de cinq ans de surveillance.

Pour la petite histoire, mon père, « P’tit Louis », qui avait pris son fusil n’a pas été inquiété, c’est mon oncle « Pierrounet », qui n’était absent ce jour-là, qui a été convoqué au tribunal… Les gendarmes s’étaient trompés de prénom.

Norbert Ségalas

Complément d’anecdote :

Certains se souviennent que presque tous les hommes du village étaient montés à Mostaganem pour renforcer les rangs du Rassemblement National ; en cette période des 4 et 5 août le village s’était vidé et devant le café Garrigues, Louis Moullin s’appuyant sur sa canne, rencontre M. Duboué assez âgé lui aussi, et tous d’eux évoquent les événements du moment :

-Presque tous les hommes du village sont allés en ville pour manifester, sauf les traîtres, lance Louis Moullin.

-Oh moi j’en connais au moins deux !

-Ah oui ?

-Ben oui… c’est toi et moi !!! répondit malicieusement M. Duboué avec son accent tarbais.

Cette histoire m’a été racontée par Henri Langlois âgé de 14 ans à cette époque.

Maurice Langlois

 

(Source: Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 37, décembre 2007)

 

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