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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie
KADA, LE MAQUIGNON AMI DE MON PERE
par Fernand Moullin
Kada, conseiller municipal de la commune de Noisy-les-Bains, était un grand ami de mon père.
Le jeudi, jour de marché, Kada venait attacher son cheval dételé dans notre cour. Mon père le recevait et la conversation en arabe, avec quelques mots de français, portait sur les affaires qu’il avait à présenter.
Un peu de tout : vente d’un cheval, d’une vache, d’une cariole, de grains, de paille, etc. Bien sûr, avant de partir au marché, car il était tôt, ma mère leur servait le café dans la véranda. Là, mon père posait son paquet de Brasilénas sur la table et Kada en tirait une qu’il mettait dans son porte-cigarette, ce qui faisait une bonne longueur, puis il sortait son briquet ancien à longue mèche d’étoupe.
Vient le moment des salamalecs, Kada demande à ma mère des nouvelles des enfants et de tous, celle-ci à son tour lui demande si Kheira son épouse se portait bien et si les enfants poussaient normalement.
C’était un homme propre et plaisant. En été, avec la chéchia et le turban, il portait un grand chapeau de paille (le m’dal) orné de petits pompons rouges et verts qui pendaient tout autour. Lorsqu’il ne l’avait pas sur la tête, le cordon autour du cou retenait le couvre-chef dans son dos. Le sarouel (pantalon ample) était bien ajusté et retenu par une grosse ceinture de cuir noir sur laquelle était accroché un fourreau qui recevait l’mous, soit un couteau assez important. Il portait un paletot avec beaucoup de poches, un petit gilet vert et une large chemise sans col. Il avait une solide canne en gros bois d’olivier.
Dans une poche intérieure il plaçait son tazdam, un gros portefeuille en cuir brut formant de nombreuses poches, le tout ficelé par une cordelette faisant plusieurs fois le tour avant d’être fixée à la boutonnière du gilet. Dans une autre poche, la montre était au bout d’une longue chaine, aussi nouée à une autre boutonnière. Il était fier lorsqu’il regardait l’heure qu’il contrôlait par le soleil. Dans une autre poche se trouvait le paquet de tabac fort avec le petit sachet de papier à cigarette.
En hiver il portait la même tenue, sans le chapeau, toujours chaussé d’espadrilles blanches, avec un gros burnous et garmouna (capuche).
Il était temps d’aller au marché. Les deux amis sortaient sur le trottoir et attendaient l’arrivée des copains habituels. Les premiers étaient l’oncle Georges (Langlois) et son ami Abali, puis venaient nos bons tailleurs de vigne Miloud et Mened. Tout le monde étant là, ils descendaient vers le marché qui se trouvait à 200 mètres. L’équipe s’arrêtait chez Kaddour, le serveur du café maure, pour déguster un bon thé à la menthe. La discussion émaillée de plaisanteries et de rires battait son plein. Ils avaient une bonne matinée. Chacun retournait chez soi vers midi, les paniers pleins de bons légumes frais et d’excellents gigots d’agneau du matin faisaient la joie des femmes au foyer.
C’était le bon temps de la grande et vraie amitié.
Kada, Kaddour, Miloud, Mened, Abali, qu’êtes-vous donc devenus ?
Fernand Moullin
(Source : Le Lien, bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy-les-Bains, n° 56, septembre 2012)
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