ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie
LES DINARS
par Norbert Ségalas
Le début de l’année 1964 a été un tournant décisif pour le dernier bastion pied-noir. C’est à ce moment-là qu’on a reçu les papiers de nationalisation des biens, c’est-à-dire : terrains, maisons et matériel agricole… mais aussi l’arrivée du dinar, la nouvelle monnaie algérienne. Il fallait échanger, et ce dans un court délai, les nouveaux francs de la Banque d’Algérie indexés sur ceux de la Banque de France, contre des dinars fraîchement imprimés mais indexés sur rien du tout.
Mon père apprend que nous pouvons aller au consulat (de France) pour sauvegarder notre argent. Nous voilà donc partis pour Mostaganem, notre gardien de voiture toujours fidèle au poste nous montre une place libre du côté de l’église, en face du Crédit Lyonnais où nous nous rendons.
Nous sommes à peine descendus de voiture qu’on entend quelqu’un houspiller une femme qui serre son drap blanc sur la tête… de suite notre gardien se joint à lui, ainsi que d’autres passants qui prennent le relais, pour injurier cette forme blanche qui précipite son pas, poursuivie par les insultes. C’est un véritable « haro sur le baudet ». Nous sommes interloqués. Devant notre regard en point d’interrogation, il explique : « C’est la mendiante, la salope, elle a changé deux millions ». En 1964 c’était une somme énorme, surtout pour des gens vivant au jour le jour, il y avait de quoi être révolté.
C’est à ce moment-là que je tilte… mais… cette mendiante ? C’est bien elle qui avait essayé de nous escroquer, avec Sebban, quelques années plus tôt !!! Eh ben ! Elle a dû en réussir des arnaques, pour devenir aussi riche !!!
Maintenant on arrive au consulat. Il y a des policiers armés devant. Le chef, celui qui porte une casquette, demande à mon père ce qu’il y a dans sa serviette. Mon père ouvre le porte-document et montre l’intérieur rempli de papiers. Le policier montre une enveloppe : « Et ça ? »
-« Ça, dit mon père en toute confiance, dhram (argent) » et l’autre en se saisissant de l’enveloppe : « C’est ce qu’on cherche. »
On est sciés. Il compte l’argent, prend nos coordonnées et nous fait un reçu. Derrière la fenêtre, le consul et une autre personne assistent impuissants à l’embuscade. Quand nous entrons, nous voyons le consul qui, laissant éclater sa rage, se démène comme un chat balancé dans une piscine… il téléphone à droite et à gauche.
-« Vous êtes le deuxième à qui ils ont fait le coup, le premier a été une personne de Georges-Clémenceau (La Stidia), 4 000 NF à un certain Wagner (ou Mayer… car depuis le temps je ne me souviens plus très bien, de toutes façons, s’il lit ces lignes il se reconnaîtra).
Quelques jours plus tard nous avons récupéré nos sous, 2 500 dinars. Voilà comment cela pouvait se passer au moment du change franc-dinar, et après un certain délai ça devenait trafic de devises et taule.
Malgré tout, certains ont bravé ces menaces en passant outre.
Par exemple, cette famille que j’avais accompagné au port d’Oran pour embarquer définitivement vers la métropole… Ils étaient chargés comme nous l’avons tous été avec valises, sacs et en plus le canari dans une petite cage placée dans une autre un peu plus grande. A la douane un arabe les voyant encombrés de la sorte, les a aidés à porter le canari… c’était pas le plus lourd mais le plus encombrant. Bien plus tard, en France, Albert nous a révélé que le pognon se trouvait dans le double-fond de la petite cage !
Un autre exemple, c’est ma tante Emilienne qui me l’a raconté : Une femme du quartier avait cousu les billets dans son manteau. Elle était partie ce manteau bien rembourré sur le dos, et ce, malgré la chaleur qu’il faisait à ce moment-là.
Norbert Ségalas
(Source : Le Lien, bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy-les-Bains, n° 56, septembre 2012)
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