Histoire avant 1848
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ANLB

Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 

ECOLE COMMUNALE

par Norbert Ségalas

L’école a été pour moi un mal nécessaire : apprendre à lire et à compter, à vivre avec ceux qui nous entourent, mais ce que j’ai le plus apprécié ce sont les jeux et les vacances. Même qu’une fois, l’école finie, dans la cour de la maison, j’avais fait un petit tas avec les cahiers et après y avoir mis le feu je dansai en tournant comme un indien autour du poteau des tortures, en chantant ma chanson préférée :

                Gai, gai l’écolier, c’est demain les vacances,

                Gai, gai l’écolier, c’est demain les congés.

                Adieu les analyses, les verbes et les dictées,

                Tout ça c’est des bêtises qui nous font enragés…

Et ça finissait par :

                Les cahiers au feu, la maîtresse au milieu…

Et on ajoutait pour la rime :

                Et les maîtres derrières « eux ».

Purée… la gueule de ma mère !!!

A Noisy, mes éducateurs ont été mademoiselle Odette Trey-Lacoste, puis monsieur Sicard, madame Cure et monsieur Bulan.


Mademoiselle Trey-Lacoste

Avec l’histoire de la poupée contée dans le bulletin 16, je me souviens d’une autre anecdote. Pour une fois, j’avais appris une leçon de récitation par cœur. Ce matin-là, je suis arrivé à l’école complètement aphone. Bien entendu, je suis interrogé et la maîtresse me demande de réciter ma leçon. Je me lève à côté de mon pupitre et, malgré mes efforts, il ne sort de mes lèvres que des sons affaiblis. Il y en a qui rigolent ! Intriguée elle vient vers moi en me demandant ce qu’il se passe. Elle comprend et s’agenouille pour se mettre à ma hauteur. Elle repousse ses cheveux blonds et bouclés en arrière, et découvre une oreille finement ourlée. Je débite ma récitation contre son oreille, elle m’écoute consciencieusement jusqu’au bout. Je m’attendais à sentir un parfum quelconque, mais non, elle sentait bon le savon. C’est tout ! Puis elle se redressa en me félicitant et avec un grand sourire me gratifia généreusement d’une image sans passer par les « bons-points » (Il fallait dix bons-points pour avoir une image).

Une autre fois que j’avais fait une bêtise, elle m’a envoyé dans la cour pour me punir. Mais comme cela lui arrivait assez souvent, elle m’avait oublié et j’en ai profité pour aller dans la nature, vers les jardins.

C’est comme ça que les copains ont appris une nouvelle expression : l’école buissonnière.

Quelque temps après, elle s’est mariée avec le directeur de l’école, monsieur Muller, puis elle est partie à Oran, sans doute pour accoucher, car peu de temps après monsieur Muller nous a réunis, toutes classes confondues, dans la cour, contre le mur de l’appartement de fonction qui jouxtait le préau, et avec fierté en se dressant comme un coq sur ses ergots, nous dit ces quelques mots : « J’ai un fils, il s’appelle Georges ! » Et sur cette phrase succincte il nous a rendu à nos jeux.


Monsieur Sicard

Grand, beau gosse, baraqué, sportif. La première fois que je l’ai vu, il était dans son jardin situé à l’arrière de son logement de fonction où il venait tout juste d’aménager. Avec une pioche et une pelle il était en train de creuser un trou, de quoi enterrer un âne. Tout simplement, il arrachait du chiendent en allant jusqu’au bout des racines qui descendaient profondément.

Un premier jour de rentrée des classes, sur le chemin de l’école, monsieur Sicard m’appelle… Je ne comprends pas car maintenant je suis chez madame Cure. Je m’approche sourire aux lèvres mais je déchante vite.

Il me donne une punition sous prétexte que je me suis moqué de lui il y a quelques jours de cela quand il est passé devant ma maison à la nuit tombée. J’étais soi-disant dans la pénombre de l’escalier avec d’autres copains. Je ne comprends rien à son histoire. Je ne fais pas la punition et je fais tout mon possible pour l’éviter. Intrigué, je fais ma petite enquête, mais un jour, alors que je n’y pensais plus, il me surprend et me demande des nouvelles de sa punition. Je lui réponds que je ne l’ai pas faite car (maintenant on parlerait d’alibi en béton), à ce moment-là j’étais dans ma famille en France. Il a dû se renseigner auprès de mes parents car, depuis ce jour-là, il ne m’a plus inquiété.

C’était Noël Mandron qui, un soir, protégé par la pénombre de l’escalier encastré de ma maison (vide, car nous n’étions pas là), avait fait des siennes avec quelques copains.


Madame Cure

Native de Noisy, née Garrigues, elle faisait partie d’une fratrie de neuf enfants. C’était la sœur d’Henri Garriques (Kiki) et donc la tante de mes copains Henri et René. Elle m’avait à la bonne, j’étais son chouchou. Quand elle a commencé à créer une petite bibliothèque, elle m’a associé à son projet. Je me souviens du premier livre Sur les traces du « Pourquoi pas ? », de Geneviève Dardel. Ma fille Mylène vient de retrouver ce livre sur Internet avec la couverture d’origine… quelle émotion ! Cela m’a fait un drôle d’effet.

Quelques années plus tard, en sixième, on m’a donné l’allemand en première langue ; j’ai quand même eu le choix avec l’anglais mais je suis resté en classe d’allemand à cause de son professeur, M. Mornand, qui était beaucoup plus sympathique. Bien entendu, mon père en était fier et avait vanté les mérites de son rejeton auprès de M. Cure (entre autres) qui était d’origine alsacienne. Celui-ci lui demanda si je pouvais lui écrire une lettre en allemand. « Mais avec plaisir ! » (tu parles !!!), et me voilà embarqué chez M. Cure qui habitait le logement de fonction de son épouse. Quelle galère… me voilà avec une plume et du papier à lettre à écrire sous la dictée de M. Cure. C’est bien joli d’apprendre une langue… mais il faut savoir son vocabulaire ! Enfin, bref, M. Cure a été obligé d’écrire lui-même sa lettre malgré son handicap (vue ou autre).


Monsieur Bulan

En remplacement de M. Sicard, est arrivé avec sa femme et sa fille Marguerite. Ah ! Marguerite avec son joli minois et sa queue de cheval ! C’était la première fois qu’on voyait une coiffure pareille. Comme Paulette de la chanson d’Yves Montant : « on était tous amoureux d’elle ». Je craignais M. Bulan car un jour, discutant avec mon père, celui-ci lui avait dit de ne pas hésiter à me corriger si je ne me tenais pas bien. Cela n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd et j’ai pris quelques taloches mémorables.

Un jour de janvier 1954, il est arrivé quelque chose d’unique à Noisy-les-Bains : il a neigé…

Nous étions dans la cour de l’école quand les premiers flocons ont commencé à tomber. M. Bulan, écourtant la récréation, nous fit rentrer en classe. Voyant que nous ne suivions pas bien son cours, nos regards étant sans cesse tournés vers les fenêtres pour admirer ces magnifiques papillons blancs qui virevoltaient en tombant, il eut la merveilleuse idée de tirer tous les rideaux qui servaient à plonger la salle dans le noir pour la projection de films ou de diapos en noir et blanc. Il pensait sûrement que son cours était plus important que la magnifique leàon de chose qui se passait à l’extérieur. Il faut dire que pour ma génération, c’était la première et dernière fois que l’on a vu tomber la neige à Noisy.

A la fin du cours il a tiré les rideaux et il y eut un « Oh !!! » unanime en voyant ce blanc aveuglant qui couvrait toute la nature. Cela ressemblait à une carte postale, tous ces « tacaos » (tamaris) du boulodrome pliant sous le poids de cette crème Chantilly immaculée. La neige avait cessé de tomber. Dans la cour, devant l’appentis attenant au portail d’entrée, à côté du poteau servant de support à notre « sation météorologique », nous avons érigé un bonhomme de neige autour duquel M. Bulan nous a rassemblés pour faire une photo qui a immortalisé cet événement exceptionnel.

Quelques temps plus tard, mon père lui a demandé pourquoi je n’étais pas inscrit pour entrer au lycée, il lui a répondu que, vu que j’étais fils de propriétaire, ce n’était pas nécessaire. J’ai été inscrit l’année d’après bien entendu, avec un an de retard.

Norbert Ségalas


(Source : Le Lien, bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy-les-Bains, n° 66, juin 2015)



 

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