Histoire avant 1848
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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 

UN CADEAU POUR RHASNIA

par Eliane Morin-Donat


 

Cette histoire vécue se passe chez Ernest Morin, dit Nénesse, son épouse Denise et ses trois filles Bertille, Colette et Eliane (les jumelles), à Noisy.

C’était en 1942 ou 43. Nous avions, Colette ma jumelle et moi, onze ou douze ans. Ahmed était un petit fellah, un petit propriétaire de quelques chèvres et moutons.

Ahmed avait une fille, Rhasnia, neuf ans, et une épouse, Fatima. Ils habitaient un douar à quatres kilomètres de Noisy. Ahmed avait pour habitude d’emprunter Bijou, le cheval de mon père pour labourer son champ le dimanche.

Je me souviens qu’il appelait mon père papa, tellement il l’appréciait.

Ce jour-là, un jeudi jour de marché, devant Colette et moi, Ahmed donna à mon père un paquet entouré de journal et ficelé.

Il lui dit :

-Papa, garde ça chez toi… je suis très malade, j’ai la maladie des poumons, je vais bientôt mourir ! Ce paquet, tu lui donneras à ma fille le jour de son mariage, si c’est un bon garçon pour elle…

-Donne plutôt ce paquet à ta femme, lui dit mon père.

-Non, j’ai grande confiance en toi, papa !

Après son départ nous avons ouvert le paquet… il était rempli de bijoux en or.

Deux ans plus tard, sa femme arrive chez nous en larme, avec Rhasnia : Ahmed venait de mourir, il avait trente-deux ans.

Les années passèrent et nous voyions chaque jeudi la mère et la fille venir au marché et nous rendaient visite, comme Ahmed le faisait auparavant. Le lien était toujours là.

Jusqu’au jour où Fatima nous apprit que Rhasnia allait se marier. Elle avait seize ans.

Mon père s’est renseigné sur le garçon. Il connaissait bien sa famille. C’était une famille honorable comme le voulait Ahmed.

Nous sommes donc allés au mariage mes parents et moi, car entre-temps Bertille et Colette s’étaient mariées. J’avais vingt ans et j’avais été désignée par mon père pour remettre le paquet à Rhasnia. Il y avait des bijoux arabes comme des mains de fatma, des boucles d’oreille et des joncs. Le tout en or.

Ce jour-là, dans une salle comble, il y avait des femmes qui chantaient et dansaient, et dans un coin la petite mariée cachée sous une grande fouta blanche. Sentant ma présence elle s’est tournée : elle était très belle.

Je lui dis en français :

-Rhasnia, ce paquet vient de ton papa.

Elle m’a regardée étonnée, elle ne comprenait pas assez le français.

Pendant ce temps mes parents expliquaient à Fatima l’histoire de cet or.

Trois jours après le mariage, la maman et la fille sont venues nous voir. Elles se sont prosternées devant mon père, le remerciant mille fois en lui prenant la main.

Grâce à Nénesse Morin a eu la dot de son père.

Depuis, je me suis mariée et j’ai su que notre petite protégée avait eu un bébé.

Aujourd’hui, soixante ans plus tard, Rhasnia doit avoir près de quatre-vingts ans et de l’or plein les yeux.

Eliane Morin-Donat


 

(Source : Le Lien, bulletin de liaison des enfants de La Stidia et Noisy-les-Bains, n° 67, septembre 2015)





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