Histoire avant 1848
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ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

TU VIENS, ON VA A LA PECHE ?

par Jean-Pierre Aldeguer

Dès les premiers jours du printemps j’attendais impatiemment ce moment où mon grand-père allait me proposer de partir avec lui dans sa vieille voiture. Je l’ai toujours connu avec une « vieille voiture », d’abord la Prima 4 puis la 2CV.

Nous aimions aller à la pêche tous les deux.

Arrivés dans la descente qui surplombait La Stidia il fallait regarder la mer et sentir le vent pour décider où nous irions nous installer.

Etait-ce au Petit port ? Là, dès le début du mois d’avril on pouvait prendre les premières « scipias » avec de vieilles espadrilles blanches pour les attirer et le « salabre » pour les prendre…

Ou bien, « en bas du rocher Puissambon », où par vent d’est les bancs d’aublades s’approchaient. Elles n’étaient pas grosses ces aublades (on disait les « daublades ») mais vigoureuses dans leur manière de mordre à la pâte et de se débattre !

Si la mer était calme on pouvait choisir d’aller à la Cuisine je la revois comme hier, cette « cuisine » ; l’amas de gros rocher construisait un abri sur le sable, une grotte  que traversaient les rayons de soleil et dans laquelle les petites vagues apportaient une fraîcheur douce, là c’était les mulets et les poulpes qu’on pêchait.

Par contre, si « la mer tapait » (quelle belle expression !) on se dirigeait entre La Stidia et Ouréah, je crois me souvenir que mon grand-père disait « derrière la cave coopérative » et avec ces mots me reviennent les effluves de moût fermenté qui planaient dans ces lieux lorsque les cuves étaient nettoyées.

Ou bien encore, si nous partions pour toute la journée nous nous dirigions vers la Plage Raynal. C’était de l’autre côté de La Stidia, on longeait les vignes sur un chemin de terre avant de surplomber cette petite crique, sa plage et ses rochers. Là on pouvait prendre le temps de poser les lignes pour les murènes, les rascasses ou les « tordeaux » et caler les lancers pour atteindre les dorades ou les « corbeaux ». Et en attendant que « ça morde », on allait s’attaquer aux « gabots » dans les trous, ou aux sars et « chalpas » qu’on pêchait à partir du rocher.

La Plage Raynal étais le lieu que je préférais. Il nous arrivait parfois de partir avec les oncles et les cousins pour deux jours. Le samedi après-midi il n’y avait que les hommes. Les grands plantaient la « guitoune » sur la petite plage, préparaient les lignes et le « bromèche », et les petits pêchaient des crevettes pour amorcer ou ramassaient les algues seiches qui serviraient de matelas pour la nuit. Puis on commençait à installer les cannes à lancer. Le soir tombait, on allumait les lampes à pétrole. « Cette nuit les gros vont rentrer » disait mon grand-père. Les gros, c’était bien sûr les poissons. Comme cette dorade qui avait dans sa bouche deux hameçons qu’elle avait cassés d’un précédent pêcheur ou cette raie qui, arrivée sur le « plateau » ―le rocher plat couvert d’une vingtaine de centimètres d’eau qui s’avançait dans la mer―, faisait claquer ses grosses ailes !

Ah, les nuits à la Plage Raynal !

Le dimanche matin les femmes arrivaient après la messe. Pour moi, obtenir d’être « avec les hommes » et de rater la messe était chaque fois une négociation délicate.

A leur arrivée, la caisse d’oursins était déjà prête et mon grand-père avait préparé le feu et la marmite où l’on mettait d’abord les crabes, quelques bigorneaux et « arapètes » pour le bouillon puis le poisson pêché, des pâtes ou du riz.

Après le repas on allait se promener sur la grande plage plus loin à l’ouest, je crois qu’on l’appelait la Plage forestière, pendant que les hommes faisaient la sieste. Il y avait tout au bout une petite source d’eau douce enfouie sous le sable, c’était à qui la trouverait le premier !

Quand on repartait le dimanche soir, les premiers virages de la côte de La Stidia m’entraînaient dans des rêves peuplés de murènes et de rascasses.

En 1973, j’ai eu l’opportunité de passer quelques jours à Mostaganem, et devinez quel fut le premier endroit qu’après Noisy j’ai souhaité revisiter : c’était la Plage Raynal !

Jean-Pierre Aldeguer



(Source: Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 8, septembre 2000)



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