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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie
UNE HISTOIRE VECUE A LA STIDIA PLAGE
par Gilbert Lardeaux
C’est un lieu commun de dire, d’écrire, ou de lire qu’une vie est jalonnée d’événements douloureux, malheureux, ou tout simplement surprenants.
En lisant l’un des deux articles écrits par J.P. Aldeguer dans le n° 8 du bulletin de liaison, je suis surpris et peiné d’apprendre la disparition de son oncle « Jeannot », de son père Robert et de sa tante Juliette.
Me remémorant quelques décennies en arrière, je revois Jeannot, jeune homme athlétique, dynamique, tonique et impulsif, bon footballeur ; Robert, que j’ai connu sur les bancs de l’école communale de Noisy, un garçon gai, gentil, sympathique ; enfin Juliette, qui était une belle jeune-fille. Mais que faire ? Mektoub…
L’autre article de Jean-Pierre, intitulé : « Tu viens on va à la pêche » est pour moi dans sa description, non pas une révélation mais une résurrection des jours heureux passés à La Stidia-Plage.
En effet je me revois, jeune, emboîtant les mêmes pas que lui, pour emprunter les mêmes sentiers de la côte ouest, parcourir les mêmes grèves, grimper sur les mêmes rochers, utiliser les mêmes criques. Par contre, je n’ai jamais eu comme lui la chance de déguster les fameux « caldéros » aux poissons, préparés sur la plage même.
Pourtant, parmi tant de souvenirs, me reviennent à l’esprit une anecdote de pêche liée dans le temps à un épisode tragique de guerre, et qui m’ont profondément marqué.
Ainsi, nous étions le 3 juillet 1940. Le 18 juin de la même année, l’armistice avait été signé entre le maréchal Pétain et l’Allemagne. Depuis quelques jours et comme les années précédentes, notre famille était installée pour un séjour de deux mois de vacances scolaires dans le modeste cabanon que nos parents possédaient à La Stidia-Plage (en descendant à gauche).
En 1940 j’avais 14 ans, mon frère Martial 12 ans, mon frère Roger 6 ans et mon petit cousin Francis 7 ans. Nos occupations journalières consistaient essentiellement à nous baigner et notamment à plonger et à nager sous la quille des barques multicolores, ancrées dans le petit port de la plage, et à pêcher, suivant l’état de la mer, les « tourdeaux », les « demoiselles » ou autres « girelles » par mer calme, ou à capturer par mer houleuse « mulets, « sars », « doblades », « tchalpas », etc. Dans la soirée, nous allions quelquefois « placer » des lignes de fond ; ces lignes, tout à fait rudimentaires, se composaient uniquement de quelques mètres de cordeau de pêche tendu par un plomb suffisamment lourds et agrémenté d’un gros hameçon pour « méros » (mérous).
A cet effet, le matin nous allions prendre dans les trous des rochers des « cabots » (espèce de muges) ou bien, si nous le pouvions, des poulpes pour servir d’appâts.
Dans la soirée, nous allions donc placer ces lignes de fond soit à l’est, soit à l’ouest de La Stidia-plage. S’agissant de la côte est, très rocheuse, nous allions à la hauteur du cimetière de G. Clémenceau ou même au-delà, vers Ouréah.
Nous choisissions, de préférence, des crevasses profondes de rochers sombres, qiui grondaient sous l’effet du flux et du reflux des vagues et qui nous paraissaient impressionnantes et mystérieuses car, éventuellement plus propices au refuge des gros poissons.
Mais ce soir du 3 juillet 1940, avec notre dizaine de lignes de fond appâtées uniquement de cabots pêchés le matin, à défaut de « latches » (grosses sardines) ou de tentacules de poulpe, mon frère Martial, mon petit cousin Francis et moi nous partîmes à l’ouest de La Stidia en empruntant « le chemin de terre longeant les vignes » indiqué par J.P. Aldeguer, poser nos lignes de fond dans les crevasses des rochers de « la cuisine » et des petites criques rocheuses, situées au-delà.
Subitement, alors que nous posions les dernières lignes, une canonnade se fit entendre en provenance de la mer ; surpris, nous portâmes alors nos regards sur le large et découvrîmes soudain, avec stupeur, un navire longeant le littoral à quelques milles marins et dont les superstructures à peine visibles étaient environnées de gros flocons grisâtres ou blancs qui tendaient à se rapprocher de la côte.
Nous avons pris peur, car nous pensions que ces flocons panachés étaient peut-être des corolles de parachutes et que des parachutistes étrangers, poussés par cette petite brise de nord-est, allaient bientôt nous tomber dessus et nous tueraient ou feraient prisonnier… Quelle frousse !
Très impressionnés, nous avons décidé de rentrer par la plage en nous hâtant d’un bon pas ou même en courant sur la grève, afin d’arriver au plus vite au cabanon.
Enfin, nous voici arrivés à destination, pas très rassurés malgré la présence de toute la famille. Mais, petit à petit, la canonnade s’atténua et le navire, avec son chapelet de flocons aériens disparut de l’horizon.
Alors, tout redevint silencieux, le crépuscule approchait et le soleil qui dardait ses derniers rayons sur une mer scintillante et irisée, alla bientôt, dans la splendeur d’un soir d’été, disparaître derrière Arzew.
Le lendemain matin, 4 juillet 1940, en relevant nos lignes de fond nous découvrîmes, ayant avalé un cabot appâté à un gros hameçon pour mérou, un magnifique sar de 1,500 kilos.
Quelle pêche miraculeuse et surprenante ! Prendre un sar avec une ficelle et un hameçon aussi gros !!! Mon père, qui nous conseillait toujours de pêcher « fin » pour surprendre les poissons n’en revenait pas, et moi non plus d’ailleurs ! A méditer, n’est-ce pas ?
Par contre, nous avons appris par la suite que le navire que nous avions aperçu dans la soirée du 3 juillet, en train de longer la côte avant de regagner le large, était le « Strasbourg », bâtiment qui, en filant vers Toulon, faisait feu pour se défendre contre les avions torpilleurs ou avions d’attaque du porte-avion britannique « Ark-Royal ». Il avait ainsi échappé à la tragédie de Mers-el-Kébir et au massacre parmi les 1 300 malheureux marins de cette pauvre escadre française, bloquée et détruite en grande partie, dans la rade d’une des ses bases nationales.
Gilbert Lardeaux
(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 10, mars 2001)
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