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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

LA RUE DES ECOLES A NOISY

par Jean-Pierre Aldeguer

Il y a des souvenirs, ancrés de génération en génération, au point qu’on ne peut savoir à qui ils appartiennent. C’est le cas, je crois, de tout ce qui touche à l’école.

Tenez, par exemple, il me semble qu’il suffit de prononcer le mot « école » pour que tous les habitants de Noisy évoquent immédiatement le nom de madame Cure.

Moi-même qui ne l’ait pas croisée souvent, c’est à elle que j’ai pensé en commençant cet article sur l’école de Noisy. Mon père, ma mère, mes tantes et mes oncles ont tant de fois cité son nom qu’il me semble qu’elle fut au village l’institutrice de tous, et ce depuis que Noisy existe. Je ne l’ai jamais eue comme institutrice mais je sais comment elle souhaitait que l’on apprenne les récitations ou que l’on écrive les majuscules. Tant de fois mon père me l’avait répété.

Afin que mon récit soit plus précis j’ai donc pris soin d’appeler son fils Charles au téléphone pour qu’il me parle de sa mère, c’est-à-dire de l’école de Noisy.

En l’écoutant je fermais les yeux, un moyen comme un autre de me laisser transporter.

Il me parlait de l’école des filles, et de celle des garçons.

Moi, je remontais la rue des écoles.

Ma mère m’accompagnait et avec nous les petits arabes qui habitaient le quartier. J’avais mal aux pieds ; après l’été, à marcher pieds nus ou en « chanclettes », il fallait se remettre à porter les chaussures neuves que nous avions achetées à Mostaganem. On oubliait la plage, on classait les jeux de l’été. Rangés pour l’année prochaine les noyaux d’abricots, on ressortait les billes et on préparait la toupie. Le sol des rues était encore tout collant du jus des raisins coulé des charrettes. Les vendanges venaient de se terminer.

« Quand les pampres de la vigne prennent couleur de terre et de soleil… », c’était la récitation favorite, le jour de la rentrée, de monsieur Lebrun, l’instituteur de l’école des grands, celui que l’on surnommait « latrache » parce qu’il était un peu sourd.

« Tu te souviens des oies de la forge de madame Castant ? » me demande Charles Cure. Bien-sûr que je m’en souvenais, même si dans ma jeunesse la forge n’existait plus. De mon temps, les fils Castant étaient devenus, je crois, marchands de matériaux de construction. Mais ces oies courant dans la rue et qui, de leurs cris et coups de bec, faisaient peur aux enfants je les ai toujours connues.

Pour Charles, les oies de madame Castant rappelaient le jardin de l’école et ces dahlias, ramenés d’Alsace par son père, mais que les palmipèdes dévoraient sans attendre la poussée des fleurs.

Il me parlait du préau de la cour des petits et moi je me souvenais des orangers de la cour des grands.

Puis Charles Cure m’interrogea :

-Et toi, qui avais-tu comme maîtresse ?

-Moi, elle s’appelait madame Garrigues. Je n’ai jamais oublié ce nom, ni son visage. Elle nous apprenait à nous laver les dents (un luxe à l’époque !) et nous emmenait en promenade en haut du village, derrière le cimetière. C’était en quelque sorte nos classes de nature.

-Mais madame Garrigue c’était ma tante, la femme de Prosper.

J’ai appris alors toute l’histoire des rapports entre l’école et la famille de la mère de Charles, les Garrigue. Etonnante cette aventure d’une famille qui eut tant de filles et de belles-filles institutrices (sa mère madame Cure, ses tantes, l’une en France, l’autre à Noisy, puis son épouse…) mais pas surprenant quand on se rappelle ce qu’a représenté l’enseignement : apprendre et accéder aux savoir pour partager le progrès et gagner plus de liberté.

J’ai gardé en mémoire les yeux de mon père racontant l’examen du certificat d’études. L’inquiétude, le soulagement, la fierté. « On savait que si on avait le certificat, on serait moins pauvres que nos pères. »

Pourtant l’école, à Noisy comme ailleurs, distinguait aussi les riches et les pauvres.

Il y avait ceux qui pouvaient aller au lycée Basset de Mostaganem ou à Lamoricière à Oran. Il fallait alors payer une pension. Et il y avait ceux qui restaient au village. Charles le reconnut, lui qui eut la chance d’aller au lycée.

C’est en 1960 que fut inauguré à Noisy la première classe de 6ème.

Le « Collège d’Enseignement Complémentaire » avait été construit sur l’ancien boulodrome. Monsieur Rodriguez et son fils, instituteurs à l’école des grands, en avaient la responsabilité et se partageaient mathématiques, français, sciences et anglais. Ils s’étaient battus de nombreuses années pour cette création de collège qui permettait à tous ceux qui ne pouvaient aller en pension de poursuivre des études.

Cette rentrée avait été pour moi pleine de tristesse. La quasi-totalité de mes copains « français » de CM2 étaient allés, eux en pension à Mostaganem ou à Oran. Nous restions trois enfants « non-musulmans » en classe. Je n’ai jamais oublié l’ardeur dépensée sans compter par messieurs Rodriguez, père et fils, pour nous donner, à tous, quelles que soient nos origines, envie d’apprendre. Montrer ainsi que nous étions comme les autres. A présent, lorsqu’il m’arrive de revoir les photos de classe et de me souvenir de Zohra, elle était la plus forte en maths, ou de Cheriff, lui c’était les dictées, le seul regret que j’aie est de ne pas être resté avec eux plus longtemps.

En compagnie de Charles Cure et de son épouse je n’ai pas vue l’heure passer au téléphone. A deux c’est parfois plus facile de remonter cinquante ans d’histoire ! Une génération nous sépare, et pourtant j’avais l’impression que nous avions eu le même âge, dans la même classe, rue des écoles à Noisy-les-Bains.

Jean-Pierre Aldeguer

(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 12, octobre 2011)



 

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