Histoire avant 1848
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ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

NOEL A NOISY

par Jean-Pierre Aldeguer

« Papy, raconte-nous Noël, quand tu étais petit en Algérie… »

Eh oui, nous qui sommes nés à Noisy dans ces années de l’après-guerre, « joyeuses et folles d’espérances », disait mon père (comme tous les jeunes de l’époque, libérés des chantiers de jeunesse ou de la guerre sur le continent européen, leur Algérie était à construire), donc, nous les enfants de ce baby-boum commençons à devenir grand-père ou grand-mère…

-D’abord, de mon temps en Algérie, on ne disait pas papy pu mamy. On disait pépère et mémère, ou pépé et mémé. Cette mode des mots qui se terminent en Y n’était pas encore arrivée dans mon village, tu sais, ce village dont je t’ai parlé et qui s’appelait Noisy-les-Bains !

-Mais papy, Noisy se termine aussi par un Y…

Les réflexions des enfants sont souvent pertinentes : pourquoi les premiers colons avaient-ils préférés donner à ce petit village un nom européen alors que le pays disposait de tant d’appellations plus originales ? [Jean-Pierre, tu aurais dû savoir qu’avant d’être appelé Noisy-les-Bains de 1886 à 1965, ton village avait été nommé Aïn-Nouissy lors de sa création en 1848, nom qu’il porta jusqu’en 1886, cf. notre rubrique « Nom de pays, noms de lieux »,ndlr]. Ma petite-fille sentit que j’étais perdu dans sa question.

-Tu me raconteras cela un autre jour, de toute façon, moi non plus, je n’aime pas t’appeler papy, mais parle-moi de tes Noëls là-bas.

-Mes Noëls à Noisy… Tout commençait lorsque les maisons se remplissait des premiers parfums de Clémentines et de mandarines, celles qu’on vient de cueillir sur l’arbre et dont la peau craquait en libérant des étincelles de parfum. Les petits garçons comme moi savaient alors que les fêtes approchaient.
Le premier jour des vacances, c’était la tradition, nous partions avec mon grand-père dans la forêt de la Macta, des terrains sauvages au bord de la mer, pour y chercher l’arbre de Noël. Nous l’avions déjà repéré, cet arbre, après les vendanges, lorsque nous allions poser des pièges à grives dans cette forêt, nous en profitions toujours pour repérer le sapin le plus beau, celui que nous viendrions couper plus tard.
Il fallait aussi penser à ramasser les mousses, les pierres et les écorces d’arbre qui nous serviraient à fabriquer la crèche. En rentrant, l’après-midi, c’était avec la grand-mère que nous décorions l’arbre.
Elle sortait de l’armoire sa boîte en carton dans laquelle elle avait rangé soigneusement, toute l’année, les petites feuilles de papier aluminium récupérées chaque fois que nous mangions du chocolat. Avec ces feuilles nous enrobions des noix ou des pommes de pin que nous attachions aux branches.
Pour finir, c’était le grand-père, sa taille le lui permettait, qui déposait l’étoile tout en haut de l’arbre et qui suspendait les guirlandes. Puis on s’attaquait à la crèche…

-Tu n’as pas connu, toi, la crèche vivante qu’avait organisé le curé Podesta au village…

C’est ma mère qui intervient dans mon histoire. Chaque fois que je parle de l’Algérie à mes petites-filles, elle vient vérifier mes propos, et elle ne peut pas s’empêcher de me ravir le rôle du conteur.

-Nous avions un curé, le curé Podesta, que nous aimions beaucoup… (elle fait là le signe de croix pour bien montrer à ma petite-fille son respect pour ce disparu). Une année, il avait décidé de faire une crèche vivante avec les filles et les garçons du patronage.

-Avec un vrai petit Jésus ? demande ma petite-fille.

-Oui, c’était un des fils Tabouret qui avait été choisi, il devait avoir deux ou trois ans. Je ne me souviens plus de son prénom car ensuite, au village, on ne l’a plus appelé que « le petit Jésus ». La Vierge… je crois que c’était Rolande Moullin… il faudra lui demander pour vérifier*.

-Et vous aviez des chameaux et des rois mages…

Ça y est, ma petite-fille est sur les genoux de ma mère. Ce n’est plus moi qu’elle écoute !

Dommage, j’allais justement lui révéler que ce qui m’inspirait le plus à Noël c’était les rois mages, et particulièrement Balthazar. Il faut dire qu’à Noisy nous ne connaissions qu’une famille de couleur, c’était Blanchette et son fils Salam, que mon grand-père appelait « chocolat ». Un jour en revenant du cimetière, leur famille habitait alors en haut du village entre le château d’eau et le cimetière, je l’avais vu devant une grande marmite qui fumait bon un mélange de cannelle et de poivre. J’en avais déduit qu’il fabriquait-là du chocolat. Ainsi, longtemps dans mon enfance, le roi noir Balthazar, celui que l’on mettait à la crèche le 6 janvier, et le fils de Blanchette représentèrent pour moi le mystère du chocolat : comment pouvait-on, à partir d’un fruit, fabriquer cette pâte si douce et si réconfortante.

Si je dis réconfortante, c’est parce que, loi des saisons ou hasard du climat, j’attrapais toujours une angine dans les jours qui suivaient Noël ; et là c’était la torture du badigeonnage [de la gorge] au bleu de méthylène : un manche de bois entouré de coton, imbibé d’une solution pharmaceutique, bleue ou rouge et qui, enfoncé dans la bouche venait gratter la gorge. Heureusement que, pour effacer douleur et nausée, je mettais toujours de côté un ou deux de ces petits « pères Noël » en chocolat offerts le jour de la fête.

-Dis-lui, à ta petite-fille, où elle était l’étoile du berger à Noisy ?

Ma mère a dû s’apercevoir que le bleu de méthylène me faisait toujours grimacer… Une grimace similaire à celles qui étaient les miennes quand après Noël il fallait abandonner les jouets pour retourner à l’école.

-Où était-elle l’étoile du berger à Noisy ?

Combien de fois, dans cette enfance passée au village, n’avais-je pas entendu la question posée à présent par ma petite-fille…

Car souvenez-vous, à Noisy, en hiver, l’étoile du berger, celle que la légende dit montrer le chemin aux égarés, celle qui d’après les textes sacrés conduit au paradis, était… oui, incroyable,… au-dessus de l’école du village.

Impossible alors de refuser le retour en classe !


 

Jean-Pierre-Aldeguer


 

*Un chocolat de Lyon sera envoyé à chacun des lecteurs qui se souviendra des personnages de cette fameuse crèche vivante, ainsi que de l’année où elle a eu lieu.


 

(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 17, décembre 2002)



 

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