Histoire avant 1848
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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 

DE MOSTA A FORNAKA… EN PASSANT PAR NOISY

Texte anonyme

Cet article paru en 1976 retrace un parcours onirique que l’on situera vers la fin des années cinquante. L’auteur anonyme, visiblement, connaissait bien la région.

Je me trouve au carrefour central de Mostaganem, près du monument aux morts de la guerre. Le soleil brille déjà, la journée sera belle. Devant « La Rotonde » et la Chambre de commerce et, en face, sur le square Queyrat, des jeunes et des moins jeunes se pressent qui vont à l’école ou au bureau. J’emprunte l’avenue Gustave-Jobert.

A ma droite, la villa et l’usine des cigarettes Jobert, puis le vieux collège des jeunes filles ; défilent encore la copropriété « La Pépinière », les splendides villas des Duseigneur et le dépôt de la Remonte qui devait devenir, un « jour prochain » devenu très lointain depuis, la gare des chemins de fer de Mostaganem.

Maintenant, sur ma droite, une vision de rêve dont je ne me suis jamais lassé : les champs de vignes se dorant au soleil, piqués çà et là de quelques taches sombres formées par de petits bosquets, descendent en pente douce jusqu’au bord de la mer et laissent apparaître ce joli coin connu de tous : La Salamandre.

Et nous voilà à Mazagran. La majeure partie du village se trouve sur la droite de le route nationale. Sur la gauche, légèrement en hauteur, l’église et la colonne qui commémore l’héroïque sacrifice du capitaine Lelièvre et de ses cent-vingt-cinq « lapins » [3-6 février 1840, ndlr].

Le village a gardé un cachet vieillot. Il me semble qu’il est toujours comme au début du siècle avec, en plus, mais sur son pourtour, quelques confortables villas. J’ai aujourd’hui affaire avec les Lafon Henri et Léon, les Leindeker, Martinez, Nestor, Pédeville, Vignau, Pujol Ferdinand et Adolphe, Assorin, Campillo, Delrieu, Jean Mathieu, Durieu, les forgerons Galliana et Sabatier, et d’autres que j’oublie. Un village sans histoire ce Mazagran, calme et reposant, qui vit un peu à l’ombre de la capitale voisine, se contentant à juste titre du souvenir glorieux laissé par le capitaine Lelièvre… mais n’oublions pas qu’il fut le théâtre perpétré contre le général Giraud [28 août 1944, ndlr].

Je quitte Mzagran, toujours par la Nationale Mostaganem-Perrégaux, qui borde à ce moment la belle vallée du Nadour, pour entrer bientôt dans un écrin de verdure. En effet, des deux côtés de la route, des arbres énormes et feuillus mêlent leurs branches et forment une très longue tonnelle jusqu’à l’arrivée à Rivoli.

Rivoli, un village que j’aime bien, tracé par le génie militaire, ses rues sont larges, droites, parallèles ou perpendiculaires. Son aspect a changé au cours des années 1930. Les vieilles maisons de colonisation ont disparu pour laisser place à des bâtisses modernes dont quelques-unes, comme les villas Desprès, Saurin ou Charpentier, témoignent d’un goût certain. La mairie elle-même a fait peau-neuve et dresse sa belle silhouette sur la place de l’église.

Mon meilleur souvenir est celui que m’ont laissé ses fêtes patronales, parmi les plus belles, sinon les plus belles, de tout l’arrondissement de Mostaganem. Elles étaient tellement fréquentées que les chemins de fer mettaient à la disposition du public mostaganémois des trains spéciaux qui arrivaient vers 20 heures à Rivoli pour en repartir vers 2 heures du matin, et ce en dépit des cars et des voitures particulières qui envahissaient toutes les rues du village. Quelle foule ! Quelle cohue ! N’empêche, on s’amusait bien.

Un autre souvenir, teinté de tristesse celui-là : ce sont les inondations que pendant longtemps Rivoli, construit dans une cuvette, eut à subir. Plus ou moins graves, elles étaient presque annuelles et les anciens gardaient un douvenir reconnaissant à M. Gonnard, leur ancien maire, qui, en 1903, se distingua lors d’inondations particulièrement dévastatrices.

Enfin ce dernier souvenir qui me vient du cimetière : parmi les tombes, les plus anciennes bien sûr, certaines portent dans l’épitaphe la mention « né à Paris (tel) arrondissement » et rappellent que Rivoli fut créé, en novembre 1848, avec la bénédiction de l’archevêque de Paris, par 71 hommes, 44 femmes et 82 enfants qui avaient quitté la capitale exactement un mois auparavant. En juin 1962 vivaient encore à Rivoli des descendants de ces pionniers comme les Haudricourt, Chavet, Saint-Upéry, Vignau, Graillat, Hamelin, etc.

Avant de quitter Rivoli je veux rappeler que le frère de notre directeur, M. Eugène Bellier, fut un temps le maire du village et que le colonel Rivory, commandant actuellement la base d’aviation du secteur de Nancy, est le fils d’un petit colon de Rivoli. Mais je veux aussi rendre un hommage particulier à la mémoire de M. Humbert Bourdiol.

Humbert Bourdiol, ingénieur agricole et esprit très curieux, avait appris qu’aux environs de Colomb-Béchar on cultivait des blés hâtifs, une variété de blé dur, une variété de blé tendre. Ces blés étaient moissonnés dès le début avril, juste avant que ne soufflent les vents chauds du sud ou que n’arrivent les nuages de sauterelles. Bourdiol vit tout l’intérêt qu’il y aurait à acclimater ces variétés de blé dans le Tell. C’était en 1919, il revenait de la guerre. Avec persévérance il se mit à l’ouvrage et il n’eut de cesse jusqu’à la réussite. En 1934 il pouvait semer des blés hêtifs à Rivoli, l’année suivante on en semait un peu partout dans le Tell, à la grande satisfaction des agriculteurs. Ces blés furent appelés « Florence Aurore » mais, pendant longtemps, ils furent connus sous le nom de « blés Bourdiol ».

Je quitte Rivoli pour Noisy-les-Bains par une route qui sent l’opulence : vignobles partout que coupent de grands bâtiments d’exploitation, de belles maisons de maître sous des frondaisons, « L’Ecole au soleil » qui abrite des enfants à la santé délicate.

Et puis tout à coup, la plaine des Borgias. J’amorce la descente qui ne cessera qu’à l’entrée de Noisy. Noisy est dit « les Bains » à cause d’une source d’eau chaude ferrugineuse fréquentée par bien des gens de la région. Un village riche, comme ceux d’alentour mais qui ne s’est pas consacré à la seule culture de la vigne ; on y cultive de tout, on y fait même de l’élevage. On peut dire que les Hernandez, Lescombes*, Desgarnier, Morin, Savournin, Desprès*, Ducousso, Ségalas, Thurin, Lafabrègue, Moullin-Traffort, Haudricourt*, Langlois, Combernous* [les noms suivis de * indiquent plutôt des familles installées dans les villages environnants, ndlr], etc., ont su mettre en valeur cette terre pourtant difficile par endroit à cause de sa salure.

Mais Noisy-les-Bains ne se contente pas des produits de la terre. On y est industrieux, outre des forgerons habiles comme Roos, Castant ou Caralp qui fabriquent ou réparent le matérirel aratoire, on y trouve une importante tuilerie et, tout près du village, une énorme carrière de pierre calcaire bleue, très dure qui fait un excellent macadam.

Je poursuis ma tournée et je vais jusqu’à Fornaka distant de neuf kilomètres aux confins des Borgias, un village qui ne date que du début du siècle [en fait 1888, ndlr]. En effet, ce sont les enfants des colons des villages voisins qui, devant les difficultés rencontrées alors par leurs parents, sont venus défricher ces terres gagnées en partie sur les marais de la Macta et créer ce centre.

Il faut leur rendre hommage : ils ont beaucoup travaillé et ils ont bien réussi. Dans une terre noire, dessalée par drains, ils ont planté de la vigne, des oliviers, des orangers et n’ont pas négligé les cultures potagères.

Ce village tracé au cordeau donne une impression de grand calme. Les gens travaillent en silence et la circulation est quasiment nulle. Aussi ne suis-je pas surpris d’être accueilli par le tintement du marteau sur l’enclume de la forge Danner, à moins que ce ne soit celle de Banos ou de Bourguignon. J’en ai l’habitude.

Et quand j’aurai visité quelques colons du cru, les Clementz, Brun, Haudricour, Lafon, Laurent, Gugès, Sirjean, Lorenzo, Pomarès, Ramond, Vuillaume, Morand et d’autres, je rentrerai à Mostaganem, satisfait de mon travail et de ma promenade dans une région fort agréable…

J’égrène des souvenirs et je me sens tout-à-coup entouré d’ombres. Comme tout me paraît loin, loin. Mais sont-ce bien des souvenirs ? je me le demande. Tant de gens et de choses ont disparu, Rivoli lui-même n’est plus, il y a maintenant Hassi-Mamèche, et Noisy-les-Bains a cédé la place à Aïn-Nouissy.

Autant en emporte le vent !

A. B.


 

(Source : ce texte a été publié dans L’Echo de l’Oranie, n° 21, octobre 1976 ; repris dans le Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 26, mars 2005)



 

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