Histoire avant 1848
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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie


 

L’ACCIDENT

par Norbert Ségalas

Dans les années 1950 j’avais de 8 à 12 ans.

Ce jour-là, je suis parti de la maison avec mon vélo flambant neuf (Hirondelle, de chez Manufrance), pour aller voir Yves Torrès et lui porter les devoirs que la maîtresse m’avait confié, car il n’était pas venu à l’école depuis quelques jours.

C’était l’heure de la sieste, et j’allais donc à son domicile situé en face de la place, dans la rue Edouard Herriot. Cette rue partait de la maison Marcel Lamoise (qui deviendra par la suite la pharmacie Decori), puis celles des familles Torrès, Zimmermann, Gallet, Camusat, Savournin, Bart avec l’église en face.

Après avoir pris des nouvelles de Vivi (Yves Torrès) et discuté un bon moment, je décide de redescendre chez moi. J’enfourche ma bécane et fonce dans la rue déserte.

Je fais comme les coureurs cyclistes quand ils traversent un village, mais eux ils bénéficient de la protection des gendarmes qui bloquent la circulation à chaque coin de rue, et sans prendre garde, d’un seul élan je traverse le carrefour formé par les angles de la place, la maison Lamoise, le café de Prosper Garrigues, qui sera tenu plus tard par Maurice Corbobesse, et la mairie.

Soudain je ne vois rien, je n’entends rien, je ne sens même pas le choc. Pendant une seconde j’ai une formidable sensation d’apesanteur, puis cinq ou six mètres plus loin le contact avec la bordure du trottoir du jardin de la mairie. Je rebondis comme un ressort, je n’ai mal aucune part et vite, je cours ramasser ma bicyclette. Mais pas moyen de la tirer, en effet elle est sous la roue avant gauche d’une grosse voiture noire.

Inconscience de gosse… je tire fort sur le guidon du vélo prisonnier en pleurant et en criant : « Mon vélo… ! Mon vélo ! »

C’est à ce moment-là que je vois le conducteur du véhicule, un « vieux » monsieur, les deux mains à plat sur le volant, immobile, le regard fixe droit devant, le visage blancs comme une robe de mariée, un chapeau mou vissé sur la tête, et sur la banquette arrière, deux femmes chapeautées, les mains devant la bouche, derrière leurs voilettes, complètement effarées.

La rue, déserte auparavant, grouille de monde, ça rapplique de tous les côtés, des femmes m’entourent, quelqu’un dit : « Il a rien, mais il faut le faire boire ».

Je suis embarqué illico presto, au plus près, chez la douce Marinette Corbobesse. Je me retrouve assis dans la cuisine, et je me souviens encore de la nappe vichy à carreaux roses qui recouvre la table où je suis accoudé. Marinette m’apporte un verre plein, je déguste, c’est ma première anisette, ça ressemble un peu à « l’élixir parégorique », mais en plus doux.

Personne n’a rien vu, mais tout le monde raconte comment ça s’est passé.

C’est Vincent Gomez (dit Tchitcha ou P’tit Poulet) qui me ramène à la maison.

Ma mère est en train de discuter avec sa voisine Eléonore, la femme de François Herrero, et Tchitchat qui me tient par la main leur dit :

- Il a eu un accident, une voiture l’a renversé…

- Mais qui ça ? demande ma mère.

- Mais lui, dit-il en me désignant.

Elle rigole et ne veut pas le croire, vu que je n’ai même pas une égratignure. Elle comprendra quand, dans l’après-midi, Vincent lui apportera le vélo.

Norbert Ségalas



 

(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 25, décembre 2004)



 

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