ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie
LES MOTS POUR LE DIRE
par André Corbobesse
PREAMBULE
Le récit que je vous propose, ci-après, sous le titre « Les mots pour le dire », rappelle un épisode douloureux de notre existence que, malheureusement, avant ou après nous, d’autres infortunés sur la planète ont eu aussi à connaître et connaissent encore (Darfour, etc.).
Je veux parler de l’exode qui, pour la plupart d’entre nous, s’est produit en 1962.
A cette époque, j’avais terminé ma formation d’enseignant et, après une période que je qualifierais de probatoire sur un poste réputé comme affectation de « choix » : l’école de la Cité Foncière, à Mostaganem/Tijdit, au cœur de la ville arabe (récompense administrative, m’avait-on assuré, pour sanctionner mes bons résultats tout au long de la formation, cela ne s’invente pas), j’ai été affecté à l’école des Ouled-Hamdane, ancienne section territoriale de Noisy-les-Bains, promue au rang de commune de plein exercice au début des années soixante.
Cette école, qui comptait deux classes, se situait sur la route d’Aïn-Sidi-Chérif, à environ trois kilomètres de Noisy-les-Bains, trottoir de gauche, si je puis dire, dans le sens de progression vers Aïn-Sidi-Chérif. Les locaux scolaires, constitués de modules métalliques préfabriqués, jouxtaient la mairie qui, elle, était construite en dur. En arrière-plan, mais à proximité immédiate, un bosquet d’eucalyptus nous accueillait, mes élèves et moi, dès le début du mois de juin, aux heures où le soleil chauffait la tôle à blanc, transformant les classes en étuves. J’y ai enseigné à deux groupes de 45 élèves pendant trois ans, depuis la rentrée scolaire de 1961 jusqu’à juin 1964, date de mon rapatriement et de mon installation dans la bonne ville de Pau, ma résidence actuelle, dans le département des Pyrénées Atlantiques.
En 1962, en effet, plutôt que de céder à la panique générale, j’ai délibérément pris de la distance avec les « événements » en concluant avec le ministère de l’Education nationale français un contrat qui me maintenait sur place, au poste cité plus haut, pendant deux années à compter de la rentrée scolaire de septembre 1962. Cette disposition, tout en m’assurant des moyens de subsistance, me permettait de préparer mon rapatriement dans la sérénité. La présence d’une cellule familiale sur le territoire a, à l’évidence, facilité ma décision dans ce sens.
C’est donc comme observateur affligé mais résigné que j’ai assisté au départ de ceux qui désormais répondaient à l’appellation de « Pieds noirs », nom que je récuse, tant je suis persuadé que ma nationalité française ne s’accommoder d’aucun autre qualificatif, assurément discriminatoire.
Ainsi, à mesure que se vidaient les maisons et que, par un effet d’aspiration, elles se remplissaient de nouveaux locataires, le village de Noisy, portes et volets clos en permanence, prenait des allures de localité sinistrée ; spectacle assez démoralisant pour nous, au début, jusqu’à ce que nous assimilions la nouvelle donne politique et que nous trouvions notre place dans le nouveau contexte…
Il n’y avait aucun danger à circuler dans le pays, et la poignée des nôtres qui avait pris les mêmes orientations que moi, s’organisait tant bien que mal dans la pénurie et dans un relatif isolement.
Sur le plan social, la convivialité s’était renforcée dans nos rangs, surtout à l’occasion des fêtes. J’ai le souvenir du jour de Noël 1963 où mes oncle et tante avaient préparé un repas traditionnel auquel étaient conviés Louis et Jeannette Ségalas ainsi que la famille Amoros, dernier directeur de l’ex-briqueterie Végéhan.
Dans le courant de l’année, les fins d’après-midi, les quelques hommes encore présents se réunissaient, selon la coutume, pour discuter des difficultés du moment tout en disputant une partie de pétanque, non plus sur la place publique, mais sur le terre-plein du pont-bascule de la cave coopérative. Quant aux dames, privées des occasions de rencontre qu’offraient traditionnellement les offices religieux, elles échangeaient les dernières nouvelles autour d’un thé ou d’un café, une fois chez l’une, une fois chez l’autre. L’église, en effet, n’avait plus de prêtre titulaire et l’évêché avait ordonné le transfert du mobilier, des statues et divers autres ornements vers des paroisses d’Afrique Noire.
Pour ce qui est des jeunes de l’époque, dont je faisais partie (ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, hélas !), nous nous comptions exactement sur les doigts d’une main : Yvan, Jocelyne et Céline Morin, Ferdinand Repelin et moi. Les deux premiers formaient déjà un couple légitime ; les deux suivants commençaient à envisager sérieusement de faire route ensemble.
Souvent, après le dîner, Ferdinand et moi nous retrouvions à mon domicile, et nous parlions de nos perspectives d’avenir jusqu’à une heure avancée de la nuit. Après quoi, je le raccompagnais jusqu’au carrefour de l’atelier de Thomas Martinez où nous nous séparions, et le lendemain, tout recommençait.
Bien sûr, c’était un peu la routine, mais l’instant était si particulier, pour ne pas dire exceptionnel, que, le sentiment de vivre une expérience unique désactivait toutes réactions qui, en situation normale, auraient engendré stress et lassitude.
Parmi les moments forts, ce repas que Céline, Ferdy et moi avons partagé – une tranche de pur bonheur dans un quotidien sans relief – auquel participait aussi Marie-France Morin, dont c’était le dernier passage à Noisy, et qui s’était montrée particulièrement en verve ce jour-là.
Malgré la gravité de l’heure et sans perdre de vue les drames et les misères dont les échos nous parvenaient de France et qui nous attristaient profondément, j’ai gardé un souvenir nostalgique de cette période qui nous offrait de tels instants de fraternité.
Après ce rapide exposé de la situation qui prévalait à l’époque, j’espère avoir répondu par avance à l’interrogation de ceux qui ne comprendraient pas pourquoi, dans la première partie du texte qui suit, je me situe délibérément hors de la mêlée.
Ce préambule a été rédifé à la demande de Maurice Langlois, notre dévoué rédacteur en chef, sous le double prétexte que :
Bonne lecture à tous
§§§
L’Algérie que nous portions dans nos cœurs, après cent trente années d’arrimage à la France, rompait ses amarres.
Le vent de l’Histoire qui soufflait en tempête sur les rives méridionales de la Méditerranée, depuis la sanglante Toussaint de 1954 jusqu’à ce funeste mois de juin 1962, rabattait encore et toujours vers les ports métropolitains tout ce que les flottes marchandes et touristiques comptaient de navires et d’avions disponibles, chargés à ras le bord de compatriotes désespérés.
Une valise à la main pour unique bagage, ces derniers laissaient derrière eux, éclaboussés de soleil, les tombes des aïeux, fièrement érigées sur ce sol ingrat qu’ils avaient abreuvé de leur sang, de leurs larmes et de leur sueur et qu’ils parvinrent, après des vies d’efforts, de souffrances et de privations, à arracher aux marécages, aux touffes d’alpha et aux palmiers sauvages.
Dans le recueillement, minés par le douloureux sentiment d’abandonner leur âme au diable, ils avaient refermé sur ce laborieux passé les volets et les portes de leurs habitations que d’autres, après leur départ, s’empresseront d’ouvrir sur un nouveau destin.
La Méditerranée elle-même, dont le ressac continuait, imperturbable, à franger le rivage ; elle qui les berçait naguère de sa respiration régulière et apaisante, ne refermait-elle pas sans scrupule sur leurs pas sa frontière d’écume ?
Tandis qu’ils s’écartaient du quai dans le grondement des moteurs, le claquement des chaînes et le mugissement des sirènes, les yeux noyés des larmes de l’adieu, les tripes tourmentées des mêmes remous qui, sous l’action des hélices, faisaient bouillonner les eaux glauques du port, ils ne pouvaient comprendre que cette terre, qui vibrait encore des cavalcades, des rires et des cris joyeux de plusieurs générations d’enfants de leur lignée, et sur laquelle, cœur, corps et âme, ils se sentaient enracinés, puisse, cruelle marâtre, les renier et les rejeter, sans le moindre signe de reconnaissance.
Très vite hors de portée de la rumeur du port, le regard pathétiquement rivé à la terre natale qui inexorablement prenait ses distances, ils s’imprégnaient une ultime fois de l’odeur du sol surchauffé ; de cette lumière intense et frémissante qui répandait sur les flots sa poussière d’étoiles ; de la courbe familière des collines enveloppés dans leur voile de brume ; de la cascade des toits incandescents qui s’étageaient au-dessus du port et d’où jaillissait, par endroit, le toupet d’un palmier, la flamme d’un bougainvillier, la flèche d’une église… Tous ces petits riens qui constituaient le cadre des jours heureux.
En route pour le hasard, hommes, femmes et enfants de tous âges, blottis les uns contre les autres, figés dans leur mutisme et soudés dans une étroite communion de pensée, tous redoutaient l’instant fatal où, la ligne d’horizon franchie, le flot engloutirait leur Eldorado qui n’avait, en fait, jamais été qu’une chimère.
Innocentes victimes des convulsions d’un monde en perpétuelle révolution, ils étaient balayés par cet étrange raz de marée qui aspirait vers le large toutes les forces vives du pays, après qu’une formidable déferlante eût violemment ébranlé les rapports entre les communautés.
Nous fûmes quelques-uns, étrangers désormais au pays qui nous vit naître, à avoir pris un délai de réflexion avant de nous résoudre, à notre tour, à sauter dans le vide.
Relégués au rôle d’observateurs, nous assistions désarmés, à la désintégration de notre société, à la confiscation de nos biens, au démantèlement et à l’effondrement d’une économie dont nos aînés avaient été les nobles et courageux promoteurs.
Dans le village aux volets clos, chaque départ relançait les spéculations au sein de la population indigène. Et chacun d’anticiper les prochains mouvements, car aux plus rapides échoyaient le privilège de s’installer dans les maisons désaffectées des « roumis ». A ce jeu de chaises musicales, s’attisaient les convoitises et s’accumulaient les frustrations. Dans la frénésie ambiante, certains, pressés de se servir, n’attendaient même pas que l’habitation convoitée soit libérée pour visiter les locaux, souvent la nuit, et affirmer leur droit de préemption.
Les cérémonies de célébration de l’Indépendance terminées, inconscient du changement radical qu’impliquait le résultat des urnes, le nouveau peuple souverain, comme un seul homme, s’en retournait au Moyen-Age.
Alors, et alors seulement, pointèrent sous les burnous les premières interrogations : les Européens partis, qui seront les nouveaux maîtres ? Et qui paiera désormais les salaires ?
Dans la masse populaire, cependant, nombreux étaient les besogneux, exclusivement préoccupés de leur subsistance, qui n’avaient assimilé ni l’événement, ni ses conséquences. Ceux-là ne doutaient absolument pas que, la fête terminée, ils reprendraient leur service « comme avant » chez leurs anciens patrons européens, dont ils ne pouvaient concevoir qu’ils aient pu quitter définitivement le pays en abandonnant tous leurs biens.
C’est dans ce climat social plein d’incertitude et lourd d’inquiétude, où se profilaient déjà les premiers signes d’obscurantisme que, mieux informée et plus chanceuse, la seconde épouse du vieux Salem, avait réintégré – mais pour combien de temps encore ? – son poste de femme de ménage au service de mon oncle et ma tante, derniers membres de ma famille à se maintenir, avec moi, sur le territoire.
Avec Kheira, les discussions ne manquaient pas de sel. Son aptitude aux formules lapidaires, qui résultait de ses grandes lacunes en expression française, conférait à son langage une force comique irrésistible.
Elle arriva, un matin, l’œil fulminant et la mine aussi sombre que sa peau était noire. Contrairement aux usages, sa foutha (fichu) négligemment jeté sur le dossier d’une chaise, elle écourta les traditionnelles salutations et entreprit aussitôt de traquer la poussière d’un geste brusque qui ne lui était pas coutumier. Son visage crispé révélait une forte tension intérieure. En proie à je ne sais quelle contrariété, elle s’accordait de courtes pauses à maugréer, les yeux perdus dans le vague, ses doigts pétrissant nerveusement sa chamoisine, n’ayant même plus conscience de ma présence, du moins le pensais-je.
Après quelques instants d’observation, comme je l’invitais à m’exposer les raisons de son agitation, elle manifesta une certaine surprise de me trouver là et, de sa voix naturellement douce, avec un sourire amer, me fit comprendre que ma famille et moi n’avions aucune part dans les difficultés qu’elle rencontrait et qu’elle était seule à devoir résoudre.
Malgré le renversement de nos positions respectives, consécutif au nouveau contexte politique, je me hasardai, pour forcer sa confidence, à lui proposer mes services, pour autant que mon statut d’enseignant m’accordât encore quelque crédit auprès des autorités locales.
Elle fut sensible à ma sollicitude et s’empressa de me révéler que « l’Rahli », le nouveau magistrat autoproclamé de la nouvelle commune d’Aïn-Nouissy, avait ordonné une visite détaillée du lot d’habitation – jusqu’alors la propriété de ma famille – qu’elle avait, de sa seule initiative, récemment investi avec les siens, par suite du départ des locataires européens.
Cette inspection, fondée sur un afflux de demandes de logements à la mairie, visait à vérifier qu’il y avait bien place ici, comme auparavant, pour plusieurs foyers. Mais Kheira, qui, jusque-là, n’avait connu que les affres de l’exiguïté et de promiscuité, rejetait catégoriquement toute éventualité de partage.
Réalisant mon imprudence, j’engageai aussitôt un discret repli stratégique et l’appelai à considérer qu’en l’occurrence, il n’y avait pas plus mal placé que moi, qui venais d’être dessaisi de ce bien, pour effectuer une démarche en sa faveur auprès du maire.
Elle en fut d’autant plus décontenancée que le concept d’ingérence lui échappait totalement. N’ayant probablement pas d’autre appui à espérer, elle se lança alors, par dépit, dans une violente diatribe en arabe, fustigeant vertement le maire et sa clique, dont elle dénonçait avec véhémence les coups bas et les sombres manœuvres pour s’approprier ces locaux. Mais, faute de preuves tangibles pour étayer ses accusations, elle se trouva rapidement à court d’arguments.
Nullement résolue, pour autant, à laisser l’avantage à l’adversaire, elle reprit aussitôt sa croisade et, après une profonde inspiration, les yeux exorbités, les mains grandes ouvertes et projetées en avant comme pour repousser le djin (démon), elle libéra son diaphragme par ces mots qui lui vinrent à la bouche comme une vomissure et qu’elle proféra, les dents serrées, comme une malédiction : « Moi, j’t’emmerde, moi, l’Rahli, moi ! »
L’intensité de son expression, qui laissait augurer des représailles musclées, était en tel décalage avec son propos que, même appuyé, ce jet d’acide me parut insignifiant, voire puéril. La montagne, comme dans la fable, accouchait d’une souris.
Me souvenant alors d’une célèbre réplique de notre répertoire littéraire : « Qu’en termes choisis ces choses-là sont dites ! », j’eus la plus grande peine à tenir mon sérieux.
Convaincue, pour sa part, d’avoir porté un coup fatal à son édile, Kheira s’étonna de ma mine enjouée, qu’elle interpréta comme un manque assez décevant de compassion et qui eut pour effet immédiat de stopper sa colère « blanche » (si je puis m’exprimer ainsi).
Occultant un instant la gravité d’une situation qu’elle savait désespérée, elle s’avisa de me demander de justifier mon attitude. Mais elle n’obtint, pour toute réponse, qu’un grand éclat de rire auquel, malgré sa résistance, elle dut succomber à son tour. Et la discussion prit fin, faute de pouvoir, d’un côté comme de l’autre, articuler le moindre mot.
Les mois qui suivirent prouvèrent que ses alarmes n’étaient pas fondées, tout au moins jusqu’à la date de mon départ.
Quand, après les mois d’hiver, dans une profusion de senteurs végétales, éclot enfin le printemps, dans la venelle qui séparait l’orangeraie de Gaby Morin de la propriété Meilland/Vuillaume et qui conduisait, sous une voute de roseaux, jusqu’à la cave coopérative, vint à passer Hammou, le plus jeune fils de Kheira.
Pris d’une pressante envie d’uriner, le gamin, qui pouvait avoir cinq ou six ans, s’assura qu’il était bien seul, comme on aime à se sentir en pareille circonstance, et déboutonna sa culotte. Il en extirpa avec précipitation son petit pipeau d’ébène, qu’il s’amusa à manipuler comme une lance à eau. Sous l’effet de la pression, il libéra avec soulagement un jet cristallin qui décrivait, au gré de sa fantaisie des figures aériennes avant de retomber en un léger clapotis dans le flot qui empruntait, depuis le grand bassin, le dédale busé du réseau d’arrosage des jardins qui ceinturaient cette partie du village.
Les yeux et les oreilles aux aguets pour ne pas se laisser surprendre en si délicat exercice, l’innocent ne prit garde aux allées et venues d’une escouade de frelons dont le bourdonnement se confondait avec le bruissement des roseaux que la brise agitait au-dessus de sa tête.
Ces créatures de l’enfer s’activaient à construire leur nid à l’encoignure de la vieille bâtisse, dite « de colonisation », qui délimitait, à l’ouest, l’ensemble immobilier qui constituait la résidence Meilland/Vuillaume.
Courageux à son insu, notre petit personnage continuait, jusqu’à épuisement de sa réserve liquide, à jouer avec insouciance de son instrument lorsqu’un frelon vint se poser à son extrémité. Séance tenante et sans ménagement, l’insecte, qui créa la panique, fut évacué. Il eut néanmoins le temps, avant de s’envoler pour sonner l’alerte au sein de sa colonie, de planter son dard dans les tendres tissus, remplissant les corps caverneux de son redoutable venin.
Les hurlements du malheureux enfant durent s’entendre jusqu’à l’autre bout du village.
Alerté par ces cris de détresse, je mis le nez à la fenêtre et ne vis rien d’autre qu’une pitoyable petite silhouette noire qui détalait en pleurant, une main coincée entre les cuisses, l’autre battant l’air frénétiquement pour exorciser le mal. A chaque inspiration, il appelait son père à l’aide : « Yaaa bouya khaïk !... Yaaa bouya khaïk !... ».
La peur au ventre, il rejoignait à fond de train son domicile, en criant aussi fort qu’il sentait s’amplifier la douleur et, subséquemment… enfler son appendice.
La semaine suivante, lorsque Kheira reprit son service, je m’enquis des nouvelles de la petite victime dont, jusqu’alors, je présumais qu’elle avait, par suite d’une querelle avec un camarade, pris un mauvais coup, au mauvais endroit.
Avec toute la pudeur d’une mère, elle me fit un compte-rendu détaillé des circonstances du sinistre et me précisa que l’enfant avait passé une première nuit très agitée, malgré les soins qui lui avaient été immédiatement prodigués. Puis, au fil des heures et des jours, les remèdes aidant, l’effet « viagra » s’était atténué jusqu’à didparaître.
Et de célébrer la mansuétude d’Allah pour avoir sauvé l’essentiel : « El ham doullila ! » (Dieu soit loué !)
En clair, la petite flûte, dont le divin Mozart célébra dans une œuvre immortelle le pouvoir enchanteur, n’était pas endommagée ! dans sa vie d’homme, le petit Hammou pouvait donc légitimement espérer s’envoyer en l’air et atteindre lui aussi au septième ciel.
A l’évidence, cela valait une action de grâce.
L’évolution favorable de la santé du gamin autorisant un ton léger, le propos tourna vite à la plaisanterie. Ce qui me permit de taquiner Khéira :
-Vous alors, les arabes, vous êtes étonnants ! Quoi qu’il arrive, c’est toujours : El ham doullila !
-Malek ? (Quelle mouche te pique ?), me demanda-t-elle d’un air détendu bien que, un tant soit peu, sur ses gardes.
-Je comprends que tu remercies Allah de te tirer d’une salle affaire ou d’un mauvais état de santé. Mais, explique-moi pourquoi c’est encore « El ham doullila » lorsque, après avoir bien mangé, tu rotes ou pètes bruyamment ?
Offusquée, Khéira m’interrompit tout net avec véhémence : « Ah, non, non, non, ti dis pas ça ! Pour « rote », oui, mais « pète », non !
Le poète disait : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement
Et les mots pour le dire vous viennent aisément. »
André Corbobesse
(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 35, juin 2007)
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