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Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
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TATAOUINE

par Norbert Ségalas

Je me souviens, alors âgé d’une dizaine d’années, quand j’allais voir ma grand-mère Maria. Elle me recevait toujours avec joie et me faisait goûter des choses que je ne trouvais pas ailleurs…

Un exemple : Elle mettait une petite poignée de maïs (petits, rouge et pointus, qu’elle faisait pousser dans le jardin face à la maison de Gilles et Christian Hernandez) dans une casserole sur le feu ; quand les crépitements s’arrêtaient, elle retirait le couvercle et là, sous mes yeux émerveillés, je pouvais contempler cette casserole pleine à ras bord de petites « edelweiss » immaculées. Un peu de sucre en poudre par-dessus, et je me régalais !

Importé d’Amérique, le mot « pop corn » ne se révéla que bien plus tard.

Ensuite, j’allais dans le mystère de sa chambre, toujours dans la pénombre pour garder la fraîcheur. Sur la commode, au milieu d’objets usuels, un réveille-matin posé sur le verre et non sur ses pieds (il ne pouvait fonctionner que dans cette position !) et un grand miroir à glace avec tout autour, coincées entre le verre et le bois, des photos et des cartes postales.

Une carte postale m’intriguait particulièrement, elle représentait dans les coins du haut, deux magnifiques blattes avec écrit en son centre, sur un paysage d’oasis : « La Tunisie, le royaume du cafard ». Mémé me dit alors : « ça c’est quand ton grand-père était à Tataouine ! » J’ai compris plus tard que le mot « cafard » était à prendre à double sens, vu les conditions de vie des pensionnaires de Tataouine !

De son vrai nom « Foum Tataouine » (la gueule du caméléon), c’était une des dernières villes tunisiennes à l’orée du désert où était cantonné un bataillon d’infanterie légère d’Afrique (Bat’ d’Af’). Le dictionnaire nous dit que c’était un bataillon disciplinaire où étaient incorporés des délinquants.

Toute ma vie je me suis demandé pourquoi mon grand-père Pierrou avait fait un séjour à Tataouine. Qu’avait-il fait pour mériter le bagne, et pour paraphraser Molière : « Mais que diable avait-il été faire dans cette galère ? » (Les Fourberies de Scapin, scène VII).

La seule chose que je savais, c’est que Pierrou avait fait Tataouine, et qu’il était revenu avec un tatouage sur la poitrine que personne n’avait jamais vu, même pas ses enfants, excepté sa femme et ses docteurs (comme aurait dit Georges Brassens).

Il m’a donc fallu attendre jusqu’à l’an 2000, donc plus de 80 ans après les faits, pour que ma curiosité soit enfin rassasiée. C’est ma tante Emilienne, femme de mon oncle Pierrounet (qui fête ses 95 ans aujourd’hui même, et qui a toujours bon pied, bon œil) qui m’a raconté le fin mot de cette histoire, qu’elle tenait de la bouche même de ma grand-mère Maria…

Voilà ce qu’il s’était passé :

Pendant la première guerre mondiale, mon grand-père avait été mobilisé comme tant d’autres, et avait participé à cette guerre de tranchées qui n’en finissait pas. Sa compagnie était commandée par un capitaine très dur, aussi bien envers lui-même qu’envers ses hommes. Un jour, lors d’un assaut, le vaillant capitaine à la tête de sa troupe, trouva la mort, fauché par une balle. Ses hommes ramenèrent le corps comme ils purent, sous le feu de l’ennemi.

Le docteur, en examinant la dépouille du capitaine, s’aperçut avec horreur que la balle était française !

Tous les hommes ayant participé à l’assaut ont été regroupés et l’assassin a été prié de se dénoncer… Bien entendu, il s’est empressé de ne rien dire.

Lors de l’interrogatoire qui a suivi, il a été demandé à ses camarades de le dénoncer, mais personne n’avait rien vu. Malgré les pires menaces de punitions, personne ne broncha (… pour être puni de quoi ? Ils étaient déjà en enfer !)

Et c’est ainsi qu’à la fin de la guerre, tous ceux qui avaient participé à cet assaut, enfin ceux qui restaient, n’ont pas été démobilisés comme les autres, mais envoyés à Tataouine pour finir le temps de « rab’ » qu’ils avaient écopé.

Petite anecdote :

  • Mon grand-père a été envoyé à Tataouine au sud tunisien en 1919.
  • Mon père au centre, et s’étant illustré à Pont-du-Fahs, il fut cité à l’ordre de l’armée par le général Juin en 1943.
  • Et moi à Bizerte au nord tunisien, lors du « Plan chartre Tunisie », pour l’évacuation définitive de la base en 1963.
  • J’ai pu constater que les cafards arrivaient juste après les moustiques !

Norbert Ségalas


 

(Source : Bulletin de liaison des Enfants de La Stidia et Noisy, n° 44, septembre 2009)



 

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