ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie
LA MENDIANTE
par Norbert Ségalas
Cette histoire m’est arrivée en 1960.
Ce jour-là, je me promenais, disons plutôt que je « traînassais », au guidon de mon scooter dans le centre-ville de Mostaganem.
Arrivant sur la place du Barrail, je tombe pile sur un copain de « René Basset », mon ami Sebban, on ne s’était pas revu depuis le lycée ! Après avoir exprimé mutuellement la joie de nous revoir, il me demanda de l’aider à retrouver quelqu’un qu’il cherchait depuis un moment. Je lui dis de grimper derrière moi, et, sur ses instructions, nous voilà partis doucement à travers les rues de la ville. Il n’y a pas beaucoup de circulation en ce début d’après-midi, et pas grand monde. Nous longions les arcades au ralenti en regardant à droite et à gauche, quand soudain… au coin du quartier du photographe Delay, de la pâtisserie Blanès, presque face à la pharmacie d’Albert Benaïm… une forme blanche, cachée entre deux voitures en stationnement, surgit et s’assied sur l’aile avant de ma vespa. J’arrête net, et la « dame » couverte de son drap blanc, se met à hurler : « Hooouuu… Hooouuu… » Sebban descend du tan-sad, essaye de la relever en la prenant sous les aisselles, mais elle reste accroupie et là, il me demande : « Où j’la mets… Où j’la mets ? » (la situation est cocasse, j’en ris encore) puis la traîne entre les voitures et l’assied sur le rebord du trottoir. Je gare le scooter en face, côté place de l’église, et on s’enquiert de l’état de santé de la dame. C’est alors qu’elle nous fait un geste significatif, en frottant son pouce contre l’index de sa main droite. Je regarde mon porte-monnaie, il n’y a en tout pas plus qu’un franc cinquante. Comme elle n’a rien, on est tenté de foutre le camp. Mais il y a tout près une bande de quatre ou cinq jeunes arabes, et l’un d’eux nous dit avec un air de faux jeton : « Vous n’allez pas la laisser comme ça ? ». Sebban me dit qu’il faut trouver un policier pour faire un constat. Nous partons donc à pied à la recherche d’un représentant de l’ordre, mais comme cela arrive souvent : ils ne sont jamais là quand on a besoin d’eux ! Il faut dire que c’était l’heure de la sieste…
Nous revenons bredouilles, la dame se met à s’agiter et à baragouiner sous les regards bienveillants et souriants des jeunes.
C’est à ce moment-là que mon copain Sebban s’exclame : « Mais… Elle n’est pas aveugle !!! », et de conclure : « Elle aurait dû prendre les clous ». Les sourires s’effacent, on tourne les talons, on enfourche l’engin et on se tire tranquille.
Je ne l’ai su que plus tard, mais cette « dame » était une mendiante notoire bien connue des Mostaganémois.
Malheureusement depuis cette aventure, je n’ai plus revu mon copain Sebban.
Norbert Ségalas
(Source : Le Lien, Bulletin des enfants de La Stidia et Noisy-les-Bains - Algérie, n° 55, juin 2012)
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