Histoire avant 1848
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Vie des Communautés
Centenaire 1914-1918

ANLB
Aïn Nouissy / Noisy-les-Bains
Toute l'histoire d'un village d'Algérie

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Vendredi 24 novembre 1848

A huit heures du matin nous nous trouvons en face de Levé, charmant petit village qui rappelle, à s’y méprendre, les alentours de Gournay-en-Bray. Sans les costumes d’hommes, qui affectent des formes bretonnes, je me croirais en Normandie.

Pour renouveler quelques menues provisions, j’entre chez une épicière indigène. Après m’avoir demandé si j’étais colon, et sur ma réponse affirmative, la brave femme me fait cadeau d’une petite collection de graines potagères ; elle en donne autant, à chaque convoi, au premier colon qui l’étrenne. Ce simple don, simplement fait, me touche plus que je ne saurais dire ; et c’est avec un sentiment de vive reconnaissance que je presse dans mes mains les mains calleuses de cette bonne âme, qui me souhaite en partant une heureuse réussite sans avoir l’air d’y croire beaucoup.

Nous sommes maintenant dans le canal latéral à la Loire que nous voyons serpenter à nos côtés ; le paysage, quelquefois pittoresque, redevient tout à coup d’une monotonie désespérante. Parfois aussi derrière le cordon d’arbres qui borde la rive nous voyons poindre sur une montagne les restes mutilés d’un ancien château, jalon historique resté debout à la grande joie du chroniqueur ; pour l’artiste, dernier plan du tableau ; gravois bons tout au plus à jeter bas, au dire des habitants du lieu…

La journée se passe sans incidents particuliers. Comme partout des écluses ; comme partout des auberges où s’arrêtent les colons pour se rafraîchir souvent outre mesure ; comme partout des lavoirs improvisés où les femmes se réunissent pour blanchir le linge des enfants pendant que les hommes vont chercher dans les ruisseaux des cressons rouges pour faire des salades. Presque partout des figures joyeuses, des chants d’allégresse ; tous semblent avoir oublié dans la misère présente les misères passées et celles qui les attendent.

Beaucoup ont déjà vu l’Afrique comme soldats ; ceux là instruiront les autres. Les versions les plus discutables circulent et animent la discussion. Par moments, quand le soleil colore et réchauffe les squelettes gris des arbres dépouillés ; quand les deux rives du canal sont couvertes d’hommes qui fument, de femmes qui causent, d’enfants qui jouent dans les bas côtés en cueillant quelques fleurs oubliés par novembre, que lentement le convoi, pavoisé de drapeaux, de rubans et de feuillages, passe au milieu de cette haie vivante de promeneurs en gaieté, on croirait plutôt assister à une fête de famille qu’à l’émigration d’ouvriers sans pain.

Ah c’est qu’ils ont une grande confiance aux promesses de la République ; c’est qu’ils sont persuadés que chaque pas qu’ils font les rapproche d’un bien-être qu’ils ont longtemps cherché. Pour tous, le décret de la commission est une garantie suffisante, et le billet rose du colon une carte d’entrée pour la terre promise.

Nous arrivons à La Charité à deux heures : maisons à la Van-Ostade ; rampes de bois gardant des escaliers en saillies ; caves de plein sol ; petites croisées à chasses de plomb ; poutres saillantes. Tout, depuis les marches usées, qui annoncent le passage de plusieurs générations, jusqu’aux toits moussus, terminés aux pignons par de coquettes et grinçantes girouettes, tout cela pour compléter l’illusion et faire de chaque habitat un mignon tableau comme les faisaient Van-Mieris et Breughel. Il n’est pas jusqu’à cette bonne femme, qui allaite son petit sur sa porte, jusqu’à cet homme dont le chapeau estompe si vigoureusement le haut d’un visage encadré de longs cheveux, qui n’ait là une véritable valeur d’artiste. Je ne puis me défendre d’une certaine tristesse en songeant que je ne dois plus faire qu’admirer !…

Cette nuit, on amène à l’ambulance un blessé du bateau 70 ; ce malheureux, qui souffre horriblement, à en juger par les cris déchirants qu’il pousse de moment en moment, trouble pour la nuit entière le repos des colons.

Samedi 25 novembre 1848

Dès le matin, nous pouvons nous apercevoir que la nuit nous a conduit dans un riche pays. Les arbres sont vigoureux, les haies plus serrées, l’herbe plus drue. Maintenant je suis de l’avis de ceux qui trouvent belles les rives de la Loire !

On nous promet une vue superbe au Guétin.

Le charriage se fait dans ce pays avec des bœufs ; quoique dans le Nivernais, nous sentions l’influence du Morvan. Je ne saurais, comme laboureur ou comme charretier, donner la préférence aux attelages de nos campagnes sur les attelages de ces contrées ; mais, comme artiste, un accouplement de deux ou quatre bœufs me semble avoir bien plus de caractères qu’un attelage de chevaux. Les bœufs ruminent gravement sous le joug qui les enchaîne, marchant toujours d’un pas lent et régulier, peu sensibles à l’aiguillon du bounhoume qui les guide, n’avançant que lorsqu’ils le veulent bien.

Nous arrivons aux trois écluses qui précèdent le fameux pont du Guétin, ces trois écluses, ces trois écluses sont littéralement l’une sur l’autre. Les colons restés à bord descendent à terre pour jouir plus longtemps du coup-d’œil tant vanté. Il est trois heures quand nous découvrons le pont : c’est un magnifique tableau dont le récit ne peut qu’amoindrir la beauté.

Figurez-vous, mon cher ami, un pont canal évidé à jour par huit arches de plein cintre d’une grande élévation ; ces dix-huit arches sont adossées à une culée pouvant avoir le tiers du développement total du pont ; de chaque côté, un trottoir, défendu par une rampe en X, supporte quatre stations de bancs dans toute la longueur ; puis, au milieu de cette bordure en bitume, le canal, suspendu dans son hamac de pierre à une prodigieuse hauteur.

L’aqueduc traverse en cet endroit l’Allier dans sa plus grande largeur. A droite et à gauche le regard s’arrête sur ces eaux coupées dans tous les sens par des bancs de sable de toutes les formes, de toutes les dimensions ; la plupart sont enrichis d’oseraies, de grandes herbes aquatiques, de joncs, de roseaux et de saules au feuillage argenté ; à voir tous ces îlots capricieusement contournés, on dirait un immense jardin anglais dont les allées en labyrinthe auraient été inondées. Insensiblement, les sentiers humides du jardin semblent se rétrécir jusqu’à ce que les grands arbres, indiquant la terre ferme, viennent marquer aux yeux la limite naturelle du fleuve. Ces arbres, les pieds incessamment lavés par ces eaux rapides, prennent un aspect imposant et grandiose ; tout s’exhausse, tout s’élève, tout s’empreint d’une puissante majesté. Qu’on regarde à droite, à gauche, devant ou derrière soi, de tous côtés enfin, la ligne est admirable ; les plans sont bien distincts, les masses sont d’un beau choix. Pour compléter ce superbe tableau, ajoutez les arches élégantes du pont du chemin de fer de Paris à Lyon, qui vont se perdre dans les fonds bleus de la vallée, et, du côté du village, sur une jetée très avancée dans l’Allier, le pont du Guétin rejoignant la route qui conduit à Nevers.

Cette pâle description ne pourra sans doute vous donner une juste idée des beautés que j’admire et dont mes regards ne peuvent se détacher. Mais, devant tant de magnificence, vous ne serez pas étonné si ma plume n’est pas l’interprète fidèle de mes yeux ; je ne puis savoir bien voir, sans savoir raconter.

C’est avec regret que je laisse derrière moi ce magique ensemble pour passer successivement par une série de villages plus ou moins remarquables soit par leur situation topographique, soit par leurs détails pittoresques. L’industrie principale de ce pays paraît être la fabrication des émaux communs ; beaucoup de colons font emplètes de plats, d’assiette, de marmites ; je remarque aussi quelques briqueteries.

A la hauteur de Nevers le bateau de l’état-major accoste pour mettre à terre le blessé de la nuit dernière. On fait transporter ce malheureux à l’hôpital de la ville, d’où il nous rejoindra s’il guérit. Encore un que l’espérance laisse en chemin.

Dimanche 26 novembre 1848

Aujourd’hui, la physionomie du convoi est joyeuse et gaie ; des mains vigilantes ont mis de la verdure fraîche et des rubans neufs à l’avant de chaque bateau ; les corvées ont été faites de bonne heure ; chacun s’est astiqué tant bien que mal ; ceux qui l’ont pu ont mis des chemises et des habits propres ; les chapeaux ont remplacés les casquettes ; les enfants sont fraîchement accommodés ; les femmes sont presque coquettes. En un mot, le Parisien, qui peut oublier tant de choses, n’a pas oublié qu’aujourd’hui c’est dimanche.

Regardez avec moi, ici ou là, que voyons-nous ? Des gens que le manque de travail a arraché au berceau même du travail ; des gens que la misère a chassés du pays où ils sont nés ; des gens qui divorcent brusquement avec des habitudes profondément enracinées, pour prendre avec un nouvel état un genre de vie en opposition avec leurs goûts, leurs habitudes ; tous ont laissé à Paris des parents vieux ou infirmes, des enfants confiés à des soins mercenaires, des frères inquiets, ou, au moins quelques amis. Eh bien ! pères, mères, enfants, frères, sœurs, parents ou amis enfin, regardez, et dites-moi s’il en est beaucoup qui y pensent !

Et ne m’objectez pas que cette joie est feinte ; que, si ces bonnes gens chantent, boivent et rient, c’est pour s’étourdir, non ; ils sont sous le ciel ouvert à tous, libres comme l’air qu’ils respirent ; rien ne les oblige à se contraindre ; leur bonne humeur n’est pas un fard, leur gaieté n’est pas un masque ; s’ils chantent, c’est pour chanter ; s’ils boivent, c’est pour boire ; s’ils rient, c’est bien uniquement pour rire. Heureuse insouciance !

Peut-être vaut-il mieux pour eux qu’ils soient ainsi, qu’ils oublient que, la dernière fois que c’était dimanche, ils étaient encore à Paris, dans leurs maisons, au milieu de leurs parents, entourés de leurs amis ; pour eux, l’oubli peut être un bienfait, comme la folie est quelquefois un bonheur !

Quant à moi, je ne jouis d’aucun de ces bénéfices ; je suis beaucoup plus triste aujourd’hui qu’hier ; je serai plus triste demain qu’aujourd’hui, parce que je pense trop à ce que presque tous ont oublié.

Quelques femmes pieuses sont allées à la messe, car je vois les enfants rapporter à leur père le petit morceau de pain bénit. Pourquoi faut-il qu’en remarquant ces épisodes d’une si touchante simplicité je sois obligé de caler sur ses jambes avinées un homme ivre mort ; et il n’est pas encore midi !…

Nous sommes salués de temps en temps par de bons paysans endimanchés. Les costumes des femmes, des jeunes enfants surtout, est assez coquet ; le double jupon qu’elles relèvent gracieusement et le petit chapeau bordé de velours qu’elles inclinent pittoresquement sur le sommet de la tête ne sont pas sans gentillesse.

Sur les quatre heures, un incident fâcheux vient un instant troubler la tranquillité de notre marche : un colon du bateau 68, ayant trop fêté le petit vin du pays, insulte et prend à la gorge l’officier comptable, qui lui adressait doucement et dans son intérêt une juste réprimande. Le capitaine averti ordonne le débarquement immédiat de cet homme. Dans la soirée sa femme et ses enfants désolés veulent implorer sa grâce, mais inutilement : ce colon ne rejoindra qu’à Marseille ; jusque-là, il ne doit plus reparaître sur les bateaux.

Cet acte d’autorité nécessaire produit quelque sensation. Le capitaine s’empresse cependant d’en adoucir la sévérité, en tolérant une quête dont le produit doit aider le coupable à faire la route ; et l’offensé, M. d’Héricourt, s’inscrit lui-même pour cinq francs. Le chiffre de cette quête s’élève bientôt à cinquante-sept francs, dont vingt-cinq sont donnés à la femme du délinquant ; mais depuis ce jour un gendarme couche à bord.

Lundi 27 novembre 1848

Nous nous levons aujourd’hui avec un temps épouvantable. Le ciel est d’un gris attristant ; de gros nuages estompés roulent quelques instants leur masse changeante au-dessus de nos têtes, et finissent par crever sur nous avec un sifflement lugubre ; le vent mugit dans les arbres ébranlés et détache les quelques feuilles mortes que l’arrière-saison a laissées aux rameaux. La pluie nous oblige à rester dans nos bateaux ; quelques colons lisent, au milieu d’un petit cercle d’auditeurs, un journal de plusieurs jours de date, acheté à la dernière ville ; d’autres jouent aux cartes ; celui-ci fait du filet ; celui-là tresse de menus objets avec des joncs verts ; il en est qui se réunissent pour chanter ; chacun enfin s’arrange de son mieux pour laisser couler sans trop d’ennui les heures d’une journée qui menace d’être longue.

Nous arrivons à Digoin par une pluie battante qui s’oppose obstinément à me laisser voir le pays. Là, nous renouvelons nos vivres et nous changeons de haleurs. Une querelle s’engage entre ceux-ci et les colons, assez mal disposés d’ailleurs. La gendarmerie est obligée d’intervenir en menant au violon de la localité les haleurs mutins, qui ne parlaient de rien moins que de jeter les colons à l’eau, sans oublier l’état-major.

L’ordre se rétablit et nous nous remettons en marche. Nous entrons maintenant dans le canal du Centre ; la pluie continue.

Les lits sont faits de très bonne heure, et les matelas sont tous occupés à l’issue du dîner ; pendant la nuit, les exclamations suivantes se font entendre sur tous les points du bateau : « Mais on ne peut y tenir, c’est intolérable ; nous sommes inondés ! »

Pour ma part, je suis réellement mouillé jusqu’aux os ; l’eau filtre à travers les planches mal jointes du faîtage qu’une mauvaise toile goudronnée ne garantit pas suffisamment ; les gamins, que l’on retrouve partout pour rire du mal, s’égosillent à crier : « A l’eau-eau-eau », ou en modulant différemment leurs cris à l’instar des porteurs d’eau de Paris ; personne ne songe plus à dormir. On attend le jour avec une impatience énergiquement formulée.

Mardi 28 novembre 1848

Cette journée commence comme la précédente ; impossible d’avancer le pied dehors ; il fait un temps à ne pas mettre à ne pas mettre un colon à la porte. L’ennui se lit sur toutes les figures ; on ne peut pas ouvrir, pour changer l’air intérieur, sans s’exposer à une inondation ; on est obligé de brûler du genièvre pour purifier la lourde atmosphère qui pèse sur nous ; enfin la nuit arrive, et, maussades et bourrus, nous nous étendons sur nos grabats de misère. Les cris à l’eau se font entendre comme la nuit passée ; mais on n’est pas, comme la nuit passée, disposé à en rire ; quelques mauvais plaisants ouvrent leurs parapluies. Impossible de dormir.

Mercredi 29 novembre 1848

Enfin l’aube paraît ; le ciel, encore chargé d’humidité, nous promet cependant une meilleure journée. Nous sommes à l’écluse de Génelard, où des femmes, comiquement affublées de coiffes de toile bise, nous offrent des fromages et des fruits. Les attelages de bœufs deviennent à ma satisfaction très fréquents, et nous voyons de temps en temps de nombreux parcs de vaches toutes blanches, des troupeaux de moutons gardés par de jeunes filles qui vont, tricotant ou filant leur quenouille, en murmurant avec mélancolie la complainte des pèlerins de Saint-Jacques ou celle de Geneviève de Brabant.

Cette nuit, ou demain au plus tard, nous serons à Chalon ; c’est là que j’ai donné rendez-vous à ma femme, en la quittant à Briare ; c’est aussi à Chalon que nous devons quitter les bateaux de l’entreprise pour prendre les bateaux à vapeur qui doivent nous conduire à Lyon.

Chalon ! ce nom résonne doucement à mon oreille ; N’est-ce pas là que mon père est né ? n’est-ce pas là qu’il a passé les vingt premières années de sa vie ? N’est-ce pas là que ma bonne grand-mère me berçait sur ses genoux à la lueur d’un feu de chenevottes ? De cette ville, que j’ai quittée, que j’ai quittée à l’âge de trois ans, il me reste de vagues souvenirs que je ne puis fixer ; et pourtant, j’en suis certain, je reconnaîtrais la rue et la maison de mon grand-père.

A Chalon, je dois prendre des lettres que vous et d’autres amis devez m’y adresser ; cette raison suffirait pour me faire désirer d’y arriver plus vite. C’est (avec Marseille) le point de repère que notre amitié a marqué sur mon itinéraire ; dois-je vous dire que le cœur me battra en entrant dans cette ville ?

A Saint-Léger, M. d’Héricourt me propose de prendre à frais communs un cabriolet qui nous conduira à Chalon, et nous fera gagner l’avance d’une nuit sur le convoi. J’accepte, et, après une légère collation, nous montons en voiture par

Un vrai temps de demoiselle,

Ni pluie, ni soleil, ni vent.

En sortant de Saint-Léger, le chemin montueux tourne aux pieds de riches coteaux vignobles ; nous laissons de côté Mercurey et sa réputation ; puis, le cœur palpitant de regret, je vois se dessiner sur ma gauche, et fuir peu à peu derrière moi, les deux montagnes qui me cachent le petit bourg de Nolay, mon village natal !

Enfin, à une heure et demie, je vois devant moi des spirales de fumée s’élever comme d’une immense cassolette, puis des tours carrées, puis un dôme surmonté d’un léger campanile ; c’est le dôme de l’hôpital, ce sont les tours de Saint-Vincent : voici Chalon !

M. d’Héricourt me quitte pour entrer à l’Hôtel du Parc ; ma bourse ne me permet pas de l’y accompagner. J’ai d’ailleurs à m’occuper de choses plus sérieuses que mon logement : je cours à la poste… point de lettres ! Oh mes amis, m’auriez-vous oublié déjà ? Je ne veux pas vous faire l’injure de le penser ; il m’eût été pourtant bien doux de vous retrouver ici !…

Maintenant je vais me mettre à la recherche de ma femme ; mais où est-elle descendue ? Nous étions l’un et l’autre si émus en nous séparant à Briare que nous n’avons pas songé à ce point important… Enfin la ville n’est pas si grande, et heureusement j’ai du temps devant moi !

J’entre sur le quai, au Café du Commerce, pour écrire quelques lettres, et pouvoir, de là, inspecter les passants ; ma femme sait que le port est le lieu de débarquement, elle se sera logée de préférence à proximité ; et puis, c’est une promenade agréable et facile pour l’enfant.

Je ne me suis pas trompé : à peine à la moitié d’une première lettre, je vois ma femme tenant Charles par la main.

Je vous fais grâce, mon cher Armand, des détails de cette reconnaissance pour passer au triste résultat du voyage de ma femme. Arrivée à Chassagne, à force d’ennuis et d’argent (on lui demanda vingt francs pour faire quatre lieues dans une mauvaise charrette) ; elle a trouvé votre filleul dans un état déplorable ; que faire ? Comment sévir ? L’enfant était tenu proprement mais d’une maigreur extrême ; sa nourrice, n’ayant plus de lait, lui donnait force bouillie, et le pauvre petit, encore trop faible pour supporter un tel régime, mourait un peu tous les jours.

Sa mère fut anéantie. Je suis d’ici obligé de prendre des mesures pour faire cesser cet état de choses ; ces mesures auront-elles le résultat que j’en attends ? Je n’ose m’en flatter et nous voici avec une inquiétude de plus !…

Nous sommes, ma femme et moi, tellement affligés de tout ceci que nous oublions Chalon jusqu’au moment de le quitter.

(A suivre)

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